La Presse en France

Le nucléaire s’invite dans la campagne présidentielle

Avec 70 % de sa production d’électricité, la France est le pays le plus nucléarisé du monde. Le président Emmanuel Macron vient d’annoncer un vaste plan de relance du nucléaire qui n’est pas sans soulever des questions à l’approche de l’élection présidentielle. Reportage aux abords de la plus grande centrale de l’Hexagone.

Lapalud — À la frontière du Vaucluse et de la Drôme se situe le site nucléaire du Tricastin, le plus grand de France. Ses quatre réacteurs produisent à eux seuls près de 25 térawattheures (TWh) chaque année, soit environ 6 % de la consommation totale d’électricité du pays. Le site fait partie des six pressentis, selon les annonces d’Emmanuel Macron, pour accueillir de nouveaux réacteurs à eau pressurisée, dits « EPR ». Et ce ne sera pas du luxe : la centrale a soufflé ses 40 bougies l’année dernière… l’âge maximum pour lequel elle avait été conçue.

Dans le village voisin de Lapalud, on ne semble pas trop s’en inquiéter. En ce jour ensoleillé de mars, tout le monde se retrouve autour du terrain de pétanque, dans une scène typique des villages du Midi. Parmi les joueurs, Jean-Marc Guarinos, retraité souriant, est responsable des finances du village. La centrale du Tricastin est un symbole important.

« [La centrale] est là depuis longtemps, elle nous garantit beaucoup d’emplois […]. C’est aussi la garantie d’une indépendance énergétique, le seul moyen d’avoir de l’électricité sans trop pourrir la planète. »

— Jean-Marc Guarinos, responsable des finances du village de Lapalud

Pour beaucoup de Français, l’un des grands héritages du général de Gaulle est une fierté, l’un des derniers symboles d’une grande France autosuffisante. « Quand on voit ce qui se passe avec la Russie, on se dit qu’il vaut mieux ne pas être dépendant du gaz », lance Jean-Marc Guarinos.

L’âge de la centrale – et la sécurité en général de l’industrie nucléaire – soulève pourtant beaucoup de questions, et les accidents inquiètent : fuite de matériaux radioactifs en 2013, explosion d’un transformateur qui a fait craindre le pire en 2017. « Mon premier venait de naître et c’était devenu réel tout d’un coup, le danger possible. Je me suis souvenue de Tchernobyl, de Fukushima », se rappelle Jennifer Marin, rencontrée au terrain de pétanque avec ses enfants, poussette à la main.

En février dernier, un haut cadre de la centrale s’est fait lanceur d’alerte sur l’état des installations, après avoir tenté à de multiples reprises de signaler des défaillances à sa hiérarchie. Dans le journal Reporterre, il dénonce de nombreux accidents « dissimulés ou minimisés » et des réacteurs qui marchent au-delà de leur puissance maximale prévue.

Ce faisant, le nucléaire est probablement la seule industrie qui fait autant parler les Français que la filière viticole.

Indépendance française ?

« Il s’agit d’un sujet toujours particulier en France. Le nucléaire présente des avantages indéniables : après sa construction, il n’émet pas ou peu de carbone, et il produit de l’énergie constamment contrairement aux énergies renouvelables qui sont intermittentes », note Christian de Perthuis, professeur d’économie à l’Université de Paris et fondateur de la Chaire Économie du climat. Il alerte toutefois sur l’idée préconçue qu’il s’agit d’une solution miracle et sans risque, et même ce fameux symbole d’indépendance française.

« L’idée que l’électricité nucléaire française est indépendante relève de la propagande. L’uranium est importé ! Il y a aussi de multiples questions sur l’impact sur l’environnement : le nucléaire demande beaucoup d’eau, par exemple. »

— Christian de Perthuis, professeur d’économie à l’Université de Paris

Même l’argument économique est à prendre avec un grain de sel, dit l’expert. « Les investissements sont lourds à la construction, mais également pour la production et pour le consommateur. Le nucléaire n’est plus aussi concurrentiel face aux énergies renouvelables », ce qui constituait jusqu’alors l’un de ses arguments majeurs.

Changement de cap

L’annonce de la construction de 6 à 14 réacteurs d’ici 2050 par Emmanuel Macron est contraire à ses objectifs en début de mandat de réduction de la part du nucléaire dans la production d’électricité. D’ici là, le parc existant sera maintenu, comme au Tricastin, bien au-delà des dates prévues à leur construction.

Les réactions des autres candidats ne se sont pas fait attendre : Yannick Jadot, candidat Europe Écologie les Verts, a accusé Emmanuel Macron de lancer un vaste projet « sans aucune certitude sur son coût global, sans aucune solution pour sortir de l’impasse […] sur la gestion des déchets » et sans respecter les engagements pris au sein de l’Union européenne pour le développement des énergies renouvelables. À gauche, Jean-Luc Mélenchon, a réaffirmé ses convictions : il veut sortir totalement du nucléaire en 2045.

De la droite à l’extrême droite, en revanche, pas de débat : le nucléaire est nécessaire. Valérie Pecresse, candidate du parti Les Républicains, n’a pas de critiques sur le fond, mais sur la forme, dénonçant un « zig-zag » de la part du président. Marine Le Pen a pour sa part critiqué la vente d’électricité par la France à ses voisins européens. Symbole d’une question énergétique en France qui divise, même lorsque l’on est d’accord sur le fond.

70 %

Proportion de la production d’électricité française qui provient du nucléaire, soit de 56 réacteurs

SOURCE : EDF

59 %

Proportion de Français qui se disent favorables au nucléaire, contre 47 % en 2018

SOURCE : ODOXA

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