Le Saint-Laurent à l’ONU

Le chef adjoint du NPD, Alexandre Boulerice, défendra l’idée d’un statut juridique pour le fleuve aux Nations unies, ce vendredi

Jamais le chef adjoint du Nouveau Parti démocratique, Alexandre Boulerice, n’aurait cru qu’un jour il serait invité à se rendre à New York afin de discuter du statut juridique qui devrait être accordé au fleuve Saint-Laurent devant des délégués venant des quatre coins du monde réunis aux Nations unies.

C’est exactement ce que fera le député de Rosemont–La Petite-Patrie, ce vendredi, en compagnie de la présidente de l’Observatoire international des droits de la nature, Yenny Vega Cárdenas, tandis que l’idée d’accorder des droits juridiques à la nature fait son chemin dans les officines de l’ONU au moment où l’urgence climatique appelle à une mobilisation sans précédent pour éviter une hausse prononcée de la température de la planète.

M. Boulerice et Mme Cárdenas – qui se rendent devant le Conseil de tutelle de l’Assemblée générale de l’ONU à l’invitation du président de l’Assemblée générale, Abdulla Shahid – militent depuis des mois pour que l’on accorde au fleuve Saint-Laurent et à son bassin versant, ce qui inclut aussi les Grands Lacs, la reconnaissance d’une entité juridique.

La rivière Magpie, première au pays

Ils s’inspirent d’ailleurs du précédent établi au pays en février 2021, quand la rivière Magpie, considérée comme une destination de renommée mondiale pour le rafting en eau vive, est devenue le premier cours d’eau au Canada à obtenir un tel statut.

Ce statut lui a été accordé après que la municipalité régionale de comté de Minganie et le Conseil des Innus d’Ekuanitshit eurent adopté des résolutions en ce sens qui ont pour effet de lui attribuer « neuf droits juridiques », dont ceux de couler, de maintenir sa biodiversité naturelle et d’intenter une action en justice. Un tel statut pourrait lui accorder une protection supplémentaire dans le cas d’un développement hydroélectrique, par exemple.

À la reprise des travaux parlementaires, lundi, M. Boulerice devra d’ailleurs déposer un projet de loi à la Chambre des communes visant justement à donner une personnalité juridique au fleuve Saint-Laurent, comme le Nouveau Parti démocratique (NPD) s’est engagé à le faire durant la dernière campagne électorale. Concrètement, cela donnerait au fleuve le droit juridique de faire valoir ses droits par l’entremise d’un comité qui veillerait à protéger ses intérêts et sa bonne santé en collaboration avec les Premières Nations.

Le fleuve et le troisième lien

À titre d’exemple, le fleuve pourrait se faire entendre par l’entremise du comité durant les études environnementales qui ont lieu avant l’approbation de nouveaux projets à saveur économique ou encore des projets routiers tels que le troisième lien entre Québec et Lévis préconisé par le gouvernement Legault. Ailleurs dans le monde, des démarches semblables ont été entreprises dans des pays comme la Nouvelle-Zélande, l’Inde et l’Équateur pour donner des statuts juridiques à des écosystèmes.

Il a été impossible jeudi de savoir si les libéraux de Justin Trudeau comptaient appuyer le projet de loi du NPD. Rappelons que Justin Trudeau et le chef du NPD, Jagmeet Singh, ont conclu une alliance parlementaire qui permettra au gouvernement libéral minoritaire de survivre jusqu’en juin 2025. En vertu de cette alliance, le gouvernement Trudeau s’engage à mettre en œuvre certaines des priorités du NPD. En échange, ce dernier appuiera les libéraux lors des votes de confiance sur les budgets, par exemple.

M. Boulerice et Mme Cárdenas, avocate, prendront la parole dans le cadre du dialogue organisé sous l’égide de l’ONU portant sur le thème « En harmonie avec la nature » (Harmony with Nature), qui vise à proposer des moyens d’éliminer toutes les pratiques qui menacent la biodiversité et les divers écosystèmes. L’évènement a lieu à l’occasion de la Journée internationale de la Terre, axée cette année sur le concept des lois de la nature.

« Un immense symbole »

Dans une entrevue accordée à La Presse, jeudi, à la veille de son discours aux Nations unies, M. Boulerice a soutenu qu’il était plus que temps de reconnaître que la nature a des droits qui doivent être défendus.

« Pour la première fois, nous allons parler de l’avenir du fleuve Saint-Laurent aux Nations unies. C’est toute une épopée. Je suis un peu nerveux. Mais je suis aussi très fier de pouvoir parler du fleuve. C’est non seulement une richesse comme écosystème et source de vie, mais c’est aussi un immense symbole pour les Québécois et les Québécoises. Cela fait partie de notre identité et de notre imaginaire collectif », s’est exclamé au bout du fil le député néo-démocrate.

Jointe également jeudi à son arrivée à New York, Yenny Vega Cárdenas a affirmé qu’il était impératif de changer nos modèles d’exploitation des ressources naturelles.

« C’est une grande chance de pouvoir partager le fruit de nos travaux aux Nations unies. Il est important de changer le paradigme. Dans le passé, on pensait qu’on était au sommet de la pyramide et donc maîtres de la nature et qu’on pouvait l’exploiter et même l’exterminer. Mais il faut plutôt comprendre que l’on fait partie de la nature. »

« Il faut faire de la nature une égale en lui donnant une personnalité juridique qui mérite aussi le respect dans tout projet que l’on pourrait entreprendre. »

– Yenny Vega Cárdenas, présidente de l’Observatoire international des droits de la nature

« Dans le cas du fleuve Saint-Laurent, ça changerait beaucoup de choses. On ne pourrait plus le voir comme un endroit où on lance nos déchets, comme un dépotoir. Il faudrait prendre nos responsabilités, parce que les droits du fleuve deviendraient nos responsabilités. Un fleuve en santé, ça vaut beaucoup », a-t-elle dit, invitant au passage le gouvernement Trudeau à appuyer le projet de loi du NPD.

Les droits à la source des progrès

Dans le discours qu’il compte prononcer, M. Boulerice soulignera que l’humanité a fait d’immenses progrès quand les droits fondamentaux des êtres humains ont été reconnus. Des progrès tout aussi importants pourraient être accomplis si l’on accordait aussi des droits à la nature.

« Depuis la Révolution américaine, depuis la Révolution française, nous avons donné des droits fondamentaux à tous les hommes et à toutes les femmes. Cette marche vers l’égalité et la démocratie fut un progrès magistral dans l’évolution de nos sociétés humaines. Mais avons-nous aussi donné des droits à la nature ? Pas vraiment. Nous avons toujours cette vision anthropocentriste que la nature est là pour répondre à nos besoins. Point final. Nous ne pouvons plus maintenir cette posture », soulignera-t-il dans le discours qu’il a préparé.

« Dans un monde qui doit faire face au dérèglement climatique, à la perte systématique d’espaces pour les animaux, à l’extinction massive d’espèces vivantes, nous devons opérer de toute urgence un virage. Un virage radical vers une existence harmonieuse et apaisée avec notre environnement. Mettons un peu d’équilibre dans tout cela. Envisageons de donner des droits à la nature », ajoutera-t-il.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.