Carey Price et le mot qui commence par un R

« Les nouvelles à propos du genou de Carey Price sont assez décourageantes. »

Le DG du Canadien, Kent Hughes, n’a pas tourné autour du diachylon. Il l’a arraché. D’un coup sec. Ça a fait mal. Sauf qu’à un moment donné, il fallait reconnaître l’évidence : la superbe carrière de Carey Price tire à sa fin.

« Cet été, [Carey] a reçu une injection dans son genou. Ça ne l’a pas aidé. Pour être honnête, à ce stade-ci, on ne s’attend pas à ce que Carey soit disponible au début de la saison. Et j’ignore s’il existe un chemin vers un retour de Carey, cette saison, via un processus de rééducation. »

Même à long terme, les pronostics sont sombres. Kent Hughes a brièvement évoqué une opération – sans trop de conviction. Il s’est arrêté tout juste avant de prononcer le mot tabou. Celui qui commence par la lettre R.

« Retraite. »

Carey Price est-il rendu là ?

Non.

D’abord, parce qu’il n’existe aucune urgence. Il reste encore 31,25 millions à son contrat. S’il demeure sur la liste des blessés, il touchera des millions. S’il part, il devra y renoncer. Dans ces circonstances, prendriez-vous votre retraite ? Moi non plus.

Sauf que cette décision – facile – en retarde une beaucoup plus douloureuse : le moment de l’annonce. Une étape que craignent tous les athlètes d’élite. Même si la souffrance est extrême. Même si le genou ne tient plus. Même si le corps ne suit plus.

Pourquoi ?

Parce qu’ils ne perçoivent pas leur sport seulement comme un travail. C’est leur grand amour. Leur passion. Le cœur de leur vie. Carey Price a commencé à jouer au hockey en très bas âge. À 9 ans, il prenait l’avion trois fois par semaine, pour s’entraîner à 320 kilomètres de chez lui. À 16 ans, il déménageait aux États-Unis, pour s’aligner avec un club junior. Aujourd’hui âgé de 35 ans, il a passé la moitié de sa vie dans l’organisation du Tricolore. « Être le gardien du Canadien, c’est mon identité », a-t-il confié, l’hiver dernier. Et faire le deuil de son identité, c’est plus difficile que d’arrêter Connor McDavid en échappée.

Ce phénomène n’est pas propre aux sportifs. Des entrepreneurs sont incapables de laisser le contrôle de leur entreprise à la relève. Des professeurs, des médecins et des journalistes refusent de quitter l’école, l’hôpital ou le média dans lequel ils travaillent. Mon ancien collègue Claude Gingras est resté à La Presse jusqu’à 84 ans ! Mais dans le sport, le moment de la retraite est particulièrement difficile, démontrent les études universitaires.

Les cas concrets abondent. Roger Federer, 41 ans, a un genou en compote. Il n’a disputé aucun match depuis 14 mois. Pourtant, il n’a toujours pas annoncé sa retraite. Tom Brady, 45 ans, l’a annoncée, lui, sa retraite. Six semaines plus tard, il changeait d’idée et confirmait son retour au jeu. Quant à Serena Williams, 40 ans, elle a finalement trouvé le courage de prononcer le mot qui commence par la lettre R, la semaine dernière. Non sans peine.

« Je n’ai jamais aimé le mot retraite, a-t-elle écrit dans Vogue. Ça ne sonne pas comme un mot moderne à mes oreilles. Je préfère plutôt parler d’une transition. Ou peut-être que le meilleur mot, c’est une évolution. J’évolue, du tennis vers d’autres choses qui sont très importantes pour moi. »

La suite est encore plus intéressante, et révélatrice des sentiments qui grugent les athlètes au crépuscule de leur carrière.

« J’ai résisté à admettre, à moi-même ou aux autres, que je devais arrêter de jouer au tennis. Mon mari Alexis et moi en avons à peine parlé ensemble. C’est comme un sujet tabou. Je ne peux même pas avoir cette conversation avec mes parents. C’est irréel tant que ce n’est pas dit à voix haute. Et quand je le dis, j’ai une boule dans la gorge. Je pleure. La seule personne avec laquelle j’en ai vraiment discuté, c’est mon thérapeute. »

Pour un grand nombre d’athlètes, la retraite est angoissante. Inquiétante. Oui, ils auront beaucoup de temps libre. Oui, ils ont énormément d’argent. Mais leur vie sociale, elle, sera bouleversée. Parfois, pour le meilleur. Parfois, malheureusement, pour le pire.

Selon les travaux de Barbara Jane Chambers (2004), un hockeyeur de la LNH sur huit présente des symptômes de dépression après la retraite. Une autre étude, publiée au Canada en 2020, a démontré que les joueurs retraités de la LNH étaient deux fois plus nombreux que les joueurs actifs à ressentir des symptômes « de modérés à très sévères » de dépression. C’est aussi un ratio plus élevé que pour le reste de la population.

Toutes ces raisons expliquent pourquoi tant d’athlètes résistent à l’idée de la retraite, et souhaitent prolonger leur carrière. Pendant un an, Michael Bossy a rêvé d’un retour au jeu qui ne s’est pas concrétisé. Guy Lafleur, lui, est sorti d’une retraite prématurée pour disputer trois autres saisons. Jaromir Jagr joue encore à 50 ans. Gordie Howe a quitté la LNH à 52 ans.

Carey Price a-t-il déjà pris sa décision ?

Peut-être oui. Peut-être que non.

Dans tous les cas, ne le bousculons pas. Respectons son choix.

Après sa superbe carrière avec le Canadien, il le mérite.

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