COVID-19

Des inquiétudes pour le cerveau des adolescents

La pandémie a fait vieillir prématurément le cerveau des adolescents, avance une étude américaine. Sa méthodologie est controversée, mais elle s’ajoute néanmoins à d’autres études ayant démontré que l’adversité vécue avant l’âge adulte cause une maturation prématurée du cerveau.

L’étude

L’objectif initial d’Ian Gotlib, le psychologue de l’Université Stanford qui a publié ses résultats en décembre dans la revue Biological Psychiatry, était d’observer la maturation du cerveau à l’adolescence chez plusieurs centaines d’adolescents. « On leur faisait un scan de cerveau tous les deux ans. Mais au milieu de la troisième période de scans, la pandémie est survenue. On a dû interrompre le programme. Quand on l’a repris, on a terminé la troisième période de scans pour 163 adolescents qui n’avaient pas eu le leur avant la pandémie. On a décidé de comparer leurs images de cerveau avec des images d’adolescents du même âge, avant la pandémie. C’est là qu’on a vu que le cerveau des adolescents qui ont vécu la pandémie avait connu une maturation prématurée. » Par exemple, leur hippocampe, une région du cerveau importante pour la mémoire, avait grandi plus rapidement que la normale.

« Une maturation prématurée amène des problèmes, de la même manière qu’une puberté prématurée augmente le risque de certains problèmes, par exemple les troubles alimentaires. »

— Ian Gotlib, psychologue de l’Université Stanford et auteur de l'étude

Les critiques

Sylvain Baillet est spécialiste de la neuroimagerie à l’Institut neurologique de Montréal. Pour lui, l’étude de M. Gotlib comporte plusieurs lacunes. « Ce ne sont pas les mêmes participants qui ont été testés pré et post-COVID, dit M. Baillet. La diversité à travers la population est importante et les effets rapportés sont trop petits pour être certain de leur significativité biologique. » Pour avoir assez d’impact statistique, les chercheurs ont comparé dans leur analyse les cerveaux de deux groupes d’adolescents. D’une part, des adolescents qui ont eu le scan post-COVID. De l’autre, des adolescents ne l'ayant pas eu. L’examen pré-COVID analysé pour ces derniers devait avoir été fait alors qu’ils avaient le même âge que ceux du premier groupe lors de leur test post-COVID. Marie-France Marin, biologiste spécialiste du stress à l’UQAM, est moins catégorique, mais elle aussi critique. « La méthodologie n’est pas mauvaise, mais il faut prendre ça avec un grand grain de sel, avant que les parents s’inquiètent », dit Mme Marin. Elle souligne aussi que l’appareil d’imagerie médicale a été remplacé durant la pandémie. « Normalement, ça peut arriver en cours de recherche, mais là, on compare deux groupes et deux machines. » Gustavo Turecki, un psychiatre de l’Institut Douglas de l’Université McGill qui a travaillé avec la cohorte d’adolescents de M. Gotlib quelques années avant la pandémie, souligne qu’il est très difficile de démontrer de manière longitudinale, en suivant les mêmes personnes pendant plusieurs années, que certains traumatismes affectent le développement du cerveau. « On le voit dans plusieurs études transversales, des photos à un moment donné, et généralement avec des traumatismes plus importants, comme un placement, par exemple, dit le DTurecki. C’est important d’acquérir ces connaissances pour mieux aider les enfants et les adolescents dans leur développement. »

L’évolution

Pourquoi le cerveau des adolescents mûrit-il plus vite face à l’adversité ? « On pense que c’est un héritage de l’évolution, dit le DTurecki. Quand la vie est plus difficile, il faut que la puberté arrive plus rapidement, et que l’individu devienne autonome plus rapidement, pour avoir une chance de se reproduire avant de mourir. Mais il y a un coût à cette maturation plus rapide. Le cerveau ne se développe pas de manière optimale. Il y a notamment une hypervigilance envers les menaces potentielles. » Mme Marin confirme que cette hypothèse est considérée comme valide par de nombreux chercheurs.

L’âge du cerveau

Le concept d’âge du cerveau a été au départ développé pour les personnes âgées, pour associer certains facteurs à un déclin cognitif plus ou moins hâtif. « C’est une mesure qui ne fait pas l’unanimité, même chez les personnes âgées, dit M. Baillet. Sa validité biologique n’est pas établie, particulièrement pour des groupes pour lesquels on utilise peu le concept d’âge du cerveau, comme les adolescents. » M. Gotlib fait valoir qu’il se limite à décrire la maturation de certaines régions du cerveau à l’adolescence. « J’ai utilisé le terme âge du cerveau, mais ce n’est pas pour dire qu’on peut dire, en voyant le cerveau d’un adolescent précis, quel âge il devrait avoir. »

L’adversité

D’autres études ont montré que l’adversité affecte la maturation du cerveau. Mme Marin mentionne notamment les travaux de Megan Gunnar de l’Université du Minnesota et de Sonia Lupien à l’Université de Montréal. En 2015 dans la revue Neuroimage, par exemple, Mme Gunnar avait démontré que chez les enfants placés dans un orphelinat, puis adoptés, la durée du séjour en orphelinat était liée à des changements dans la structure du cerveau. Mme Lupien, spécialiste du stress, avait montré en 2011 dans la revue PNAS que les enfants dont la mère souffrait de dépression sévère avaient une amygdale plus grande et étaient « hypervigilants » face aux menaces. Il s’agit de la région du cerveau responsable de la gestion des émotions. « Le cerveau répond aussi du côté positif, dit Mme Marin. Michael Meaney a montré qu’un environnement riche et stimulant a un effet bénéfique sur le cerveau. »

10

Nombre de décès dus à la COVID-19 chez les moins de 20 ans au Québec au 1er mars

Source : Institut national de santé publique du Québec (INSPQ)

267

Nombre d’hospitalisations aux soins intensifs dues à la COVID-19 chez les moins de 20 ans au Québec au 1er mars

Source : INSPQ

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