François Dompierre

Une vie pour la musique

Rencontrer François Dompierre, c’est entrer de plain-pied dans l’histoire de la musique au Québec. C’est découvrir un homme sage qui ne regarde pas son riche passé et préfère nourrir de nouveaux projets. À l’occasion de la reprise de Demain matin, Montréal m’attend, ce brillant compositeur a ouvert les portes de sa mémoire.

François Dompierre est arrivé au Café Cherrier, là où on s’était donné rendez-vous, muni d’une canne. Il s’est empressé de me dire qu’une hernie discale expliquait la présence de cet objet gênant. Le compositeur s’était blessé lors d’un déménagement.

En effet, après de nombreuses années de bonheur à Sutton, le compositeur, arrangeur et pianiste s’est décidé à revenir à Montréal. « Ce qui m’inquiète le plus, c’est la randonnée que je dois faire avec une douzaine de personnes très bientôt à Saint-Jean-de-Luz », me dit-il en balançant sa canne sur la banquette.

À 74 ans, celui qui a des centaines de partitions musicales à son actif est dans une forme resplendissante. Tout en me disant plusieurs fois qu’il ne vit pas dans le passé, il prouve qu’il a la mémoire vive et le verbe précis. Suffisamment pour qu’il puisse me raconter en détail la création de Demain matin, Montréal m’attend, qu’il a composée avec Michel Tremblay en 1970 et qui fait l’objet d’une reprise au TNM.

« Je rentrais d’une tournée avec Jacques Brel et Renée Claude, et j’avais en tête de faire une comédie musicale sur la vie du Christ. J’ai pensé à Tremblay, qui avait à ce moment-là le vent dans les voiles. On s’est rencontré, et Tremblay m’a dit : ‟C’est une bonne idée, sauf que c’est déjà fait et ça s’appelle Jesus Christ Superstar.” J’étais un inculte dans ce domaine, et l’anecdote le démontre assez bien. »

Faire des chansons rapidement

Tremblay ne se laisse pas démonter par cette faiblesse du compositeur qui a déjà signé, à l’époque, plusieurs chansons et quelques musiques de film. L’auteur des Belles-sœurs lui parle d’un projet de « floor show » qu’il s’apprête à faire avec son ami André Brassard et qui doit être présenté au Jardin des étoiles.

« Tremblay m’a tendu une feuille, raconte Dompierre. C’était le texte de Demain matin, Montréal m’attend. J’ai improvisé sur-le-champ. Je me suis dit : la fille vient de Saint-Martin, je vais faire une petite gigue. Je ne me suis pas censuré. J’ai fait cela comme je fais mes chansons. Et pour moi, les chansons qui ont pris le moins de temps à faire ont été les meilleures. Ça s’est passé comme ça pour L’âme à la tendresse [immortalisée par Pauline Julien], et c’est comme cela que nous avons travaillé, Tremblay et moi, durant tout ce projet. »

Jusque-là, Dompierre avait surtout écrit des chansons pour Renée Claude, Stéphane Venne et lui. Celles qu’il composait pour le plus grand plaisir de Tremblay et de Brassard devaient toutefois former un tout. « Nous avions peu d’expérience en comédie musicale au Québec. Le Théâtre La Marjolaine présentait du théâtre musical, mais ça se résumait à cela. »

« Tremblay connaissait les comédies musicales américaines de Broadway. Il avait compris que l’auteur doit s’effacer de manière à créer un état d’osmose avec le compositeur. Ça doit devenir une œuvre unique et non une œuvre de théâtre avec des chansons plaquées dessus. »

— François Dompierre 

L’artiste a terminé les arrangements musicaux des chansons (auxquels on est resté fidèle dans la production du TNM, mais qui sont interprétés avec un plus petit nombre de musiciens) alors qu’il était en Provence. Il a envoyé les partitions par avion.

Habitué à travailler avec des chanteurs, François Dompierre savait qu’il allait composer des mélodies pour des gens qui étaient à la base des comédiens, dont Denise Filiatrault et Denise Proulx.

Un succès instantané

« J’ai toujours été proche du théâtre. Quand j’étais au conservatoire, les musiciens étaient au cinquième étage et les comédiens, au quatrième. J’étais toujours rendu là. D’abord parce que les belles filles étaient au quatrième et que je trouvais les musiciens plates. Pour Demain matin, Montréal m’attend, on a fait le casting ensemble. Brassard et Tremblay étaient très respectueux à mon égard. Ils me faisaient confiance. Ils me demandaient toujours mon avis. On savait que Louise Forestier chantait et qu’elle avait fait l’École nationale de théâtre. Brassard avait très envie de travailler avec elle. »

La création de Demain matin, Montréal m’attend a eu lieu le 4 août 1970 au Jardin des étoiles devant un public enthousiaste. 

« Ça a été un succès instantané. La chanson-thème était déjà un ver d’oreille pour Tremblay et Brassard, et elle l’est devenue pour les spectateurs. Ça a marché sur scène, mais pas à la radio. »

En 1972, la comédie musicale a été reprise à la Place des Arts et au Grand Théâtre de Québec. Sept chansons ont été ajoutées. Puis, en 1996, il y a eu la mise en scène de Denise Filiatrault. « Là, c’est devenu un vrai show de Broadway. Denise, elle connaît ça. »

Avant de plonger dans cette aventure, François Dompierre ne connaissait rien au monde des cabarets et des travestis. « Je viens d’un milieu plus bourgeois que Michel. Il vient du Plateau ; moi, je viens de Hull. Ma mère, qui a fréquenté Félix Leclerc, était d’Ottawa. Je connaissais un peu les coquineries, ça m’excitait beaucoup. Tremblay et Brassard sont gais. À l’époque, ça se disait à peine. Je savais que ça existait et je trouvais cela très cool de travailler avec ces gars. »

Des projets à la tonne

Demain matin, Montréal m’attend a été créée il y a bientôt 50 ans. François Dompierre continue de nourrir une passion pour ce genre musical. Il travaille actuellement à une adaptation pour la scène du film Is Paris Burning ? de Larry Collins et Dominique Lapierre qui, si elle est produite, sera présentée à Broadway.

« Je travaille avec un auteur de New York. Vous savez, avoir une idée de comédie musicale, c’est facile ; l’écrire, c’est du travail, mais la monter, c’est la croix et la bannière. »

— François Dompierre

Parmi les autres projets de François Dompierre, il y a un concerto de violoncelle pour Vincent Bélanger, un musicien qui travaille beaucoup en Chine. Il y a également une fantaisie pour piano et orchestre dont la partie piano n’est pas écrite. 

« Le pianiste voit ce que l’orchestre joue et il doit improviser sa partie, explique François Dompierre. Il n’y a jamais deux versions pareilles. » Cette œuvre, qui a pour titre Fantaisie pour fantôme et orchestre, sera interprétée en novembre à Montpellier, en France.

Au moment de notre rencontre, François Dompierre se préparait à participer de nouveau à la Fête de la musique de Mont-Tremblant. L’an dernier, il y a vécu un véritable choc. « Je donnais une conférence et, à la fin, j’ai demandé à ceux qui le voulaient de venir s’asseoir à côté de moi, au piano. Une femme s’est levée et m’a dit qu’elle improvisait avec sa voix. Je me suis dit intérieurement : ‟Bon, matante va venir chanter”. Elle s’est installée et s’est mise à improviser avec moi. Ç’a duré huit minutes. Ç’a été un des plus grands moments musicaux de ma vie. On a retravaillé sept ou huit fois ensemble. Elle se nomme Carole Aveline. C’est une incroyable improvisatrice. On va retravailler ensemble. »

François Dompierre me parle également d’un projet de disque avec des interprétations en anglais de certaines chansons de Félix Leclerc, en compagnie de sa nièce, Geneviève Dompierre-Smith.

Il me parle aussi de jeunes compositeurs qu’il aime : Guillaume Martineau, Martin Léon, Maxime Goulet. « Il faut dire, à leur corps défendant, qu’ils arrivent à un mauvais moment. Ils sont plusieurs à vouloir vivre de la musique. Au Québec, quand on décide de faire de la bière, du fromage et de la musique de film, on en fait jusqu’à plus soif. »

Demain matin, Montréal m’attend reprend l’affiche du TNM du 19 septembre au 22 octobre, avant de partir en tournée au printemps prochain.

IXE-13

« J’avais fait la musique de YUL 871 pour Jacques [Godbout]. Mais quand il a vu Demain matin, Montréal m’attend, ça l’a allumé. Il m’a proposé de faire la musique d’IXE-13. Finalement, ce film, c’est une comédie musicale sur grand écran. Jacques a toujours dit que c’était une comédie au deuxième degré. Il a complètement tort : cette œuvre est une comédie au 10e degré. C’est devenu un film culte pour les jeunes. Je verrais très bien ça sur scène. Tout se tient. Vous imaginez le résultat avec un gars comme Marc Labrèche ? S’il y a un producteur qui est intéressé, moi, j’embarque totalement. Il y a un travail d’adaptation à faire, c’est sûr. Je demanderais à des jeunes de refaire les arrangements. Mais je crois qu’il y a un potentiel fou. »

Félix Leclerc

« Les arrangements que j’ai faits pour Félix sont symphoniques. On l’enregistrait d’abord avec sa guitare, puis on ajoutait l’orchestre après. Cela nous permettait de retrouver le son Félix. J’ai eu une idée de fou, celle de faire un concert symphonique où je pourrais parler de lui. Je l’ai connu, j’ai travaillé avec lui. En plus, je pourrais l’imiter [il se met à imiter la voix de Félix à la perfection]. J’ai réécouté les arrangements et je trouve que ça tient la route. J’avais 12 bobines d’enregistrements 24 pistes de Félix. Je ne pouvais pas garder cela, car j’ai emménagé dans plus petit. J’ai donc téléphoné aux Archives nationales du Québec. Ils m’ont dit que ça les intéressait, mais que ça allait prendre plusieurs mois avant qu’ils puissent venir chercher les boîtes. Je leur ai dit que ça irait au recyclage. Ils ne m’ont jamais rappelé. J’ai finalement offert les enregistrements à sa fille. »

On est six millions, faut se parler

« Pour moi, il n’y a pas de musique facile et de musique sérieuse. La musique, c’est la musique. Je dirais même que moins c’était sérieux, meilleur c’était. Et plus vite c’était fait, meilleur c’était. J’ai fait près de 200 jingles et c’était toujours pour le lendemain. J’ai appris à faire des 30 et des 60 secondes à la vitesse de l’éclair. On est six millions, faut se parler, je l’ai composé comme ça [il claque des doigts]. On m’avait remis un texte de Raymond Marchand [il précise que ce brillant concepteur est mort récemment]. On est allés tellement vite qu’on n’a pas eu le temps de chercher un chanteur. C’est donc moi qui interprète le jingle. On avait fait ça au studio Perry. C’est une devenu un hymne quasi patriotique. »

Saute-mouton

« Pour faire mon disque Borne-fontaine, en 1975, j’ai dû hypothéquer ma maison. Ça m’a coûté 40 000 $. À cette époque, c’était du fric. Ma femme m’a dit : "C’est ben mieux de marcher, ton affaire !" Je me suis rendu compte que j’avais trop de matériel pour un disque, mais pas assez pour un disque double. J’ai donc décidé d’enregistrer les pièces sur trois faces et de demander à un jeune caricaturiste de faire un dessin sur la quatrième face. C’était Serge Chapleau. Il me manquait quand même une petite pièce de trois minutes pour compléter les trois faces. Un soir, je me suis mis au piano et j’ai improvisé quelque chose. J’ai décidé de mettre cette petite pièce sur le disque en me disant que les gens allaient l’oublier. Ç'a été un hit énorme, mon tout premier. Saute-mouton est la pièce qui m’a fait vivre. Elle m’a rapporté 400 000 $. Vous voyez, il ne faut jamais cracher dans la soupe quand on fait ce métier-là. »

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