RACISME

Il peut y avoir un Québec meilleur pour nous tous

Les signataires s’adressent au premier ministre du Québec, François Legault.

Monsieur le Premier Ministre, près de deux semaines après la mort tragique de notre sœur Joyce Echaquan, nous ressentons le besoin de vous écrire cette lettre.

Nous faisons appel à votre humanité et à votre sens de la justice. Nous vous demandons de reconnaître, une fois pour toutes, qu’il y a bel et bien un problème de racisme systémique dans les institutions et les services publics au Québec.

Le racisme systémique ne signifie pas que le peuple québécois est raciste. Il se définit plutôt par des pratiques et des politiques au sein d’une organisation qui entraînent des préjugés et des stéréotypes causant des discriminations et des inégalités dans les services publics.

Le 6 octobre, lorsque vous avez présenté des excuses au nom de l’État à la famille Echaquan, vous avez déclaré que « l’État a failli à son devoir ». Vous avez dit que « pendant des décennies, les peuples autochtones ont fait l’objet de discrimination par les différents paliers du gouvernement » et que l’État « a le devoir d’offrir la même dignité, le même respect à tout le monde ». Vos paroles décrivent le racisme systémique, donc pourquoi ne pas le reconnaître ? Ne pas reconnaître la discrimination omniprésente dans toutes vos institutions, c’est lui donner le droit d’exister et pire encore, c’est la perpétuer.

Reconnaître l’existence du racisme systémique n’est pas un recul, loin de là. C’est un acte de courage et de lucidité et c’est tout à l’honneur du peuple québécois. Les Québécoises et les Québécois en ont assez eux aussi des enquêtes, des commissions, des campagnes de sensibilisation éphémères et des appels à l’action ignorés. Tout comme les Premières Nations et le Peuple inuit, le peuple québécois a soif de paix et d’unité. Il souhaite nous connaître, et ce, autrement qu’en souffrance ou en état de marginalité.

Joyce Echaquan n’avait que 37 ans. Elle était une mère pleine d’amour pour ses enfants, pour son conjoint, pour la vie. Nous ne permettrons pas que son histoire tombe dans l’oubli.

Elle a mis au monde sept beaux enfants, elle croyait donc qu’un avenir meilleur pouvait exister. Nous y croyons nous aussi !

Nous sommes 37 femmes de différents âges, domaines et régions. Nous sommes Kanien’kehá : ka, Abénakise, Huronne-Wendat, Cri, Mi’gmaq, Innue, Malécite, Naskapi, Anicinape, Atikamekw, Inuit et Ojibway. Nous consacrons nos vies à célébrer nos cultures, à défendre nos droits, à lutter contre la discrimination et nous nous engageons à continuer de le faire. Mais nous avons besoin de vous, Monsieur le Premier Ministre, de votre appui en tant que leader. Il n’en tient qu’à vous de donner à votre gouvernement l’élan qui nous amènera vers une société plus juste.

Les sept générations qui nous ont précédées ont déterminé qui nous sommes aujourd’hui. Et dans nos cultures, on nous enseigne que les gestes que nous faisons aujourd’hui ont des répercussions sur les sept prochaines générations. Nous vous demandons donc de faire preuve d’audace. Il est encore temps de prendre la bonne décision pour l’avenir du Québec, pour l’avenir de nos enfants, les nôtres et les vôtres. Et pour les enfants de Joyce. Nous avons tous le devoir de les protéger et de leur offrir un meilleur avenir. Les sept enfants de Joyce ont le droit de vivre dans une société qui ne les méprise pas et qui leur fait une place.

C’est pour eux et pour nos générations futures que nous unissons nos voix aujourd’hui.

Nous vous disons qu’il peut y avoir un Québec meilleur pour nous toutes et tous.

Joyce a lancé un appel à l’aide, elle nous a tous interpellés. Honorons son courage ; soyons solidaires afin de mettre fin au racisme systémique. Joyce doit en avoir été la dernière victime.

* Cosignataires : Elisapie, auteure-compositrice ; Cyndy Wylde, doctorante en études autochtones ; Eruoma Awashish, artiste Nehirowisiskwew ; Nancy Crépeau, candidate au doctorat en éducation, Université d’Ottawa ; Yvette Mollen, chargée de cours à l’Université de Montréal et à l’Université du Québec à Chicoutimi ; Doreen Picard, innushkueu ; Kathia Rock, auteure, compositrice, interprète ; Bibiane Courtois, infirmière à la retraite ; Prudence Hannis, directrice Collège Kiuna ; Ellen Gabriel, Kanien’kehà : ka Human Rights and Environmental advocate ; Michèle Rouleau, productrice ; Edith Cloutier, directrice générale Centre d’amitié autochtone Val d’Or ; Melissa Mollen-Dupuis, militante, coorganisatrice Idle No More Québec ; Widia Larivière, militante pour les droits des peuples autochtones ; Natasha Kanapé, poète, actrice, artiste multidisciplinaire ; Viviane Michel, présidente Femmes Autochtones du Québec ; Jennifer Brazeau, directrice Centre d’amitié autochtone de Lanaudière ; Mary Coon, aînée Crie ; Meky Ottawa, artiste ; Maggie Emudluk, vice-présidente développement économique, société Makivik ; Françoise Ruperthouse, intervenante sociale en violence ; Sheila Swasson, présidente, National Aboriginal Circle Against Family Violence ; Kim O’Bomsawin, cinéaste ; Caroline Nepton-Hotte, doctorante et professeure, UQAM ; Glenda Sandy, conseillère en soins infirmiers ; Solange Dubé, Atikamekw Iskwew ; Mélanie Vincent, directrice générale de Kwé ! ; Maïté Labrecque-Saganash, chroniqueuse ; Viviane Chilton, enseignante ; Tatum Crane, gestionnaire exploitation, STM ; Dominique Pétin, comédienne ; Véronique Rankin, directrice générale, Puamun Meshkenu ; Tanya Sirois, directrice générale Regroupement des centres d’amitié autochtones du Québec ; Michèle Audette, conseillère à la réconciliation et à l’éducation autochtone, Université Laval ; Joséphine Bacon, poète ; Alanis O’Bomsawin, cinéaste

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