Destruction de milieux humides

Une somme record versée en compensation

Québec a récolté une somme record de 37,2 millions de dollars pour la destruction de 3,8 km⁠2 de milieux humides entre le 1er avril 2021 et le 31 mars 2022. C’est du jamais-vu depuis l’entrée en vigueur de la Loi concernant la conservation des milieux humides et hydriques en 2017.

À elles seules, les régions de la Montérégie, des Laurentides, de Laval, de Chaudière-Appalaches et du Centre-du-Québec totalisent 70 % des compensations versées en un an au ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MELCC). En échange, tout près de 1,8 km⁠2 de milieux humides ont été détruits dans ces régions.

Le MELCC a ainsi autorisé de nombreux projets dans les régions où il en coûte le plus cher pour détruire des milieux humides. À Laval, par exemple, il a fallu débourser 50,43 $ pour chaque mètre carré détruit, contre 5,05 $ en Abitibi-Témiscamingue.

La loi entrée en vigueur en 2017 a introduit un système de compensations financières qui sont versées au Fonds de protection de l’environnement et du domaine hydrique de l’État. Les sommes recueillies doivent servir à des projets de création ou de restauration de milieux humides.

Or, Québec n’a dépensé que 2,6 % des fonds recueillis à ce jour, révélait La Presse au début du mois d’octobre. Au rythme actuel, plusieurs experts doutent que le MELCC arrive à respecter l’objectif de la loi, soit « aucune perte nette ».

« On s’attendait à ce que le programme permette de diminuer la destruction de milieux humides, mais ce n’est pas arrivé », constate la biologiste Stéphanie Pellerin, spécialiste des milieux humides au Québec. Elle se dit d’autant plus inquiète que les sommes récoltées par Québec seront nettement insuffisantes pour créer ou restaurer des milieux humides afin de respecter l’objectif d’aucune perte nette, estime-t-elle.

« L’augmentation fulgurante des revenus découlant de l’autorisation de détruire des milieux humides est une belle indication que dans l’approche “éviter, minimiser, compenser”, c’est la compensation qui l’emporte. »

— Alain Branchaud, directeur général de la Société pour la nature et les parcs au Québec

Selon lui, « forcer les promoteurs à identifier et réaliser les projets de compensation en amont dans le respect de la politique d’aucune perte nette serait une façon de renverser la tendance ».

Seuil critique

Précisons que la nouvelle loi sur les milieux humides prévoit qu’il faut chercher à « éviter » la destruction d’un milieu, ou sinon en « minimiser » les conséquences avant de passer à la compensation financière en échange de sa destruction.

« Si on s’attend à ce que le marché s’autorégule et qu’on compte seulement sur le milieu pour décider où l’on doit faire des projets, on peut se demander s’il y a un pilote dans l’avion », signale la biologiste Kim Marineau. Elle s’inquiète entre autres de constater que le rythme de destruction des milieux humides n’a guère ralenti dans des régions où l’on s’approche probablement d’un seuil critique.

C’est dans ces régions que les compensations sont les plus importantes, en bonne partie en raison de la valeur plus élevée des terrains. Selon Mme Marineau, des difficultés vont apparaître quand on voudra y créer des milieux humides en raison de la rareté des terrains disponibles et des coûts d’acquisition élevés.

Le MELCC dit se donner « au moins 10 ans pour mettre en place les différents mécanismes de la Loi concernant la conservation des milieux humides et hydriques et tendre vers un objectif d’aucune perte nette ». Or, Stéphanie Pellerin et Kim Marineau croient que le Ministère pourrait avoir de mauvaises surprises au terme de cette période.

Mme Pellerin note entre autres que le gouvernement devrait y aller plus prudemment, « parce qu’on n’a pas les données scientifiques permettant d’établir le minimum requis de milieux humides dans chaque région ».

Dans ce contexte, Stéphanie Pellerin comme Kim Marineau estiment que les sommes recueillies seront loin de suffire. « C’est un peu de la pensée magique de croire qu’on peut détruire ces milieux humides et penser qu’on va atteindre l’objectif d’aucune perte nette », ajoute Mme Pellerin. Selon elle, le MELCC a d’ailleurs déjà changé son approche et parle plutôt d’aucune perte nette en fonctions écologiques et non de superficies de milieux humides.

« On assiste à la faillite d’un système et on est en train de rater complètement l’objectif, affirme l’avocat spécialisé en droit de l’environnement Jean-François Girard. D’ici peu, il sera trop tard pour rattraper le terrain perdu par toutes ces autorisations ayant permis encore et encore la destruction de milieux humides. »

Le ministre de l’Environnement, Benoit Charette, comme son ministère n’ont pas donné suite aux questions soumises par La Presse.

— Avec la collaboration de William Leclerc, La Presse

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