Société

La peur, une amie pour la vie

C’est avec beaucoup de fierté qu’Émilien, 5 ans, déclare haut et fort qu’il n’a pas peur. De rien. Pas même du noir, pas même des monstres cachés sous son lit, rien de rien.

« Mon petit, frère, lui, oui, il a peur quand je fais “Boo !” dans son dos. Mais il est petit. Et moi, je suis grand. »

Sa mère a du mal à retenir un éclat de rire. « Tu ne te rappelles pas, le monstre qui t’a fait peur dans le film ? », demande-t-elle.

Sourire gêné d’Émilien. Oui, mais non. « C’est vrai qu’il n’est pas très craintif », remarque sa mère.

Ceci explique sans doute cela : tous les enfants ne naissent pas égaux dans ce domaine. « Certains naissent prédisposés à ressentir beaucoup la peur, alors que d’autres vont sembler gérer de façon plus facile la nouveauté ou des situations perçues comme étant potentiellement menaçantes », remarque Jean-Pascal Lemelin, professeur à l’Université de Sherbrooke, spécialiste du développement de l’enfant.

Ce sont des enfants qui se tiennent souvent un peu plus en retrait, qui auront peur d’aller voir le père Noël, par exemple, ou qui vont se tenir en marge des groupes d’amis. Qui pleurent plus, aussi, dès 6-7 mois.

Cet état n’est pas coulé dans le béton.

« On sait, maintenant, qu’on naît avec des prédispositions avec des fondements génétiques, mais qu’ils peuvent être influencés par des expériences environnementales. »

— Jean-Pascal Lemelin, professeur à l’Université de Sherbrooke, spécialiste du développement de l’enfant

Un enfant qui naît très craintif peut le rester toute sa vie ou le devenir de moins en moins, et c’est cette transformation qui intéresse particulièrement les chercheurs, car un enfant plus peureux de naissance risque aussi, après coup, de souffrir de troubles anxieux. « Tout n’est pas négatif, tempère néanmoins Jean-Pascal Lemelin. Ces enfants sont aussi plus aptes à démontrer de l’empathie et ils ont une probabilité moins grande de développer des troubles oppositionnels ou agressifs. »

Adolescence et anxiété

À l’adolescence, on remarque actuellement une hausse marquée de l’anxiété, particulièrement pour la génération qui a grandi avec l’internet, les réseaux sociaux, depuis son plus jeune âge. « Il y a une rupture en 1994, dit Samuel Veissière, professeur au département de psychiatrie de l’Université McGill. La génération née après 1994 est de loin la plus anxieuse qu’on n’a jamais connue », dit-il. La peur du noir ou des monstres sous le lit a fait place à la peur de l’échec, de rater quelque chose (« fear of missing out » – FOMO), de ne pas être assez populaire, alouette. « Les enfants des tranches socio-économiques plus élevées sont plus à risques parce qu’ils ont été plus surprotégés, sont moins capables de développer des stratégies de résilience, mais aussi parce que les attentes de succès sont très hautes », dit Samuel Veissière.

Apprivoiser la peur

Dans le cas d’Émilien, tout porte à croire que ses (rares) peurs d’enfants s’estomperont en vieillissant. Pour laisser la place à de nouvelles lorsqu’il sera plus grand. « J’ai des peurs que je n’avais pas avant, remarque sa mère, Améline Couture. Surtout depuis que je suis maman. J’ai peur en voiture, des fois, maintenant. Peur quand les garçons traversent la rue. Ce n’est pas rationnel, mais c’est comme ça. »

« La peur peut être enracinée dans notre enfance. Ou acquise sur le tard : elle a des visages multiples. Petits, on a souvent peur de choses plus concrètes, comme le noir. Après, on parle plutôt de stress ou d’anxiété. »

— Jonathan Alpert, auteur du livre Be Fearless : Change Your Life in 28 Days

Quoi qu’en dise le titre de son livre, Jonathan Alpert ne pense pas que vivre sans peur aucune soit une option.

« Nous avons besoin d’être alerte, de détecter les situations dangereuses. Le problème, c’est quand la peur nous empêche d’agir », observe le thérapeute. Il ne promet pas à ses patients que l’expérience sera agréable – un patient terrorisé à l’idée d’inviter une fille à sortir n’obtiendra évidemment pas nécessairement un « Oui ! » enthousiaste –, mais au moins il sera content d’avoir fait un premier pas et tenté sa chance, explique Jonathan Alpert.

En vieillissant, certains troubles d’anxiété tendent à s’atténuer, remarque Samuel Veissière. « On ne sait pas pourquoi, mais on sait que le phénomène existe. Il se pourrait qu’en vieillissant, on devienne un peu plus sage ». Très bien. Mais avec le temps et les années qui passent, rares sont ceux qui échapperont à cette peur universelle qu’est la mort, rappelle Gérard Guerrier, auteur du livre Éloge de la peur.

« Avant 30 ans, on n’a encore qu’une connaissance livresque de la mort. On a perdu nos grands-parents, mais pas nos parents, pas nos amis. Après 50-60 ans, la peur nous rattrape, souvent parce qu’on a côtoyé la mort », observe-t-il.

Mais là encore, ce n’est pas nécessairement une mauvaise chose. « Entre 15 et 30 ans, on prend beaucoup de risques, on est assez téméraires, souligne l’auteur. Après, on devient plus sensible aux signaux de la peur, à nos limites à nous. »

À chaque âge sa peur

Les préoccupations changent avec l’âge. Voici les risques qui inquiètent le plus les Québécois de plus de 18 ans, par tranche d’âge, selon le sondage du groupe CIRANO sur la perception des risques au Québec, mené en 2018.

L’environnement

est la plus grande préoccupation des Québécois de 18 à 34 ans (37 % des répondants).

L’économie

est la plus grande préoccupation des Québécois de 35 à 54 ans (48 %)

La santé

est la plus grande préoccupation des Québécois de 55 à 74 ans (53 %) et de 75 ans et plus (71 %).

Les 5 peurs les plus recherchées au Québec en 2018 sur l’internet

1. Peur des trous

2. Peur de la noirceur/obscurité

3. Peur des longs mots

4. Peur des hauteurs

5. Peur de manquer quelque chose (« fear of missing out »)

Source : Google

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