« Ça fait 10 ans qu’on attend »

Raif Badawi sera-t-il libéré le mois prochain ?

Près d’une décennie après l’emprisonnement de Raif Badawi en Arabie saoudite, sa femme compte les jours avant sa libération, qui devrait avoir lieu dans un mois, selon elle.

« Ça fait 10 ans qu’on attend. Il reste à peu près 35 jours », souffle Ensaf Haidar, femme de Raif Badawi. « Pour nous, c’est quand même 10 ans. C’est long, c’est très long. » Pour ses trois enfants de 14, 17 et 18 ans et elle, l’attente au Canada est difficile. Selon le calendrier lunaire musulman, le 28 février prochain marquera le 10e anniversaire de son incarcération. Mme Haidar estime que son mari sera libéré à cette date.

De son côté, Amnistie internationale Canada francophone affirme n’avoir eu aucune confirmation que la libération se ferait en février. « Mais d’ici le mois de juin, ça fera 10 ans, peu importe le mode de calcul, soutient France-Isabelle Langlois, directrice générale. On a espoir effectivement qu’il sera libéré d’ici là, parce qu’il y a eu d’autres libérations au cours des derniers mois. Évidemment, on aurait aimé qu’il soit libéré avant. »

Le 17 juin 2012, Raif Badawi a été arrêté puis condamné à 10 ans de prison pour avoir publié un blogue discutant des questions sociales en Arabie saoudite.

Déclaré coupable entre autres d’insulte à l’islam, le blogueur a été condamné à 1000 coups de fouet, dont il a reçu les 50 premiers en 2015. Il aurait échappé aux autres pour des raisons médicales.

Le tribunal a aussi interdit à Raif Badawi de pratiquer le journalisme, de voyager pendant 10 ans à l’issue de sa peine de prison, en plus de lui imposer une amende de 1 million de riyals, soit près de 340 000 $ aujourd’hui.

L’espoir de la citoyenneté

Chaque vendredi, des résidants de Sherbrooke se joignent à Ensaf Haidar devant l’hôtel de ville pour manifester leur appui et réclamer la libération de Raif Badawi. « Ils sont toujours derrière nous, dit-elle. C’est ma ville, c’est mon pays. »

Mme Haidar espère que son mari aura bientôt la citoyenneté canadienne, une source « d’espoir » pour elle.

« Je veux que le Canada m’aide pour qu’il nous rejoigne ici. »

— Ensaf Haidar, au sujet de son mari, Raif Badawi

L’an dernier, une motion a été adoptée à la Chambre des communes et au Sénat pour demander à Marco Mendicino, qui était alors ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté, d’attribuer la citoyenneté à Raif Badawi. L’Arabie saoudite ne reconnaît toutefois pas la double citoyenneté. « Mais ça peut être un élément de pression, le gouvernement canadien pourrait faire valoir qu’il fait partie de ses citoyens », souligne France-Isabelle Langlois, d’Amnistie internationale.

Interrogé sur cette question par La Presse, Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada a dit travailler « avec le ministère des Affaires étrangères concernant les motions présentées à la Chambre et au Sénat ». « Le gouvernement du Canada est très préoccupé par le cas de Raif Badawi en Arabie saoudite et a toujours défendu ses intérêts et continuera de saisir toutes les occasions pour le faire. Son bien-être est au premier plan de nos préoccupations », a écrit Nancy Caron, porte-parole du Ministère.

Faire pression sur l’Arabie saoudite

En attendant sa libération, il faut continuer de parler de Raif Badawi, souligne France-Isabelle Langlois. « Ça fait pression et ça fait de la mauvaise presse, fait-elle valoir. Il n’y a personne qui veut cette attention-là. » La mobilisation doit aussi se poursuivre après sa peine, afin de lui permettre de rejoindre sa famille au Canada, ajoute-t-elle.

Les autorités saoudiennes ne céderont pas à la pression occidentale, estime néanmoins Jocelyn Coulon, chercheur au Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal (CERIUM). La vente de véhicules blindés à l’Arabie saoudite ne place pas le Canada « dans une position pour influencer le gouvernement saoudien, dit-il. Qu’est-ce qu’on veut choisir, la libération de Raif Badawi ou les véhicules blindés ? », demande M. Coulon.

— Avec La Presse Canadienne

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Nombre de personnes poursuivies en justice en Arabie saoudite pour avoir exercé leur droit à la liberté d’expression, d’association ou de réunion entre 2013 et 2021 Source : Amnistie internationale Canada francophone

2021

Année où a été libérée Samar Badawi, sœur de Raif Badawi, emprisonnée en 2018 en raison de ses activités militantes en faveur des droits des femmes Source : Amnistie internationale

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