Manifestations en Iran

Les femmes au cœur du mouvement

Amorcées le 16 septembre, les manifestations populaires qui secouent l’Iran à la suite de la mort d’une jeune femme de 22 ans, Mahsa Amini, ont atteint un tournant, estime Homa Hoodfar, professeure de l’Université Concordia emprisonnée pendant quatre mois en Iran en 2016. Et les femmes sont au cœur des protestations, dit-elle.

« En ce qui me concerne, nous sommes dans un tournant, confie Mme Hoodfar à La Presse. Le régime doit vraiment prendre un virage majeur. Mais pour ce que j’en vois actuellement, il ne va pas durer. Et les femmes comme les droits des femmes sont au centre de ce mouvement de protestations. On a vu des femmes dans les mouvements précédents, mais jamais comme aujourd’hui. »

La mort de Mahsa Amini a choqué, voire enragé la population iranienne. La jeune femme de 22 ans a été arrêtée le 13 septembre par la police des mœurs du pays en raison d’un port de « vêtements inappropriés », qui laissaient voir une mèche de cheveux. Arrêtée et emprisonnée à Téhéran, elle est tombée dans le coma et a été envoyée à l’hôpital, où elle est morte trois jours plus tard.

Les autorités iraniennes affirment qu’elle a eu un malaise cardiaque. Des témoins affirment qu’elle a été battue en prison. Une scanographie indique une hémorragie cérébrale. Depuis, le pays s’est enflammé. Les manifestations sont quotidiennes et très violentes.

Les autorités iraniennes parlent de 41 morts, incluant des membres des forces de l’ordre. L’ONG Iran Human Rights, établie à Oslo, estime de son côté que le nombre de morts est de 75. À cela, il faut ajouter quelque 1200 arrestations, selon la police.

Le mouvement n’est pas circonscrit à la capitale. Il s’étend dans tout le pays, dit Mme Hoodfar.

« Les protestataires sont des classes ouvrières, des classes moyennes, des petites comme des grandes villes. On entend ici la voix d’une nation. »

– Homa Hoodfar, professeure de l’Université Concordia emprisonnée pendant quatre mois en Iran en 2016

Ce que confirme son collègue Vahid Yücesoy, spécialiste de l’islam politique au Moyen-Orient et doctorant au Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal (CÉRIUM). « On assiste à un désenchantement généralisé à travers le pays, dit ce dernier. Il y a une participation de toutes les classes de la société, des ouvriers, des femmes, des enseignants, des minorités, de toutes les villes et dans toutes les provinces. »

Ce débordement généralisé constitue un véritable casse-tête pour les autorités. « Comme les manifestants sont très éparpillés, les forces de l’ordre ont de la difficulté à les contenir », note M. Yücesoy. Il croit aussi que les représentants de l’autorité sont de plus en plus fatigués.

Sourd aux besoins du peuple

De passage en Iran en 2016, la professeure de sociologie et d’anthropologie Homa Hoodfar a été arrêtée soi-disant pour « propagande contre l’État » et détenue 112 jours à la prison Evin à Téhéran, où elle a subi de nombreux interrogatoires virant à la torture psychologique. Lundi a marqué les six ans de sa libération.

Selon elle, on ne doit pas voir les manifestations découlant de la mort de Mahsa Amini uniquement dans l’angle d’un code vestimentaire imposé. Les racines de la colère sont beaucoup plus nombreuses.

« Il n’y a pas que la question du hijab qui est en jeu, explique-t-elle. C’est que le régime demeure sourd aux besoins et aux demandes du peuple. Le peuple en a assez ! »

« Il y a un consensus à l’effet que le régime islamique doit partir, dit de son côté Vahid Yücesoy. Ce régime ne veut pas de réformes, et les tentatives d’en faire n’ont jamais abouti à quelque chose de bon ou de satisfaisant. »

Toutes ces tensions ont lieu alors que des pourparlers ont repris lundi à Vienne entre l’Organisation iranienne de l’énergie atomique (OIEA) et l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) sur la clarification de certains points de l’Accord de Vienne de 2015. Cet accord permet de contrôler sévèrement le programme nucléaire iranien en échange de la levée de sanctions économiques internationales.

La rencontre de lundi, la première depuis des mois, devait permettre d’apporter des réponses concernant trois sites non déclarés où des traces d’uranium auraient été découvertes.

Selon Vahid Yücesoy, un accord complet sur la question du nucléaire iranien laisserait « un goût amer dans la population ». « Si l’accord est signé, ça met fin aux sanctions américaines et apporte des milliards de dollars au régime, observe-t-il. Les gens ont peur qu’avec cet argent, le régime regarnisse son appareil coercitif. »

– Avec l’Agence France-Presse


EN SAVOIR PLUS

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Population de l’Iran en 2022. La capitale, Téhéran, compte plus de 7,1 millions d’habitants.

Source: source : worldpopulationreview. com

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