politique québécoise rapport de la vérificatrice générale

Primes aux médecins aux effets nébuleux, garderies non conformes, contrôle insuffisant de la Société d’habitation du Québec : la vérificatrice générale du Québec a exposé ses inquiétudes dans un rapport, jeudi.

Médecins de famille

Des forfaits de 1 milliard aux résultats douteux

Québec — L’accès aux médecins de famille « ne s’est guère amélioré » même si Québec leur a versé des forfaits de près de 1 milliard de dollars en trois ans précisément pour qu’ils se rendent plus disponibles.

Dans son rapport déposé à l’Assemblée nationale jeudi, la vérificatrice générale, Guylaine Leclerc, déplore que le ministère de la Santé et des Services sociaux accorde des primes aux médecins sans savoir si cette mesure a l’effet escompté.

Selon elle, le MSSS n’a tout simplement pas de données lui permettant de mesurer l’amélioration de l’accès aux médecins de famille et la performance de ceux-ci. Des indicateurs démontrent plutôt que l’accès reste difficile pour les patients, selon elle.

À l’heure actuelle, 82 % des Québécois ont un médecin de famille – en deça de l’objectif de 85 % fixé dans le passé.

600 000 

Nombre de personnes – dont 185 000 considérées comme vulnérables – qui sont inscrites sur la liste d’attente, un chiffre en hausse de 41 % en près de trois ans

Le délai d’attente moyen augmente constamment, pour atteindre jusqu’à 477 jours. On parle d’un an en moyenne pour les personnes vulnérables, alors que selon les règles, l’attente doit être limitée à trois semaines dans leur cas.

La vérificatrice souligne que « l’inscription seule ne donne aucune garantie de la disponibilité du médecin de famille lorsqu’une consultation est nécessaire ». Elle constate que près de 71 % des visites aux urgences sont des cas moins urgents (par exemple une entorse) ou non urgents (par exemple un ongle incarné). Parmi ces personnes, 72 % ont pourtant un médecin de famille. « Cela peut témoigner de la difficulté éprouvée par ces patients à rencontrer leur médecin », indique-t-elle.

patients « actifs » ou présents ?

Les médecins de famille touchent pourtant des forfaits pour inscrire et prendre en charge des patients. En trois ans, ils ont reçu 980,5 millions avec cette « mesure incitative », prévue dans une entente entre le gouvernement et la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ). Ces forfaits sont versés pourvu que le patient soit « actif », c’est-à-dire qu’il visite son médecin au moins une fois tous les trois ans ou, dans le cas d’une personne vulnérable, une fois par an.

Or, « chaque patient inscrit et actif est comptabilisé pour le calcul des forfaits versés annuellement aux médecins de famille, mais l’inscription auprès d’un médecin ne signifie pas que le patient obtient un rendez-vous lorsqu’il en a besoin », souligne la vérificatrice générale.

Elle présente un exemple simple : « Une personne rencontre son médecin à l’été 2016. Elle sera donc considérée comme un patient actif jusqu’à l’été 2019 et permettra à son médecin de recevoir, chaque année pendant trois ans, le forfait d’inscription générale. Si les conditions sont respectées, celui-ci pourrait aussi recevoir le montant supplémentaire à l’inscription générale et le supplément au volume de patients inscrits. À l’automne 2018, cette même personne tente d’obtenir un rendez-vous auprès de son médecin, mais sans succès, et se dirige alors à l’urgence. Les forfaits visant à améliorer l’accès à un médecin de famille sont tout de même versés, même si, dans les faits, elle n’a pas pu rencontrer son médecin. »

Manque d’information

Guylaine Leclerc relève que Québec n’a pas exercé de « moyens coercitifs » envers les médecins, comme les pénalités financières prévues à la loi 20 de Gaétan Barrette contre ceux qui ne respectent pas les objectifs en matière d’inscription de patients. Elle se montre inquiète que le gouvernement envisage la mise en place d’autres primes alors qu’il est incapable de mesurer réellement l’efficacité de cette stratégie.

Certes, Québec a créé un indicateur, le « taux d’assiduité », pour mesurer la disponibilité des médecins de famille. Ce taux représente le rapport entre le nombre de visites des patients d’un médecin de famille auprès de celui-ci et auprès d’autres services comme les urgences. L’idée est de vérifier si les patients vont voir surtout leur médecin ou se tournent plutôt vers les hôpitaux. La FMOQ a souvent utilisé ce taux, qui atteint 85 %, pour démontrer que les médecins sont très disponibles pour leurs patients. « Cependant, les enjeux que nous avons relevés dans nos travaux relativement au calcul de ce taux rendent le résultat peu fiable », réplique la vérificatrice générale.

Ainsi, « le MSSS ne dispose pas de données significatives lui permettant d’évaluer l’efficacité » des forfaits.

En date du 31 mars 2019, seulement 6,5 % des médecins de famille utilisaient Rendez-vous santé Québec, une plateforme de prise de rendez-vous en ligne qui a coûté plus de 15 millions jusqu’ici. On s’engageait pourtant à atteindre une cible de 50 % à ce moment (et même 100 % en mars 2020). Elle a découvert une communication de la FMOQ dans laquelle le syndicat dit à ses membres qu’il va défendre « âprement » le principe que l’adhésion doit rester volontaire et non obligatoire.

« Le manque d’adhésion au système […] prive le MSSS d’information essentielle » pour évaluer la performance des médecins de famille, affirme la vérificatrice générale. Québec ne peut pas non plus respecter son obligation de publier le délai moyen pour l’obtention d’un rendez-vous avec un médecin de famille – une obligation pourtant inscrite dans une loi.

En somme, « les indicateurs présentés à la population par le MSSS n’offrent pas une évaluation adéquate de l’accès aux soins de santé et aux services sociaux ».

La vérificatrice générale s’inquiète également de l’accès aux services psychosociaux, notamment pour les personnes vulnérables. Le MSSS « ne parvient pas à obtenir des données fiables et de qualité à l’égard des services offerts en santé mentale ».

Le gouvernement Legault a promis de revoir le mode de rémunération des médecins de famille, mais les négociations sont sur la glace depuis mars en raison de la pandémie de COVID-19. Le ministre de la Santé et des Services sociaux, Christian Dubé, a affirmé que les pourparlers reprendront cet automne. Même si « la COVID-19 est venue un peu changer les choses », il n’a « pas lâché l’objectif » qu’un patient puisse obtenir un rendez-vous avec son médecin dans un délai de 36 heures, un engagement électoral de la Coalition avenir Québec.

Le président de la FMOQ, le DLouis Godin, se dit « très irrité par les conclusions » de la vérificatrice générale. « D’en arriver à ces conclusions quand on regarde ce qui s’est passé depuis quatre ans, c’est parce que tu ne veux pas voir les vrais chiffres. Il y a quand même 1,2 million de plus de Québécois qui ont un médecin de famille depuis quatre ans », plaide-t-il, soulignant qu’il est difficile d’inscrire plus de patients dans le contexte de la pandémie. Il martèle que le taux d’assiduité est une donnée fiable, contrairement à ce que dit la vérificatrice générale.

Rapport de la vérificatrice générale

Des garderies violent la loi dans l’attribution des places

Québec — Des garderies ont violé la loi en donnant une place à 30 000 enfants alors qu’ils n’étaient pas inscrits au guichet unique et obligatoire, La Place 0-5.

Dans son rapport déposé à l’Assemblée nationale jeudi, la vérificatrice générale du Québec, Guylaine Leclerc, rappelle que les services de garde « ont l’obligation légale de recourir exclusivement à La Place 0-5 pour combler leurs postes ». Les parents qui veulent une place doivent y inscrire leur enfant.

Or, entre septembre 2018 et novembre 2019, « environ 30 000 enfants (dont environ 5000 dans le cas des CPE) ont obtenu une place alors qu’ils n’étaient pas inscrits au guichet unique, ce qui n’est pas conforme à la Loi sur les services de garde éducatifs à l’enfance », révèle-t-elle.

Ce n’est pas parce qu’il manque de candidats dans La Place 0-5 : 46 000 enfants étaient en attente au 28 novembre 2019.

« De plus, bien que la loi spécifie qu’il n’existe qu’un seul guichet d’accès aux services de garde au Québec, une autre plateforme web permet à ceux-ci de combler leurs places et se veut un point de rencontre des services de garde et des parents, ce qui peut porter à confusion pour ces derniers », ajoute Guylaine Leclerc. Par ailleurs, au moins 114 services de garde n’ont pas adhéré à La Place 0-5, alors que c’est obligatoire.

La vérificatrice générale souligne la relation de dépendance du ministère de la Famille envers le fournisseur, Coopérative Enfance Famille, qui n’est propriétaire qu’en partie de La Place 0-5 ; une proportion importante appartient à une entreprise privée. Elle ajoute que ce guichet n’offre pas aux parents des informations de base, comme le nombre de places disponibles dans les services de garde, le nombre d’enfants inscrits et le positionnement des enfants sur les listes d’attente.

« Encadrement minimaliste »

Autre constat de Guylaine Leclerc : le ministère de la Famille fait un « encadrement minimaliste » de la façon dont les services de garde gèrent leur liste d’attente. « Ces derniers ont la liberté de sélectionner les enfants en fonction de leur politique d’admission et de leurs besoins, sans tenir compte de l’ordre proposé par le guichet unique dans leur liste d’attente », souligne-t-elle.

Comme les politiques d’admission des garderies ne sont pas encadrées, de nombreuses familles ont de la difficulté à obtenir une place « parce qu’ils ne satisfont pas à leurs critères d’admission, et ce, sans que le ministère soit mis au courant ».

Elle relève le cas d’un CPE qui a 11 critères d’admission et qui donne la priorité, par exemple, au petit-enfant ou au neveu d’un employé, au frère ou à la sœur d’un enfant fréquentant une école en particulier.

La vérificatrice générale dénonce des retards importants dans la création de places annoncées de 2011 à 2019, alors que le gouvernement Legault vient tout juste d’annoncer qu’il compte en ajouter.

Enfin, elle déplore qu’aucune vérification systématique ne soit faite au sujet des subventions destinées à l’intégration d’un enfant handicapé, qui ont totalisé 470 millions en quatre ans. Le ministère de la Famille autorise même des services de garde à utiliser cette allocation à d’autres fins, révèle-t-elle.

Un rapport et un plan attendus

Le ministre de la Famille, Mathieu Lacombe, « partage les constats » de la vérificatrice générale au sujet des « problèmes d’efficacité générale du ministère et d’accessibilité aux services de garde ». En janvier, il a demandé à la firme KPMG d’analyser le processus d’admission pour identifier les « failles ». Un rapport est attendu bientôt.

Le ministre promet un plan d’action au cours des prochaines semaines ou des prochains mois pour corriger les lacunes. Il entend faire des « rappels à l’ordre » aux garderies pour que la loi soit respectée. « Ma préoccupation, ce n’est pas de montrer du doigt ceux qui, peut-être, profitent des failles aujourd’hui, mais c’est de m’assurer qu’il n’y en ait plus », a-t-il dit.

Un « logement abordable » à 1625 $ par mois

La Société d’habitation du Québec (SHQ) fait un contrôle insuffisant des coûts des projets de logements sociaux et abordables. La vérificatrice générale fait ce constat alors que la facture des projets est à la hausse depuis plusieurs années. La SHQ accepte des projets d’habitation qui comportent des éléments qui n’ont rien à voir avec les logements sociaux, ajoute-t-elle. Exemple : un projet de 112 millions ayant une partie résidentielle et une autre non résidentielle n’a permis de créer que 193 logements. La plupart des ménages qui vont y habiter devront payer un loyer annuel de 19 500 $ (1625 $ par mois). Par ailleurs, la vérificatrice générale relève que la SHQ ne s’assure pas de l’intégrité et de l’indépendance des « groupes de ressources techniques » (GRT), les seuls organismes reconnus par Québec pour aider les promoteurs dans la réalisation de leurs projets de logements sociaux. « Des sociétés liées à des GRT ont participé à des projets dont ces GRT étaient responsables », dénonce-t-elle.

Ratés d’un projet informatique

Après des dépenses de centaines de millions de dollars, le Réseau national intégré de radiocommunication (RENIR) connaît encore des ratés. Son objectif est de regrouper les différents intervenants de la sécurité publique et civile dans un même réseau. Plus de 15 ans après le démarrage du projet, 78 % des intervenants (policiers de la Sûreté du Québec, policiers municipaux, pompiers et ambulanciers) n’ont pas adhéré au RENIR. La qualité des services de ce réseau laisse à désirer, toujours selon la vérificatrice générale. « De nombreux incidents en lien avec les équipements et les services rendus ont été constatés par les utilisateurs », signale-t-elle. C’est la société Motorola qui exploite le RENIR et doit régler les incidents.

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