Notre choix

Vertige générationnel

Les falaises
Virginie DeChamplain
La Peuplade
224 pages
3 étoiles et demie

« Je pense que je suis brisée. J’ai l’automne à l’envers. En dedans au lieu d’en dehors. Humide, tiède dans le creux des joues. Du vent qui craque dans la cage thoracique. C’est octobre. Ma mère est morte et je n’ai pas encore pleuré. »

C’est avec cette prose forte et imagée que s’amorce Les falaises, un premier roman réussi et prenant de Virginie DeChamplain, qui ausculte les blessures du passé qui ne cicatrisent jamais totalement dans une langue teintée d’onirisme où forces de la nature et nature humaine valsent au gré des marées.

La mère de V., qui vit dans la Gaspésie profonde, dans une maison ayant appartenu à sa propre mère, s’est jetée du haut d’une falaise. Retournant dans l’endroit qui l’a vue naître, et qu’elle s’est appliquée à fuir depuis des années, la protagoniste entame un pèlerinage intérieur douloureux et vertigineux, mais non dénué de poésie. Troisième d’une génération de « femmes folles », elle trouve en elle, malgré elle, les traces de sa mère, mais aussi de sa grand-mère, dont elle découvre dans la cave de la maison les journaux intimes relatant une vie en apparence rangée où grondait sous la surface une puissante envie de liberté, que cette dernière finira par trouver dans les terres de ses ancêtres, en Islande.

Au cœur de cette maison où rodent les fantômes, V. établira son quartier général dans le salon aux fenêtres grandes ouvertes qui laissent entrer le vent froid d’automne, faisant écho à la tempête qui est à l’œuvre en elle. « J’ai trouvé des cahiers […], les ai placés par terre, en demi-cercle, autour de mon île. Je voulais les avoir tous devant moi, me trouver en plein centre. Le point d’où l’histoire part et où elle revient. »

Sentant en elle ce même « trou dans le ventre », héritage générationnel, V. descendra en elle-même, écumera sa colère, pour finir par y trouver le début d’une envie, celle de vivre, ou à tout le moins de réapprendre à vivre, notamment au contact de la « renarde rousse », Chloé, qui possède un bar dans le village. S’envolant à son tour en terres islandaises, elle partira à la recherche de cette falaise où apprivoiser son vertige intérieur, son « souffle coupé par le vide. » Et en remontant l’histoire familiale, elle permettra à la sienne de prendre son envol. 

On entre dans Les falaises comme la protagoniste entre, lentement, en elle-même, porté par le souffle et la souffrance muette d’une femme qui apprendra à jeter un regard neuf sur les choses et la vie. Au fil de chapitres assez courts, entrecoupés d’apartés poétiques, l’autrice nous amène avec elle dans ce voyage intérieur. Beau.

Critique

Une énigme envoûtante

L’île au secret
Ragnar Jónasson
La Martinière
352 pages
Trois étoiles et demie

Parallèlement à sa série de romans policiers mettant en scène le jeune Ari Thór dans une petite ville aux confins du cercle polaire, l’Islandais Ragnar Jónasson a amorcé une passionnante trilogie avec l’inspectrice Hulda Hermannsdóttir, rencontrée il y a deux ans dans La dame de Reykjavík. Le deuxième volet, qui vient de paraître, se passe 15 ans plus tôt. Hulda est à l’aube de la cinquantaine, vit seule – de nouvelles bribes de la tragédie qui a bouleversé sa vie prennent forme discrètement –, et enquête sur une mort suspecte survenue dans une île inhabitée où ont séjourné quatre vieux amis, réunis pour un sombre anniversaire. Les énigmes à huis clos réussissent toujours aussi bien à l’auteur qui en a fait sa signature. Ragnar Jónasson possède la faculté de nous immerger dans la magie de lieux déserts, où les paysages prennent une forme quasi humaine et apportent au récit leur part de mystère. Il alterne les points de vue et les histoires à un rythme prenant qui ne laisse aucune place à l’ennui. Le moins qu’on puisse dire, c’est que le rendez-vous qu’il nous donne l’an prochain pour le troisième titre, qui se déroule 10 ans plus tôt, sera longuement attendu.

— Laila Maalouf, La Presse

Plongée dans la folie

Marche blanche
Claire Castillon
Gallimard
167 pages
Trois étoiles

Il y a 10 ans, la petite Hortense, 4 ans, a disparu après avoir échappé quelques secondes à la vigilance de sa mère. Dix ans plus tard, une nouvelle famille s’installe en face de chez ses parents, et la mère reconnaît sa fille dans l’adolescente de la maison. Avec une narration à la première personne, Marche blanche est une plongée au plus profond d’un esprit dérangé, et ne laisse pas beaucoup de place pour respirer. C’est qu’elle ne va pas bien, cette femme, elle ne supporte plus personne autour d’elle, pas même son mari Carl, qui est pourtant devenu son paravent contre l’extérieur – tellement qu’on se demande pourquoi ces deux-là sont encore ensemble. Avec son écriture qui suit les méandres de la pensée de la narratrice, Claire Castillon tourne en rond avec elle : sa vie s’est arrêtée il y a 10 ans, et elle ressasse constamment les mêmes questions, les mêmes doutes, les mêmes angoisses.

L’autrice française s’approche ainsi au plus près de la folie, dans une ambiance de thriller et de mystère franchement bien mise en place. Par contre, toute cette précision et cette finesse d’observation finissent par créer un certain agacement au détriment de l’empathie, et le revirement final ne vient pas arranger les choses. C’était probablement le but recherché, mais disons qu’on ne ressort pas de Marche blanche avec un sentiment de bien-être. À lire si une tentative de mettre en mots la folie nous intéresse, mais en ces temps de confinement, ce roman noir et sans issue n’est vraiment pas pour tout le monde.

— Josée Lapointe, La Presse

Critique

Des exemples éclairants

La peur rouge – Histoire de l’anticommunisme au Québec (1917-1960)
Hughes Théorêt
Septentrion
216 pages
Trois étoiles

Deux constats surgissent à la fin de cette lecture. C’est un livre savant. Et accessible. On remerciera auteur et éditeurs pour cet effort de vulgarisation farci d’exemples éclairants. Dès l’introduction, l’auteur prend position en affirmant que « le communisme a été un échec sur toute la ligne ». Mais, enchaîne-t-il, la guerre qu’on lui a faite au Canada, par le premier ministre Richard Bennett, et au Québec par Maurice Duplessis, a été disproportionnée par rapport à son influence. On connaît bien la loi québécoise du cadenas, mais au fédéral, le communisme a été interdit de 1931 à 1957 ! Au Québec, Duplessis travaillait dans une complicité de tous les instants avec le clergé, pour qui communisme équivalait à athéisme. L’auteur a plongé dans les archives pour en tirer des exemples dignes d’un film d’épouvante. Même la Seconde Guerre mondiale, moment de rapprochement entre Alliés et URSS, n’a pas mis fin à la chasse aux communistes. Or, jamais le mouvement fasciste n’a été autant tourmenté. Par contre, il est amusant de voir que dans les années 50, les Canadiens ne voulaient rien savoir du maccarthysme états-unien dont la guerre au communisme a connu plusieurs excès.

— André Duchesne, La Presse

Critique

L’isolement

Faule
Sarah Brunet Dragon
Leméac
160 pages
Deux étoiles et demie

Le roman Faule résonne particulièrement en cette ère de confinement forcé. À la différence que Faule, la protagoniste de ce récit écrit par la jeune autrice Sarah Brunet Dragon (À propos du ciel, recueil de poèmes, Cartographie des vivants, essai) choisit cet isolement tout à fait volontairement.

La jeune femme, qu’on devine souffrir d’un mal-être profond, décide de déménager, seule, dans une vieille maison bancale de North Hatley, pour une raison obscure qui n’est jamais vraiment détaillée. « Je ne veux pas qu’on m’habite. » Ce constat est le déclencheur de son retrait brutal du monde. S’isolant de tous et d’elle-même, on suit le cours lent et presque inchangé de son existence alors que se déroulent les jours, les mois, les saisons, les années. Détachée de tout, évitant tout contact social, Faule est comme gelée, figée, immobilisée dans cet état de suspension où la solitude est reine. Seules les cigarettes, qu’elle enfile les unes après les autres maladivement, semblent ponctuer le cours de ses jours.

La langue reflète cet état ; descriptive et détachée, presque ascétique, elle s’attarde aux détails qui croisent le champ de vision de Faule ; sa maison, son jardin, la nature, son voisin musicien, N., pour laquelle elle développe une étrange obsession. Parfois, le récit se teinte d’onirisme et verse dans le surréel, alors que la frontière avec le réel devient floue. Divisé en quatre « mouvements », le livre est constitué de courts paragraphes, comme de petits poèmes en prose, mais on a de la difficulté à entrer dans le récit et à s’attacher à ce personnage évanescent et fermé. Malgré une écriture aux accents poétiques bien maîtrisée, on comprend mal où l’autrice veut nous amener avec ce roman qui ne trouve pas de dénouement. Dommage.

— Iris Gagnon-Paradis, La Presse

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