Critique

L’ombre de Lars von Trier

Drame
Mont Foster
Louis Godbout
Avec Laurence Leboeuf, Patrick Hivon, Lucie Laurier.
1 h 45
Trois étoiles et demie

Dans ce premier long métrage, dont il signe le scénario et la réalisation, Louis Godbout ne cache pas ses influences. L’ombre de Lars von Trier plane sur ce drame dont le récit s’apparente à une version plus soft d’Antichrist, mâtinée d’une touche de Melancholia dans la construction du personnage féminin principal. Avec, en guise de fil conducteur, une évocation du Roi des aulnes, ce poème classique de Johann Wolfgang von Goethe.

Le cinéaste, ancien prof de philosophie au cégep du Vieux Montréal, explore la psyché humaine à la faveur d’un récit où l’exploration d’une relation de couple emprunte la forme d’un thriller psychologique. Le prélude, très beau, montre une jeune femme en pleine chevauchée dans la forêt, dont les traits se transforment en dessin animé. Des dessins illustrant des extraits du Roi des aulnes apparaîtront ponctuellement au fil de l’histoire intime que partagent Chloé (Laurence Leboeuf) et Mathieu (Patrick Hivon).

Au moment où l’on fait leur connaissance, les deux conjoints se rendent à leur maison de campagne, isolée en pleine forêt. Visiblement, les deux amoureux ont besoin de se retrouver et de refaire leurs forces après avoir vécu un drame (dont la nature est assez vite révélée). Mais au lieu d’apaiser Chloé, dessinatrice de talent, la forêt devient vite une projection des propres angoisses de la jeune femme, d’autant plus que la nature lui envoie souvent des signaux anxiogènes.

Mont Foster s’aventure parfois sur le terrain du surréalisme – c’est une chose plutôt rare au Québec – mais reste néanmoins très centré sur l’esprit d’une femme qui semble devoir aller au bout de son traumatisme pour s’en libérer. Enfin, peut-être.

Laurence Leboeuf propose une composition remarquable dans un rôle difficile, sans jamais trop charger.

Un personnage plus diffus

Face à elle, Mathieu, procureur de profession, vit les choses de façon très différente. S’il est attentionné envers sa compagne de vie et semble véritablement vouloir lui venir en aide, comme le faisait le personnage de Willem Dafoe dans Antichrist, prêt à tout pour permettre à sa conjointe de survivre, il reste que Mathieu (Patrick Hivon, impeccable) est un personnage plus diffus. Il est d’ailleurs impliqué ici dans une sous-intrigue superflue, qui détourne l’attention de la relation qu’il entretient avec Chloé, laquelle aurait sans doute pu être explorée de façon encore plus approfondie. C’est un peu comme si le cinéaste n’avait pas osé le huis clos intégral et s’était efforcé d’intégrer dans le décor – de façon un peu artificielle – un autre couple (Lucie Laurier et Émile Proulx-Cloutier).

Reste la manière, très engageante sur le plan formel. Sachant manier les atmosphères et les contrastes, Louis Godbout, à l’instar de Lars von Trier, utilise aussi plusieurs pièces classiques – signées Schubert, Bach, Wagner – et instaure d’emblée un climat grave, voire inquiétant, mais jamais glauque.

Magnifié par les performances des deux acteurs, souvent filmés en gros plan, Mont Foster se révèle l’une des belles surprises de la saison.

Critique

Un film d’action conventionnel

Film de superhéros
Bloodshot
David S.F. Wilson
Avec Vin Diesel, Eiza Gonzalez, Guy Pearce
1 h 49
3 étoiles

synopsis

Tué pendant une mission, un soldat américain d’élite est ramené à la vie pour devenir le superhéros Bloodshot. Grâce à la nanotechnologie, il est invincible. Mais ses pensées sont contrôlées par son créateur.

Bienvenue dans l’univers de Bloodshot, un des superhéros les plus populaires de Valiant Comics, créé en 1992. L’ancien soldat d’élite, ravivé dans le laboratoire de la société RST, est d’une force inouïe. Il n’a pas à craindre les blessures puisque ses cellules se régénèrent rapidement. Cela donne lieu à des scènes d’action impressionnantes, où les victimes se multiplient sans équivoque.

Vin Diesel, dans le rôle de Bloodshot, rend le robot sympathique. Il a l’occasion de mettre en valeur ses muscles. L’acteur ne sort toutefois pas de sa zone de confort, puisqu’il se retrouve dans une dynamique similaire à celle de la franchise Fast and Furious, où sa loyauté envers sa famille prime. Dans ce cas-ci, il est animé par le désir de venger la mort de sa femme, tuée par un ennemi, qu’il voudra éliminer. Pour l’introspection, lorsqu’il se rend compte que ses pensées sont contrôlées par le chef du programme de recherche (Guy Pierce), il faudra repasser. Ses fans, par contre, sont servis.

La faiblesse du superhéros, incapable de discerner le vrai du faux dans les souvenirs implantés dans sa tête, constitue la force du film, lui donnant une direction. Les deux alliés de Bloodshot, par ailleurs, se distinguent. Eiza Gonzalez, qui interprète KT, ancienne membre des forces armées rescapée elle aussi par la technologie, apporte une touche d’humanité. Lamorne Morris, excellent dans le rôle d’un surdoué de l’informatique, fournit une dose d’humour bienvenue.

Le réalisateur David S.F. Wilson, qui fait ses débuts au cinéma, a une solide expérience dans le jeu vidéo et les effets spéciaux. Cela le sert bien. Il parvient à maintenir l’intérêt, grâce à certains rebondissements. Mais Bloodshot demeure un film d’action des plus typiques, avec son lot de poursuites endiablées et de prouesses invraisemblables. Les amateurs du genre ne s’en plaindront pas.

Critique

Un ridicule pleinement assumé

Comédie policière
My Spy
(V.f. : Mon espion)
Peter Segal
Avec Dave Bautista, Chloe Coleman, Kristen Schaal
1 h 41
Trois étoiles

synopsis

Un agent de la CIA, plus habile à déjouer physiquement que mentalement terroristes et assassins, tombe sous le charme d’une fillette de 9 ans et de sa mère qu’il est censé surveiller.

Il y a quelque chose d’amusant à voir des hommes forts aux muscles imposants perdre tous leurs moyens sous le charme d’un enfant. Arnold Schwarzenegger l’a fait. Hulk Hogan, Vin Diesel, Dwayne Johnson aussi. C’est au tour de Dave Bautista, lutteur six fois champion du monde de la World Wrestling Entertainment, qui a su montrer de la vulnérabilité dans le rôle de Drax, dans les films Guardians of the Galaxy et Avengers, de s’adonner à ce jeu.

Impassible et ayant l’air complètement hors de son élément lorsqu’il ne combat pas des meurtriers, l’acteur fait rire dans ce long métrage qui ne se prend pas au sérieux et se moque des films d’action. Dans le rôle de Sophie, une élève de quatrième année dégourdie, qui a du mal à se faire des amis dans sa nouvelle école, Chloe Coleman est charmante. Elle a le tour d’arriver à ses fins, même si ce n’est pas du tout crédible. La comédie profite aussi de l’apport de Kristen Schaal (The Boss, A Walk in the Woods), qui interprète Bobbi, la partenaire de JJ (Dave Bautista), douée dans la technologie mais d’une naïveté extrême.

Il n’est pas certain, par contre, à qui s’adresse ce mélange de scènes musclées et de situations comiques, qui mettent souvent en vedette des enfants d’une dizaine d’années. Pour montrer de quel bois se chauffe le personnage principal, le réalisateur Peter Segal (Get Smart) entame le film avec une transaction entre JJ et des terroristes, qui tourne mal (pour eux) et est d’une grande violence. La clientèle visée n’est de toute évidence pas familiale, avec de jeunes enfants.

Critique

Pour Émilie Bierre…

Drame
Les nôtres
Jeanne Leblanc
Avec Émilie Bierre, Marianne Farley, Paul Doucet
1 h 42
Trois étoiles

synopsis

Dans la petite communauté de Sainte-Adeline, affligée par une tragédie ayant eu lieu il y a cinq ans, une toute jeune adolescente, âgée de 13 ans à peine, met sa famille et ses concitoyens à l’épreuve en refusant de révéler l’identité du père de l’enfant qu’elle porte.

Il est parfois de ces thèmes qui flottent dans l’air du temps. Le deuxième long métrage de Jeanne Leblanc (Isla Blanca) s’inscrit en effet dans la lignée de Never Rarely Sometimes Always, récent lauréat du Grand Prix du festival de Berlin (à l’affiche au Québec le 27 mars). Les deux récits sont en effet construits autour de la grossesse non désirée d’une adolescente. Qui doit faire un choix difficile, souvent dans une intime solitude.

L’approche qu’emprunte Jeanne Leblanc est toutefois différente de celle d’Eliza Hittman. Dans Les nôtres, l’enjeu découlant de la grossesse de Magalie (Émilie Bierre, stupéfiante d’intériorité), qui tombe enceinte alors qu’elle entame à peine son adolescence, tourne principalement autour de l’identité du géniteur. Le spectateur devine la vérité très vite (avant même qu’elle lui soit révélée), alors que l’entourage de la jeune fille presse cette dernière de dévoiler un secret qu’elle compte garder pour elle.

Jeanne Leblanc traduit bien le désarroi intérieur d’une adolescente qui ne peut plus trouver de refuge émotif nulle part, même si sa mère (Marianne Farley) est très proche. En revanche, certains éléments du scénario sont moins bien développés. La tragédie dont la communauté a été victime dans le passé, évoquée au début, est complètement évacuée ensuite. Le petit racisme ordinaire auquel on fait écho est un peu appuyé, tout comme le sont les préjugés envers les mères adoptives. Et puis, le dénouement en forme de fin ouverte frustrera sans doute aussi les spectateurs préférant une résolution de l’histoire.

Cela dit, Les nôtres est parfois ponctué de scènes évocatrices (belle utilisation de la chanson Nous restons là, de Pierre Lapointe), soigneusement mises en scène, et confirme, comme si besoin était, le talent d’Émilie Bierre.

Critique 

objet de curiosité

Drame
Rojo
Benjamin Naishtat
Avec Dario Grandinetti, Andrea Frigerio, Alfredo Castro
1 h 49
Trois étoiles

SYNOPSIS

Argentine, en 1975. À la veille du coup d’État instaurant une dictature militaire, Claudio, avocat réputé, est mêlé à une altercation qui vire au drame avec un autre homme. Une série d’évènements fera en sorte que Claudio sera rattrapé par son geste.

Pour les cinéphiles qui ne dédaignent pas d’être dépaysés par d’autres écritures de cinéma, Rojo est sans doute un film à voir. Ou plutôt à déguster en raison de son rythme lent, froid, figé et souvent exempt de sentiments.

Comme si tous les personnages, les sens aux aguets à l’approche d’un évènement catastrophique (lire : le coup d’État), avaient arrêté de s’abandonner aux joies du quotidien.

Drame, thriller, mystère : il y a un peu tous ces ingrédients dans ce film aux accents surannés, traversés de plusieurs plans fixes, de nombreuses balades en voiture (sans que ce soit un road movie), de sentiments tout en retenue et de plans rapprochés qui donnent parfois l’impression d’être dans un télé-théâtre des Beaux dimanches.

Certaines idées de mises en scène sont très réussies par leur non-dit. Par exemple, lorsqu’en plein désert, l’action mettant en scène Claudio (excellent Dario Grandinetti) et l’homme avec qui il a eu une altercation se déroule hors du cadre alors que la caméra reste figée sur la voiture dont la portière est ouverte, côté conducteur.

Mais trop souvent, durant le film, certaines scènes secondaires peinent à rester dans l’orbite du thème central, à savoir les petites combines entre bourgeois consentants. On ne sait pas trop pourquoi elles surgissent dans l’histoire.

Le rouge du titre renvoie vaguement à la situation politique du pays vivotant entre deux juntes, mais aussi, sinon plus, au sang qui s’apprête à couler. Ce rouge traverse tout le film, notamment durant un beau moment à la mer, alors que survient une éclipse solaire.

Critique

Un certain intérêt

Drame
Run This Town
(V.f. : Régner sur la ville)
Ricky Tollman
Avec Ben Platt, Nina Dobrev, Mena Massoud et Damian Lewis
99 minutes
Deux étoiles

synopsis

Un jeune journaliste fraîchement sorti de l’université essaie de mettre la main sur une vidéo où on verrait le maire de Toronto Rob Ford fumer du crack alors que le personnel politique du maire tente d’endiguer les scandales qui s’accumulent

On s’attendait à un film sur la quête journalistique qui a permis de divulguer l’existence d’une vidéo montrant le maire torontois Rob Ford en train de fumer du crack. Le film porte plutôt sur l’histoire d’un jeune journaliste contraint à la médiocrité et de jeunes assistants politiques un peu trop cyniques.

Le début est particulièrement déstabilisant : une discussion sans queue ni tête entre les assistants politiques, une scène qui ressemble à une mauvaise pièce de théâtre montée par des étudiants. Les dialogues manquent sérieusement de naturel.

Les choses s’améliorent toutefois par la suite. On finira même par comprendre tout le sens de la fameuse discussion.

Ben Platt est très crédible dans le rôle du jeune journaliste qui peine à faire sa marque. Damien Lewis, le visage couvert de prothèses, est plutôt caricatural dans le rôle de Rob Ford. Certains diront toutefois que Rob Ford était pratiquement une caricature et que Damien Lewis et ses maquilleurs se sont montrés très fidèles à la réalité.

Une fois qu’on accepte le véritable sujet du film (la lutte des milléniaux pour se trouver une place dans la vie et, accessoirement, l’émergence d’un nouveau type de politicien de droite) et un jeu manquant parfois de souplesse, on peut y trouver un certain intérêt.

Critique

Peter Pan sans magie…

Conte
Wendy
Benh Zeitlin
Avec Devin France, Yashua Mack, Gage Naquin
1 h 52
Deux étoiles et demie

synopsis

Une fillette de 10 ans, aventureuse, se retrouve sur une île où l’âge et le temps ne font plus effet. Wendy doit ainsi se battre pour sauver sa famille, sa liberté, ainsi que son esprit de jeunesse face au danger mortel de grandir.

Dire de Wendy qu’il était attendu relève de l’euphémisme. Cette relecture du conte de Peter Pan est en effet l’œuvre de Benh Zeitlin, un cinéaste qui, il y a maintenant huit ans, s’est avantageusement fait remarquer grâce à Beasts of the Southern Wild. Au lieu d’accepter les ponts d’or qu’on lui a offert à Hollywood, Zeitlin a préféré prendre son temps et faire les choses à sa façon, ce qui est tout à son honneur.

Même si on retrouve dans ce deuxième long métrage le sens de la mise en scène et la même facture visuelle – impressionnante – que dans son premier opus, force est de constater que Wendy, hélas, déçoit.

L’idée de départ est pourtant formidable, et le prélude est très réussi : Wendy (excellente Devin France) grandit dans le modeste restaurant que tient à bout de bras sa mère, qui l’élève seule. Sentant très rapidement que son avenir s’annonce plutôt sans issue, la fillette, à 10 ans, rêve d’un ailleurs meilleur en regardant ce train qui passe régulièrement devant chez elle, et sur lequel se tient un petit garçon – prénommé Peter – qui semble s’amuser sur le toit des wagons.

À partir du moment où Wendy – en compagnie de ses deux frères – décide de partir à l’aventure avec Peter (Yashua Mack) et aboutit sur une île dévastée par les changements climatiques, le récit perd son ancrage. Trop intense pour les enfants, trop lourd de symboles pour les adultes, Wendy tente bien d’emprunter la forme du conte, mais le réalisme magique que Zeitlin insère dans son film ne produit tout simplement pas l’effet escompté, ni d’émotion. Dommage.

COVID-19

Avant d’aller aux vues…

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