Attente en chirurgie

Les femmes paient le plus gros prix

Le nombre de cas en attente en gynécologie a bondi en deux ans, et la situation est particulièrement criante en Estrie

Les longues attentes en chirurgie atteignent des sommets. Mais les principales victimes de ces délais sont des femmes, car c’est en gynécologie que les attentes de plus d’un an sont les plus importantes.

Pour l’ensemble des interventions, le nombre d’opérations en attente depuis plus d’un an a bondi de 2500 à plus de 20 000, au Québec, entre janvier 2020 et juin 2022, soit huit fois plus. En gynécologie, le nombre de cas en attente est passé de 40 à près de 1200, soit 30 fois plus en deux ans.

Cette statistique troublante provient d’une lettre envoyée en juillet au ministre de la Santé et des Services sociaux, Christian Dubé, par le président de l’Association des obstétriciens et gynécologues du Québec (AOGQ), et que La Presse a obtenue.

« Les chirurgies en attente de plus d’un an en gynécologie sont donc passées de 1,3 % à plus de 5,6 % de tous les cas en attente de la province. En résumé, ces données démontrent clairement que les soins en santé de la femme ont été défavorisés de façon importante et inacceptable en comparaison avec l’ensemble des soins offerts à la population par les établissements », écrivent Elio Dario Garcia et Dominique Tremblay, respectivement président et vice-président de l’AOGQ.

« Dans certains centres tels que Gatineau ou le site Fleurimont du CHUS, les patientes en attente pour une chirurgie gynécologique représentent maintenant 25 % à 45 % de tous les cas en attente depuis plus d’un an, toutes spécialités confondues », affirment-ils.

« Je veux que ça arrête »

Cathy Boisvert fait partie de ces statistiques. Elle est sur une liste d’attente depuis juillet 2021 pour subir l’ablation de l’utérus au Centre hospitalier de l’Université de Sherbrooke (CHUS).

« Ça fait huit ans que j’essaie plein de choses et que ça ne fonctionne pas », confie la femme de 45 ans, qui habite à Sherbrooke. « Je veux que le mal cesse, je veux que ça arrête. On m’a prescrit des anti-inflammatoires parce que j’ai trop de gros maux de ventre ; j’en perds quasiment connaissance. »

Son médecin lui avait dit qu’elle allait pouvoir être opérée dans un délai de six mois à un an. Mais 14 mois plus tard, Mme Boisvert ne sait toujours pas quand viendra son tour.

« C’est terrible. Ça n’a pas de bon sens d’attendre si longtemps que ça. Moi, j’ai mal. Mais il y a des femmes qui sont pires que moi. »

— Cathy Boisvert

Isabelle Sanders, 42 ans, est en attente d’une hystérectomie depuis plus longtemps encore.

« Mon nom était sur la liste d’attente avant même le début de la pandémie, dit cette résidante d’East Angus, en Estrie. Je trouve que c’est extrêmement long. Ça fait quatre ans que j’ai mes menstruations 75 % du temps. J’ai des douleurs, des crampes, des caillots. J’ai dû manquer le travail à cause des douleurs. »

Une question de compétition

Si les causes des délais en chirurgie sont connues, notamment les pénuries de personnel, qu’est-ce qui peut expliquer les attentes plus grandes en gynécologie ?

Ces écarts tiennent en partie à la répartition des activités hospitalières, qui varie selon les régions. C’est ainsi que les conditions particulières dans deux régions, l’Estrie et l’Outaouais, font grimper les chiffres des écarts nationaux.

Ils tiennent aussi à la façon dont les plateaux chirurgicaux, limités en raison du manque de personnel, sont répartis entre les spécialités chirurgicales, un exercice dont la gynécologie sort souvent perdante.

De toutes les régions, l’Estrie est celle où les problèmes sont les plus criants. L’une des raisons est que le Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke comporte deux hôpitaux, Fleurimont et Hôtel-Dieu.

Chaque centre offre à la fois des soins chirurgicaux surspécialisés et des soins chirurgicaux généraux. Résultat, les interventions très spécialisées ou très urgentes passent d’abord.

Cette situation ne se retrouve pas dans plusieurs régions, y compris à Montréal, où il existe des hôpitaux à vocation plus locale qui peuvent s’occuper de cas moins urgents.

« Il y a une compétition entre les chirurgies surspécialisées et les soins de base », explique la Dre Sophie Desindes, directrice du département d’obstétrique et de gynécologie du CHUS. « On était une des régions les plus problématiques pour toutes les spécialités avant la pandémie. Avec le peu de ressources qu’on a, c’est encore pire parce qu’on a des patients avec des délais oncologiques qu’on doit respecter. »

Dans les faits, les chirurgiens gynécologiques du CHUS ont juste assez de temps pour opérer les cas de cancer, de précancer ou les conditions semi-urgentes. L’endométriose, les fibromes, les saignements anormaux, les ligatures tubaires ou l’incontinence urinaire doivent attendre.

« Répartir la misère »

« Je comprends qu’il y a un manque important de priorité pour tous les patients, mais il faut répartir la misère équitablement, insiste la Dre Desindes. Malheureusement, c’est les femmes en attente d’une chirurgie gynécologique qui paient le plus gros prix. »

La spécialiste ajoute que plusieurs actions ont été mises en place pour améliorer l’accès. « Mais, là, dit-elle, on a un mur. »

Les délais qui frappent davantage les affections gynécologiques pourraient aussi tenir au fait que plusieurs de ces problèmes de santé féminins ne sont pas visibles. Au surplus, les femmes elles-mêmes ne se plaignent pas de cette situation.

« Est-ce qu’il y a un élément de honte là-dedans ? Je trouve ça désolant, en 2022, qu’on soit en train de cacher cette réalité-là. Ce n’est pas honteux, c’est souffrant.

— La Dre Sophie Desindes, directrice du département d’obstétrique et de gynécologie du CHUS

« Il y a des patientes qui ne sont pas capables de travailler, qui sont sous médicaments, qui font de l’anémie. Je n’en reviens pas qu’on le cache encore. Ce n’est pas moins important, c’est aussi important », insiste la Dre Desindes.

En Outaouais, les délais en chirurgie gynécologique sont aussi anormalement longs.

« Le temps opératoire, de façon générale, pour tout le monde, est réduit », signale le DLionel-Ange Poungui, gynécologue-obstétricien à l’hôpital de Gatineau. « On essaie d’être équitable entre toutes les spécialités. Mais le gros problème de la gynéco, c’est qu’une fois qu’on a enlevé l’oncologie, il ne reste plus beaucoup de temps. De base, les patientes qui ont un problème gynécologique sont perdantes. »

Selon lui, « si on voulait vraiment prendre en compte la gynéco, on devrait accorder un peu plus de temps opératoire ».

Sur les 2384 patients en attente d’une opération depuis plus d’un an, en Outaouais, 327 sont des femmes en attente d’une intervention gynécologique.

Pour améliorer l’accès, l’AOGQ réclame une intervention ministérielle auprès des directions hospitalières pour répartir plus justement les plateaux chirurgicaux. « Visiblement, l’écart qui s’est installé est grandissant et favorise certains secteurs d’activité au détriment de la gynécologie et de la santé de la femme », dénonce l’association.

Le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) se borne, de son côté, à dire qu’il a demandé « aux établissements de prioriser les chirurgies en attente de plus d’un an, tout en maintenant l’accès pour les chirurgies urgentes, semi-urgentes et oncologiques ».

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Nombre total de patientes en attente d’une intervention chirurgicale gynécologique depuis plus d’un an, au Québec

Source : Santé Québec

294

Nombre de patientes qui sont en attente d’une intervention chirurgicale gynécologique depuis plus d’un an, en Estrie

Source : Santé Québec

21 469

Nombre de patients en attente d’une intervention chirurgicale depuis plus de 12 mois. Le ministre de la Santé, Christian Dubé, souhaite que ce nombre passe à 3000 d’ici mai 2023, le niveau prépandémique.

Source : Santé Québec

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