Éditorial / Vincent Brousseau-Pouliot

Il faut qu’on parle de votre identité numérique

D’ici un an, le gouvernement du Québec s’apprête à vous fournir une nouvelle identité numérique.

Il a déjà choisi la technologie.

Si vous y consentez, il pourrait avoir accès à vos données biométriques (exemple : traits du visage, des yeux ou empreintes digitales).

À terme, vous pourrez vous identifier avec votre identité numérique sur votre téléphone portable à la police, à votre médecin, au fisc, peut-être même à votre institution financière.

Cette réforme est majeure, tant sous l’angle de la façon dont l’État va traiter avec ses citoyens que de la protection des données personnelles. Et pourtant, il n’y a pas eu de discussions ou de consultations publiques dignes de l’ampleur du projet. Seulement une consultation sur le web et des « focus groups ».

Bref, on est en train de changer complètement la façon dont l’État québécois gérera les données personnelles de ses citoyens. Et on voudrait le faire d’une façon plus discrète, plus hermétique et avec le moins de dialogue possible avec la société civile qu’on ne s’y prendrait pas autrement. Dans un dossier aussi sensible, c’est un bien mauvais réflexe.

Sur le fond, l’idée de procurer une identité numérique à tous les Québécois est excellente. C’est plus sécuritaire que le système actuel basé sur des informations comme le numéro d’assurance sociale et la date de naissance.

Comment ça fonctionnerait en pratique ? Québec stockera vos données personnelles de façon cryptée dans ses serveurs infonuagiques. Et pour vous identifier, on utilisera votre nouvelle identité numérique avec soit un mot de passe complexe, soit la biométrie (empreintes digitales, photo de votre visage) sur votre téléphone intelligent. Québec espère commencer à attribuer des identités numériques à l’automne 2021 et que le portefeuille de services numériques soit complété en 2025.

D’abord, les fleurs.

L’identité numérique ne sera pas obligatoire, car ce n’est pas tout le monde qui est à l’aise avec ces technologies. L’accès à vos données personnelles variera selon le type d’acteur gouvernemental (par exemple, la police n’aura pas accès à vos données médicales). Le recours à la biométrie sera optionnel. Le gouvernement assure que les données seront hébergées dans ses serveurs infonuagiques au Québec. Et à plus long terme, l’identité numérique québécoise pourrait aussi être utilisée par le gouvernement fédéral, les villes, les universités ainsi que des entreprises privées comme les institutions financières.

Mais il y a aussi des problèmes potentiels qui se profilent à l’horizon. Comme le fait que le gouvernement a déjà choisi sa technologie, basée sur le « blockchain ». Québec serait la « première société au monde » à se doter d’une identité numérique basée sur cette technologie de chaînes de blocs, a dit le ministre délégué à la Transformation numérique, Éric Caire, en entrevue au Journal de Québec le mois dernier. Ce qui lève un drapeau rouge, étant donné l’historique peu reluisant de Québec en matière de projets informatiques. En technologie, vaut parfois mieux être le deuxième pour apprendre des erreurs du premier.

Il aurait été si simple (mais plus coûteux, dit-on à Québec) de suivre l’exemple de la Colombie-Britannique, qui a une identité numérique depuis 2013.

Les citoyens ont le choix d’une carte à puce et d’être identifié avec leur photo sur leur téléphone. Le taux d’adoption de ce système est d’environ 90 %. Mais Québec a déjà rejeté l’option de la carte à puce.

D’autres enjeux demanderont beaucoup de vigilance. Premièrement, la sécurité entourant le stockage des données biométriques. Québec stockera les données biométriques dans ses serveurs infonuagiques, a indiqué le ministre Caire à La Presse. Est-ce absolument nécessaire ? Peut-on trouver une solution de rechange moins risquée en matière de protection de la vie privée ? Ce n’est pas le seul enjeu à approfondir. Il faudra des contre-pouvoirs avec plus de dents en matière de protection de la vie privée, une politique d’utilisation stricte des métadonnées (surtout si on permet aux entreprises privées d’utiliser le système), et on ne peut pas envisager une réforme aussi importante sans moderniser les lois sur la protection des renseignements personnels.

Donc oui à une identité numérique québécoise. Mais il faut une consultation publique. Que Québec explique son projet en détail. Qu’il réfléchisse à nouveau à son idée d’être le premier État à essayer une nouvelle technologie. Et qu’il fasse cette réflexion publique maintenant. Pas dans un an ou deux quand le projet sera bien en marche et qu’il sera plus compliqué – et coûteux – de faire marche arrière.

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