La vérité derrière le mot qui commence par « g »

Il y a un an, la Première Nation de TK’emlups te Secwépemc révélait la découverte de 215 dépouilles d’enfants autochtones enterrés sur le site d’un ancien pensionnat pour Autochtones. Une découverte ? Pas pour tous. Les histoires d’enfants enterrés sous les pommiers ou retrouvés au bout d’une corde dans les pensionnats sont assez répandues dans les communautés. Depuis, une dizaine de Premières Nations ont fait la lumière, un début du moins, sur autant d’enterrements anonymes de masse en lien avec leurs enfants dans les pensionnats indiens fédéraux.

Il y a quelques années, au lendemain du dépôt du rapport sur l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées qui concluait, entre autres, à un génocide, j’affirmais dans ce même journal⁠1 que oui, quand on regarde l’histoire des Premiers Peuples de ce pays, il y a bien eu génocide. Dans le même numéro, le collègue Yves Boisvert disait le contraire⁠2. Autant vous dire que mon papier n’a pas été très bien accueilli. Les gens ne comprenaient pas. Ce qui est paradoxal, c’est que je comprenais qu’ils ne comprennent pas. Eux n’ont pas eu toute l’histoire.

Quand vous avez grandi dans une communauté autochtone, votre regard sur les choses, la justice et l’injustice notamment, se veut un peu différent.

Pendant longtemps, comme l’a si bien nommé Richard Desjardins, nous avons été le peuple invisible, celui qu’on ne voulait pas voir. Peu de gens se souciaient de notre sort. Si on résume, aux yeux de la majorité, nous étions soit des empêcheurs de tourner en rond, soit des privilégiés de l’État.

Ce que je sais, c’est que dans la réalité, les efforts déployés pour nous venir en aide étaient minimes. Le strict minimum. De l’argent pour qu’on survive, accrochés comme une truite à son hameçon, rien pour qu’on se développe.

J’ai entendu des récits difficiles qui parlaient de dépossession, de misère, d’abus et d’obéissance. J’ai entendu nombre d’histoires sur des enfants qui ne revenaient jamais des pensionnats, de bébés qu’on avait jetés dans l’incinérateur à leur naissance pour camoufler les preuves. Des histoires, il y en a beaucoup dans les communautés. Avec le temps, on apprend à en prendre et à en laisser. Et puis, sur le coup, ça paraît tellement incroyable, tout ça, même pour une Autochtone. Sauf que lorsque les histoires s’accumulent d’un survivant à l’autre, d’une communauté à l’autre, on ne peut que se poser de sérieuses questions.

Il y a plus d’un siècle, un médecin, le DPeter H. Bryce, avait de nombreuses fois alerté ses supérieurs au ministère des Affaires indiennes sur la tuberculose et les mauvaises conditions de vie qui tuaient de nombreux enfants au sein des pensionnats pour Autochtones partout au pays. Le DBryce parlait à l’époque d’un taux de mortalité infantile moyen de 25 %. Dans certains pensionnats, au Manitoba en particulier, la statistique grimpait à plus de 40 %. Dans un de ces rapports, le médecin écrivait ceci : « C’est comme si toutes les conditions premières pour l’éclosion d’épidémies avaient été créées délibérément. »

En guise de réponse, Bryce s’est vu interdire de parler publiquement.

Il en aurait coûté 15 000 $ sur un budget total de 100 millions de dollars à l’époque pour changer les choses. Le Canada a dit non. Le pays savait et il a choisi de ne rien faire.

Dans les années 1940, des fonctionnaires fédéraux furent avisés que la malnutrition était largement répandue à l’intérieur des pensionnats pour Autochtones et au sein des communautés. Au lieu de tenter de régler le problème, certains bureaucrates et scientifiques ont plutôt profité de l’état de ces pauvres gens pour tester différentes théories scientifiques en lien avec la famine ou la privation de certaines vitamines ou de certains minéraux.

En effet, en 1947, le médecin et biochimiste Lionell Pett, architecte du Guide alimentaire canadien, ainsi que d’autres chercheurs de la Federal Nutrition Services Division ont mené des expérimentations sur un millier d’enfants autochtones dans six pensionnats indiens fédéraux.

Les chercheurs proposaient alors au gouvernement fédéral de rendre les Autochtones plus « rentables » grâce à des expérimentations qui permettraient de parfaire les connaissances des besoins nutritionnels pour les êtres humains. C’est ainsi que le groupe a réussi à faire accepter son projet d’études. Dans une expérience par exemple, on a privé les enfants de lait pendant deux ans. Dans une autre, un groupe d’enfants recevait un mélange de farine qui contenait des os broyés et quelques vitamines comme de la niacine et de la thiamine. L’expérience a mené à de l’anémie et a certainement contribué à la maladie, voire à la mort.

Cette année 1947, c’est aussi celle de l’élaboration du code de Nuremberg qui stipule que le consentement éclairé et volontaire est nécessaire pour toute recherche sur des êtres humains. Rappelons que ce code a vu le jour à la suite des expériences biomédicales qui avaient été tenues sur des Juifs pendant l’Holocauste. Or, les Autochtones ne savaient pas qu’on menait des expériences sur eux. Ils n’ont conséquemment pas pu donner leur consentement.

Le Canada, lui, savait. Il a plutôt choisi de rentabiliser son investissement.

Est-ce que de savoir, d’avoir les moyens d’agir et de plutôt choisir sciemment de fermer les yeux et de ne pas intervenir se veut un génocide ? Près de 2000 sépultures anonymes plus tard – et il y en aura d’autres –, je ne sais plus si c’est vraiment important. La guérison ne se trouve pas dans un seul mot, mais dans un millier de mots et d’histoires d’un grand livre qu’on doit réécrire. Mais dans toute cette histoire, ces histoires, il reste la vérité. Et c’est elle qu’on doit prononcer.

1. Lisez le texte d’Isabelle Picard du 3 juin 2019 : « Les yeux des femmes »

2. Lisez la chronique d’Yves Boisvert du 3 juin 2019 : « Ce n’était pas un “génocide” »

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