OPINIONS CONSEIL DU STATUT DE LA FEMME

Les récents propos de la présidente du Conseil du statut de la femme suscitent de nombreuses réactions. En entrevue, Louise Cordeau affirme que l’égalité des droits entre les hommes et les femmes est « presque acquise », et envisage même de renommer l’organisation.

OPINION CONSEIL DU STATUT DE LA FEMME

Ne touchez pas au Conseil

Il n’a fallu que quelques heures pour que les mots de la présidente du Conseil du statut de la femme (CSF), Louise Cordeau, enflamment les réseaux sociaux.

Dans l’entrevue qu’elle accordait au Journal de Québec dimanche dernier, la présidente évoquait la possibilité de changer le nom du Conseil, et, peut-être sa mission, afin que les hommes « ne se sentent pas mis de côté ». C’est que, disait-elle à la journaliste, l’égalité étant presque acquise, il faut maintenant évoluer, si je comprends bien.

Ces mots démontrent qu’une vision féministe ne s’improvise pas, et que la sienne, malgré sa bonne volonté, manque de perspective historique.

Dans les sociétés où l’on a opté pour des dénominations différentes, on a déjà légiféré pour l’égalité. Par exemple, dans les pays scandinaves, les gouvernements ont créé des ministères (en Suède, par exemple) dans lesquels l’égalité figure dans leur mandat, et où le mot « femme » est absent de leur dénomination.

Soit. Mais il y a longtemps que dans ces pays les lois ont forcé le mouvement : à commencer par l’imposition de congés parentaux qui obligent les pères à intégrer la vie familiale et prendre soin des enfants. En politique, les partis s’imposent 50 % de candidatures féminines, ce qui fonctionne bien et aboutit à une égalité de représentation politique. On a également voté des lois pour que les femmes occupent plus d’espace dans les instances économiques et administratives.

Dans ces sociétés, on est déjà passé à une autre étape. Et malgré que ces pays soient plus évolués que nous sur le plan de l’égalité des sexes, les féministes y travaillent encore à endiguer les violences sexuelles, la traite des femmes, les inégalités de salaire, entre autres batailles.

Présence demandée

Affirmer que l’égalité est presque atteinte au Québec, c’est faire fi de tous les obstacles que rencontrent encore les Québécoises aujourd’hui : inégalités salariales, violences sexuelles et difficulté à dénoncer, absence des instances décisionnelles, discrimination systémique, comme le répètent les féministes depuis plus de 40 ans.

Dans les dernières années, les groupes de femmes, à commencer par le CSF lui-même, et d’autres comme la Fédération des femmes du Québec, les réseaux de maisons d’hébergement, les groupes communautaires où les femmes sont si présentes, tous ont subi des coupes budgétaires majeures. Celles-ci ont également affecté les milieux de la santé et de l’éducation où la main-d’œuvre est largement féminine : or, les coupes ont été réalisées sans aucun souci de leur répercussion sur les femmes.

Difficile d’encaisser ce constat selon lequel l’égalité serait bientôt acquise.

De plus, il faudrait savoir ce que la présidente signifie par égalité. On l’a peu entendue depuis qu’elle est en poste. Espérons connaître bientôt ses positions par des voies officielles, ce qui aurait dû être le cas avant que de la lire dans un quotidien.

Le rôle des hommes

C’est aussi ma préoccupation que les hommes se sentent concernés par les inégalités de genre et qu’ils s’indignent, eux aussi. Or, si l’on veut les interpeller, bien des ministères pourraient déjà être mis à contribution et se mobiliser ! Pourtant, c’est le CSF qui a mis sur pied, l’an dernier, la consultation « Sexe, égalité et consentement », avec la participation d’un homme féministe. Voilà une initiative sensée, qui ne nécessite pas d’ajouter le mot « hommes » dans la mission et qui aurait pu aussi être celle du ministère de la Santé et des Services sociaux ou de l’Éducation, par exemple.

Il est très possible de faire beaucoup plus de choses dans tous les autres ministères. À commencer par allonger le congé parental pour les pères et le rendre obligatoire ; légiférer pour intégrer les femmes dans toutes les instances décisionnelles ; investir ressources et financement dans les réseaux qui offrent expertise et services aux femmes dans des situations de pauvreté, de violence, de marginalité ; concevoir des stratégies économiques (construction, intelligence artificielle, nouvelles technologies) du XXIe siècle, c’est-à-dire qui se préoccupent d’inclure l’égalité des genres dans leur développement, et sans lesquelles les femmes se retrouveront toujours dans des secteurs où l’argent se fait rare.

Quand on aura fait tout ça, on pourra rediscuter du nom et de la mission du CSF.

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Les récents propos de la présidente du Conseil du statut de la femme suscitent de nombreuses réactions. En entrevue, Louise Cordeau affirme que l’égalité des droits entre les hommes et les femmes est « presque acquise », et envisage même de renommer l’organisation.

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Ça va prendre plus qu’un changement de nom

Un texte signé Kathryne Lamontagne dans Le Journal de Québec, dimanche dernier, nous apprenait que la présidente du Conseil du statut de la femme, Louise Cordeau, estime que « l’égalité [entre les femmes et les hommes] est presque acquise » et qu’elle étudie même la possibilité de changer le nom de la vénérable institution pour que les hommes se sentent « interpellés », qu’ils n’aient pas l’impression d’être « mis de côté ».

Aussi surprenantes que soient ces déclarations, le texte laisse tout de même entrevoir qu’au fond, la présidente souhaite voir les hommes mettre l’épaule à la roue pour contribuer au travail collectif que constitue l’atteinte de l’égalité de fait pour les Québécoises.

Nous donnons donc le bénéfice du doute à la présidente, peut-être un peu moins au traitement-choc de ses propos qu’en tire le média où l’entrevue est publiée. L’affaire est à suivre et nous verrons si la présidente sentira le besoin de clarifier ses propos à travers les canaux de communication officiels de son organisme.

Néanmoins, nous profitons de l’occasion pour rectifier le tir quant au mythe de l’égalité atteinte ou presque atteinte au Québec.

Ce préjugé, fondé sur de fausses prémisses, est dangereux, car non seulement il freine la marche vers cette égalité, mais il pourrait bien occasionner des reculs également, dont un changement de nom et de mandat pour le Conseil serait une manifestation évidente.

Tant que les femmes gagneront un salaire inférieur à celui des hommes à travail égal et à compétences égales, tant qu’elles seront sous-représentées dans les hautes sphères décisionnelles, tant qu’elles seront considérées comme le parent principal par défaut, tant qu’elles seront victimes de violences à caractère sexuel, il n’y aura pas d’égalité des chances pour les femmes.

Le Conseil du statut de la femme a contribué au fil des ans à l’éveil des consciences et aux changements de mentalité. Il a appuyé et conseillé les gouvernements pour qu’ils adoptent des mesures favorisant l’égalité des chances pour les femmes, et nous souhaitons qu’il puisse poursuivre sa mission.

Ainsi la question se pose : si le nom du Conseil devait changer, qu’est-ce que cela voudrait dire ? Et qu’est-ce qu’on mettrait à la place du « statut de la femme » ? Est-ce qu’on se trouvera devant un Conseil pour l’égalité entre les hommes et les femmes ? Et si c’est le cas, est-ce que les hommes se sentiront véritablement interpellés, et pour les bonnes raisons ?

Si le mot « femme » a fait couler beaucoup d’encre chez les féministes, en tant que catégorie qui reconduit le binarisme genré (et perpétue le principe de la domination) et a donc le pouvoir d’exclure des femmes qui ne seraient pas nées dans un corps considéré comme féminin, ce mot continue à identifier, aujourd’hui, une posture féministe.

Il faut espérer que Louise Cordeau n’a pas l’intention de diluer la force féministe du Conseil en en revisitant le nom, mais bien, plutôt, de la décupler en travaillant à faire du Conseil un lieu qui accueille la diversité des points de vue aux fins d’une défense des droits d’une série d’individus qui en ont moins que les autres : ces individus qu’on continue à identifier comme faisant partie de la série « femme ».

L’important n’est peut-être pas d’inclure à tout prix les hommes dans cette histoire, eux qui ont déjà beaucoup de place un peu partout dans cette société. L’important, c’est d’inclure le plus de femmes possible, qui qu’elles soient.

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Le féminisme : un combat dépassé ?

Louise Cordeau, présidente du Conseil du statut de la femme, envisage de changer le nom de l’organisme pour en effacer les femmes. Un nouveau nom pourrait refléter les changements de mentalités et l’égalité femmes-hommes « presque acquise ».

Sa prise de position témoigne d’une mécompréhension du féminisme, du rôle de l’institution, mais surtout de l’époque où nous évoluons – encore aujourd’hui, il ne fait pas toujours bon être femme.

L’égalité… presque acquise ?

L’affirmation de Louise Cordeau selon laquelle notre société serait « presque » égalitaire a de quoi faire sourciller. Comment penser qu’un monde où une femme en couple sur trois vivra de la violence conjugale, selon l’Organisation mondiale de la santé, puisse être un monde égalitaire ?

Quel genre de vision de l’égalité peut-on avoir pour se montrer satisfaite d’une société où une étudiante sur cinq sera agressée sexuellement à l’université, où à peine plus du quart des sièges à la Chambre des communes sont occupés par des femmes, où les femmes gagnent 75 % du salaire des hommes ? Est-ce qu’une société égalitaire permettrait autant de meurtres de femmes par leur ex-conjoint ?

Penser que l’égalité est acquise semble relever d’une forme particulièrement naïve de pensée magique.

D’un autre côté, l’affirmation de Mme Cordeau ne doit pas nous surprendre outre mesure. Malgré la récurrence des violences conjugales et des féminicides, les médias continuent d’utiliser des euphémismes comme « relation difficile », « crime passionnel » et « chicane de couple ».

Un mouvement masculiniste bien ancré au Québec a par ailleurs réussi à populariser des idées empiriquement erronées comme le mythe de l’avantage des mères devant les tribunaux familiaux ou la supposée symétrie des violences conjugales envers les femmes et envers les hommes. Le mythe de l’égalité déjà atteinte, et même dépassée, n’est d’ailleurs par nouveau. Il remonte à des décennies, c’est-à-dire que certains trouvaient déjà que le féminisme était allé trop loin avant l’égalité formelle, avant la criminalisation du viol conjugal, avant la fondation du Conseil du statut de la femme ! Ce mythe est aussi faux aujourd’hui qu’il l’était à l’époque : quelques décennies d’avancées féministes n’ont pas renversé la vapeur accumulée par des millénaires de patriarcat.

D’autre part, comme le rappelle Diane Lamoureux dans le Dictionnaire critique du sexisme linguistique, la question qui sous-tend la notion d’« égalité » est bien sûr : « l’égalité de quelles femmes avec quels hommes ? » Si les femmes les plus privilégiées ont pu bénéficier d’avancées importantes dans certains domaines comme l’accès au marché du travail ou à l’avortement, le portrait est tout autre lorsqu’on prend la peine de considérer la situation des femmes noires, trans, handicapées ou autochtones. Réduire des rapports sociaux complexes à une impression d’égalité ou à des considérations statistiques désincarnées de leur contexte produit une fausse représentation de l’égalité qui relève davantage de l’antiféminisme.

L’exclusion des hommes et l’antiféminisme

De même, s’inquiéter de l’exclusion des hommes alors que ceux-ci contrôlent toujours la majorité des institutions politiques, des médias, du capital financier et des autres lieux de pouvoir implique de faire fi du contexte socioculturel.

Comme l’admet Louise Cordeau, l’heure est à l’égalité de fait et non plus à la simple poursuite de l’égalité formelle. Or, l’égalité de fait n’implique pas de traiter tout le monde de la même façon, mais plutôt de traiter des groupes différents différemment. Tout comme les riches n’ont pas besoin d’aide sociale ou les personnes en santé de médicaments, les hommes n’ont pas besoin d’un Conseil du statut des hommes.

Remettre en question la pertinence d’une institution centrée sur les femmes, c’est comme tenter d’équilibrer une balance en ajoutant systématiquement autant de poids des deux côtés : le déséquilibre n’est pas près de disparaître !

Les femmes vivent des discriminations et problématiques spécifiques, qui méritent d’être considérées sans que l’on doive sans cesse s’excuser de s’attaquer à l’oppression en s’intéressant aux besoins des opprimées.

Est-ce vraiment trop demander que d’avoir une institution qui nous nomme, qui place les femmes au cœur de sa mission, alors qu’elles sont souvent une arrière-pensée dans tous les autres domaines ? Est-ce trop demander que, dans un pays où une femme est agressée sexuellement toutes les 17 minutes, l’ultime priorité ne soit pas à « l’inclusion des hommes » ?

Comme le veut une réponse populaire au non-sens « All Lives Matter », on s’attend des pompières à ce qu’elles arrosent la maison en feu, pas à ce qu’elles se lamentent du peu d’attention que reçoit la maison voisine intacte ! De même, s’attaquer aux inégalités nécessite que l’on résiste à la tradition millénaire de penser d’abord aux hommes pour se concentrer sur des problèmes criants, réels, et genrés.

Louise Cordeau se décrit comme une « femme de médiation », mais nous ne voulons pas d’une société de compromis où l’on s’accommode d’« un peu » de violences, d’« un peu » de sexisme. Toujours selon Diane Lamoureux, « le féminisme doit assumer la radicalité de son projet » et rejeter le mythe masculiniste selon lequel l’égalité serait mieux servie par la « neutralité » de l’égalitarisme que par un féminisme décomplexé.

Il va sans dire que certains hommes se sentiront exclus par l’appellation, mais aussi par le travail du Conseil du statut de la femme. Plutôt que de freiner le progrès par « médiation » avec les réactionnaires, je leur répondrais plutôt : pour qui est habitué aux privilèges, l’égalité ressemble à l’oppression !

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