Science

L’énergie
au-delà de la batterie

Des blocs de ciment empilés. Du sel fondu. Un volant d’inertie. De l’air comprimé. De l’eau pompée vers des réservoirs plus élevés. Et... la bonne vieille batterie. Les technologies de stockage de l’énergie sont en ébullition. Comme les énergies renouvelables sont souvent intermittentes, il bien faut trouver des ponts entre les moments venteux et ensoleillés.

Batteries

Depuis l’an dernier, Hydro-Québec se lance à la conquête des marchés de stockage d’énergie de la planète. Sa division EVLO, avec ses batteries de 0,5 gigawattheure (GWh), a décroché des contrats près d’une centrale éolienne en France et près d’une centrale solaire en banlieue de Montréal. « Nous avons aussi lancé un système de 1 GWh et nous sommes en train de travailler sur un système avec encore plus de capacité de stockage, probablement 1,65 GWh », explique Sonia St-Arnaud, PDG d’EVLO.

Des systèmes d’EVLO sont aussi installés à Quaqtaq, pour tester le potentiel solaire dans le Nunavik, et dans le microréseau de Lac-Mégantic. Selon Mme St-Arnaud, la densité de capacité des batteries d’EVLO augmente sans cesse, avec un progrès prévu de 50 % entre le système de 1 GWh et celui de 1,65 GWh.

Les batteries vont probablement s’imposer à proximité des sources variables d’énergie, comme les éoliennes et les centrales solaires, pour garantir un stockage de quelques heures, estime Venkat Srinivasan, responsable du stockage d’énergie au laboratoire national Argonne du gouvernement américain.

« Pour le stockage à plus long terme, par exemple la nuit quand il n’y a pas de soleil et les quelques moments dans la semaine où il ne vente pas, il faudra d’autres systèmes, dit M. Srinivasan. Mais on estime qu’il faudra diminuer les coûts par un facteur de dix pour que les autres systèmes de stockage deviennent opérationnels. »

L’Ontario

L’Ontario fait depuis une dizaine d’années l’essai de plusieurs de ces technologies « exotiques » de stockage. Parmi les systèmes connectés au réseau, on trouve des volants, des roues qui tournent par inertie et de l’air comprimé. « On examine aussi du stockage chimique, par exemple le sel fondu, qui libère de l’énergie quand on le solidifie », dit Katherine Sparkes, directrice de l’innovation à l’Opérateur indépendant du système électrique de l’Ontario (IESO).

L’IESO a actuellement 48 MWh de stockage d’énergie, en grande majorité sous la forme de batteries, et prévoit mettre sous contrat d’autres systèmes de stockage dans le cadre d’un appel d’offres général de 1200 MWh cette année. Des entreprises en Ontario planchent notamment sur un système de poulies où on empile des blocs de ciment. Quand on a besoin de l’énergie, on les fait descendre.

Hydrogène

Une autre avenue est la fabrication d’hydrogène par électrolyse – de l’hydrogène qui peut ensuite alimenter, au besoin, une pile à combustible. « Si on veut stocker beaucoup d’énergie, par exemple pour plusieurs mois, l’hydrogène sera probablement la meilleure solution », dit Loïc Boulon, de l’Université du Québec à Trois-Rivières, qui travaille sur cette technologie.

« Pensez à l’énergie dont on a besoin l’hiver au Québec, ou l’été dans les régions où on climatise beaucoup. Le problème, c’est qu’on a une efficacité de 50 % avec les piles à combustible, comparativement à 80 % pour les batteries. » Selon M. Boulon, les piles à combustible se trouvent à la veille d’une rapide avancée technologique, comme l’étaient les batteries il y a 10 ans.

La Suisse

Depuis l’an dernier, la Suisse a une batterie naturelle sous la forme d’une station de pompage dans la centrale hydroélectrique de Nant de Drance. Cette infrastructure est l’équivalent d’une batterie de 900 mégawatts. Elle est alimentée par de l’énergie nucléaire achetée en France pendant la nuit, quand les coûts sont bas. « On a depuis les années 1950 une station de pompage de 175 MW dans les chutes du Niagara », indique Mme Sparkes.

Hydro-Québec, de son côté, ne prévoit pas ajouter de station de pompage dans ses centrales existantes parce qu’elles sont trop loin des parcs éoliens dont il faut régulariser les apports en courant, selon Francis Labbé, responsable des communications pour l’innovation à la société d’État. De toute façon, les réservoirs québécois jouent déjà le rôle de batteries géantes, souligne M. Labbé.

Une étude australienne a ciblé l’an dernier plus de 600 000 endroits dans le monde où du stockage par pompage de l’eau pourrait être rentable. Le stockage par pompage ne fait généralement pas partie des statistiques sur le stockage d’énergie puisqu’il s’agit d’une technologie mature depuis des décennies, avec des pertes d’énergie inférieures à 20 %.

La solution montréalaise

Depuis un an, des ingénieurs testent le pompage d’un fluide 2,5 fois plus dense que l’eau, dans un laboratoire sur le bord du canal de Lachine. Le fluide utilisé est appelé R-19 et a été mis au point par l’entreprise. Sa recette est secrète mais il s’agit d’un solide en poudre peu coûteux en suspension dans l’eau. RheEnergise, fondée à Londres, testera cet été sa solution de stockage d’énergie par pompage sur le mont Montcalm, près de Rawdon. « Avec un fluide plus dense, on a besoin de moins de hauteur ou alors d’une infrastructure moins grande pour stocker l’énergie en pompant un fluide en hauteur », explique le PDG de RheEnergise, Stephen Crosher, en entrevue depuis le Royaume-Uni.

Ces installations devraient être de la taille d’un bassin d’une usine de traitement de l’eau, et la hauteur nécessaire, celle du mont Royal, selon Tamás Bertényi, chef technologique de RheEnergise. M. Bertényi s’est installé à Montréal il y a huit ans et a travaillé sur des projets énergétiques durables avec des entreprises autochtones. « Montréal est très propice à l’embauche d’ingénieurs, on en a quatre et on vise d’en engager une dizaine d’autres d’ici un an », dit M. Bertényi. Tout le côté ingénierie est fait à Montréal, et une usine pilote est planifiée pour la mi-2024 près de Plymouth, en Angleterre.

Un coût sous-estimé

Si on tient compte des besoins en stockage de l’énergie, ou de la nécessité de construire et de tenir opérationnelle une centrale au gaz naturel pour compenser les fluctuations de l’énergie éolienne, le coût de l’énergie renouvelable est probablement deux fois plus élevé que la construction pure et simple d’une centrale solaire ou éolienne, selon M. Srinivasan, du laboratoire Argonne.

« Mais c’est une moyenne, nuance-t-il. Dans les régions où il y a beaucoup d’hydroélectricité, l’augmentation du coût est faible, et à l’extrême, dans les régions mal connectées aux autres réseaux électriques, c’est plus élevé. À Hawaii, par exemple, chaque île doit avoir sa propre capacité de stockage. »

10 GWh

Quantité de stockage d’énergie installée en 2020 dans le monde

1200 GWh

Quantité de stockage d’énergie installée prévue pour 2030 dans le monde

Source : Agence internationale de l’énergie

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