Guerre en Ukraine

Les yeux se tournent vers l'Arctique

L’invasion de l’Ukraine par la Russie ravive les préoccupations concernant la sécurité des nations, à commencer par le Canada, dans l’Arctique. Or, ce n’est pas d’hier que l’on discute de ces enjeux stratégiques, économiques et environnementaux.

Après l’Ukraine, la Russie a-t-elle d’autres ambitions géopolitiques ? Va-t-elle tenter d’accentuer sa présence, déjà dominante, dans l’Arctique ? D’aucuns soulèvent la question dans la foulée de l’invasion russe en Ukraine.

C’est le cas à Ottawa, où le Parti conservateur a diffusé un communiqué réclamant de « nouvelles mesures pour contrer Poutine et défendre le Canada » avec une accélération des interventions dans l’Arctique. Le parti talonne aussi le gouvernement libéral en Chambre.

« Dès son arrivée au pouvoir, le gouvernement Harper a posé des gestes pour confirmer sa souveraineté. Mais depuis l’élection des libéraux en 2015, on n’entend plus parler de l’Arctique », déplore le député Pierre Paul-Hus (Charlesbourg–Haute-Saint-Charles).

« Devant un Poutine aussi agressif, on doit avoir une posture plus solide. »

— Pierre Paul-Hus, député conservateur

La question de la sécurité revient de façon récurrente dans l’actualité, ne serait-ce qu’en raison des retards enregistrés dans de grands projets voués à l’amélioration de la surveillance (voir autre texte à l’écran 12).

Par ailleurs, jeudi dernier, sept des huit nations (Canada, Danemark, États-Unis, Islande, Norvège, Finlande et Suède) siégeant au Conseil de l’Arctique, organisme voué à la coopération circumpolaire, ont annoncé la suspension temporaire de leur participation aux réunions de l’organisme. Or, le huitième pays membre est la Russie, qui en assure la présidence jusqu’en 2023.

Deux opinions

Selon Rob Huebert, professeur de science politique à l’Université de Calgary, pratiquement tout est à faire ou refaire, dans l’Arctique canadien, pour assurer une protection adéquate du territoire. Il rappelle que la Russie est le voisin du Canada de l’autre côté de l’océan.

« Il existe un courant d’opinion, inexact à mon avis, que l’Arctique n’est pas directement lié au grand environnement géopolitique, dit-il. Je crois au contraire qu’il l’est depuis la guerre froide. Et depuis que Vladimir Poutine a promis de rendre à la Russie son statut de grande puissance, il est redevenu le lieu central de la force de dissuasion nucléaire. »

Autrement dit, c’est par l’Arctique et, forcément, le territoire canadien que passeraient des missiles intercontinentaux en cas de conflit avec les États-Unis.

Professeur de science politique à l’École nationale d’administration publique (ENAP), Stéphane Roussel affirme qu’en raison de son immense frontière côtière avec l’océan Arctique, la Russie a historiquement plus d’intérêt et est plus présente dans cette région.

« La Russie, par définition, est la principale puissance dans l’Arctique, affirme-t-il. Depuis les années 1950, et même sous Staline [avec les goulags], on y exploitait les ressources. Et sur le plan militaire, les Russes sont nettement plus présents que Canadiens, Américains et Scandinaves. »

Pour contrer une éventuelle menace en provenance de la Russie (et avant cela de l’URSS), l’Arctique nord-américain fait l’objet d’une surveillance permanente par l’entremise du Commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord (NORAD, selon son acronyme anglais) et de sa ligne de radars, le Système d’alerte du Nord. Cela étant, M. Roussel estime que les Américains ont peu d’intérêt dans le secteur.

« Les Américains ne s’intéressent pas à l’Arctique alors que pour les Russes, ça fait partie de la maison. Pour les États-Unis, cela peut présenter un certain intérêt pour l’exploitation des hydrocarbures et autres richesses naturelles, mais ce n’est pas prioritaire. À Washington, il est assez rare qu’on se préoccupe des questions arctiques. Les représentants de l’Alaska font des pieds et des mains pour attirer l’attention. »

Plateau continental

Là où M. Roussel voit davantage un potentiel de conflit, c’est dans le prolongement sous-marin du plateau continental.

« Les États peuvent revendiquer l’exploitation exclusive des ressources dans le sous-sol s’ils sont capables de prouver que c’est un prolongement naturel géologique de leur territoire, dit-il. Mais il y a encore bien des recherches à faire de ce côté. »

Or, dans ce dossier aux ramifications complexes, les choses se déroulent de façon cordiale, assure Suzanne Lalonde, professeure titulaire à la faculté de droit de l’Université de Montréal et spécialiste du droit de la mer.

« La convention sur les droits de la mer a des règles spécifiques qui imposent aux États une procédure complexe, et notamment scientifique, pour qu’un État côtier puisse revendiquer un plateau continental au-delà de 200 milles marins, dit-elle. Et tous les États de l’Arctique, incluant la Russie, suivent, à date, les règles du jeu. D’ailleurs, la Russie a été un des premiers États à déposer un dossier scientifique auprès de la Commission sur les limites du plateau continental. »

Mais ce n’est pas la Commission qui règle les querelles de frontières, ajoute-t-elle. Cela passe par des négociations entre États. Les discussions se poursuivent dans ce domaine.

À plus court terme, Mme Lalonde se questionne sur l’attitude de la Russie concernant le passage du Nord-Ouest, ce corridor de l’Arctique canadien de plus en plus accessible aux navires et où le Canada peine à faire reconnaître sa souveraineté, même face à ses alliés.

« On a toujours considéré la Russie comme une alliée pour le passage du Nord-Ouest, dit Mme Lalonde. Pour ce pays, ça n’avait pas de sens de contester la position canadienne, car elle a la même position avec la Route maritime du nord qui longe la côte sibérienne. Mais là, j’ai l’impression que le président Poutine ne fait plus de calculs basés sur la rationalité. C’est un peu plus inquiétant. »

Qu’est-ce que le Conseil de l’Arctique ?

Organisme intergouvernemental voué à la coopération dans l’Arctique, il est formé de huit États : Canada, Danemark, Finlande, Islande, Norvège, Russie, Suède et États-Unis, avec une présidence tournante. On y discute de populations, de biodiversité, de climat, d’océans, de polluants, de recherche et de sauvetage. Mais pas de défense.

Qu’est-ce que la Commission sur les limites du plateau continental ?

Organisme créé en 1997 en soutien à la Convention des Nations unies sur le droit de la mer. Formée de 21 experts en géologie, géophysique et hydrographie, la Commission fait des recommandations aux États côtiers sur des questions associées aux limites de leur plateau continental au-delà de 200 milles marins.

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