Rétrospective 2020 / Poésie

En feu, les recueils !

La poésie d’ici se porte bien. Depuis des années, un nombre impressionnant de poètes de tous âges écrivent. Leurs poèmes sont lus et entendus sur plusieurs plateformes. Voici 10 recueils marquants de 2020, où nous avons besoin de mots, tellement il nous en manque pour décrire cette année pandémique.

Ornithologie

M. K. Blais

Comme dans son premier recueil, Tabloïd, le poète s’intéresse à la mort. D’une façon plus équilibrée. Il décrit un quotidien où les couleurs sont des symptômes, ce qui n’empêche pas l’envol de l’imaginaire. L’esprit d’un « (anti)guide d’identification des oiseaux » dicte l’inspiration et un regard désarmant qui s’élève pour regarder avec lucidité ces petits humains grouillant au sol. Humour noir et absurde se côtoient. Il y aura bien toujours, quelque part, un mourant qui « garde le meilleur pour la fin ». Un livre rouge cardinal, profond et léger à la fois, pour transcender le temps présent.

Ornithologie, de M. K. Blais, Le Quartanier, 104 pages

Biographie de l’amoralité

Jonathan Charette

Qui d’autre que le lauréat du prix Émile-Nelligan 2018 (Ravissement à perpétuité) pour réussir le défi de relier, en un recueil, des thèmes comme la sculpture, le hip-hop, la mode et d’autres questions morales ? L’écrivain propose une poésie narrative dans le cadre d’un huis clos entre artistes. Il coupe, cisèle, recolle avec son esprit encyclopédique, usant de tout ce qui lui tombe sous la main dans son atelier ludique. Le poète manipule un théâtre d’objets qui s’entrechoquent et créent des images étonnantes. Les contrastes attirent Jonathan Charette. Amoral, il écrit tel un « ethnologue de la disgrâce ».

Biographie de l’amoralité, de Jonathan Charette, aux Éditions du Noroît, 192 pages

Nature morte au couteau

Anne-Marie Desmeules

Le troisième recueil d’Anne-Marie Desmeules (lauréate des prix du Gouverneur général et des libraires en 2019 pour Le tendon et l’os) séloigne de son style minimaliste premier afin d’avaler un grand bol d’air. Elle visite autant les zones d’ombre que de lumière. La nature et le sacré guident ses pas dans une forêt remplie de grottes et d’éclaircies, enrichissant ses vers d’images fortes. Des personnages vont et viennent, magiques. La poète se veut une funambule déjouant constamment l’équilibre. Même la beauté, qui tend à nous soumettre, écrit-elle, crépite et s’inscrit partout « dans la trame de la matière ».

Nature morte au couteau, d’Anne-Marie Desmeules, Le Quartanier, 168 pages

Et arrivées au bout nous prendrons racine

Kristina Gauthier-Landry

Voici un bel exemple de nouvelle poésie vivifiante. La jeunesse, ici, ne se cache pas, parfois naïve, la plupart du temps pertinente. Et surtout, l’écriture ne cherche pas à tout dire dès ce premier recueil. Le « je » ne fait pas que crier une douleur non plus. La poète s’étonne, s’émerveille et s’extasie. La nature triomphe comme baume réconfortant. Comme l’amour du mot anorak, le goût de la confiture et la présence de ce « ciel à nous ». La poète a le pas léger, mais un doigté d’une grande finesse. Elle sait « nommer les choses belles ».

Et arrivées au bout nous prendrons racine, de Kristina Gauthier-Landry, La Peuplade, 128 pages

La femme cent couleurs

Lorrie Jean-Louis

« Pour dire le feu sans brûler, j’écris des poèmes », annonce Lorrie Jean-Louis. Elle manie ce feu du langage, référence à James Baldwin, avec une voix claire et déterminée. Aucun mot ne dépasse dans cette poésie engagée et nécessaire. La poète nous parle de sa vie parce qu’on ne la voit pas ou, pire, qu’on refuse de la voir. Divisé en trois courants et autant de vérités, le livre démontre que l’autrice se situe du bon côté de l’histoire. Les pleurs deviennent rivière, noyant les blessures, les trahisons, la haine. Et si la poète meurt, « c’est avec l’humanité entière ».

La femme cent couleurs, de Lorrie Jean-Louis, Mémoire d’encrier, 104 pages

Pendant que Perceval tombait

Tania Langlais

Après 12 ans, le retour attendu et réussi de Tania Langlais restera un moment important de 2020. La poète crée un univers se suffisant à lui-même, nous renvoyant aux mille étoiles d’une constellation encore inconnue. Le temps s’arrête dans ce récit se déroulant en une journée. Fatidique, mais d’autant plus belle et pleine. C’est une écriture de l’intime et des grands remous intérieurs. Les vers naviguent habilement entre choc et mystère. La poète nous fait voir la souffrance comme un édifice solide qui n’enlève rien à la vie parce que les rites et les histoires peuvent aider, mais, surtout, que « la répétition nous sauvera ».

Pendant que Perceval tombait, de Tania Langlais, Les herbes rouges, 96 pages

Les îles Phœnix

Rosalie Lessard

Livre hybride et magnifique, voguant entre mille îles aux couleurs de mer/mère. C’est un hommage aux femmes, une histoire de famille, une dénonciation, tout à la fois, sur le ton de la confidence, puisque les gestes délétères sont faits dans le silence de la honte ou de l’indifférence. À survivre à la « folie des hommes », les femmes sont trop souvent des « volcans qui crachotent des fumées fantômes », mais la lave forme des îles irréductibles. Rosalie Lessard sait joindre les histoires, avec un petit h ou un grand H, touchant au plus personnel, là où les feux deviennent des étoiles.

Les îles Phœnix, de Rosalie Lessard, Éditions du Noroît, 152 pages

Les boucliers humains

Danny Plourde

Retour en poésie aussi pour Danny Plourde avec ce quatrième recueil empreint de bienveillance. Il est ce poète souhaitant « agir remarquablement ». Parce que la planète va mal, parce que la haine est partout, se protéger, donc, et combattre « seul ensemble ». C’est le livre d’un homme qui a beaucoup voyagé, vu, absorbé et qui lance un appel à la précieuse humanité. Du mont Saint-Grégoire au Cachemire, en passant par la Corée et le Japon, le poète relie les fils qui unissent les amoureux fous aux grands-mères, les lotus aux bélugas. Un livre d’une grande sagesse.

Les boucliers humains, de Danny Plourde, Poètes de brousse, 120 pages

Vie nouvelle

Michaël Trahan

Autre livre hybride d’un écrivain passé maître en la matière. L’essai et la poésie s’y confondent en assumant tous les risques. Michaël Trahan, toutefois, ne perd pas la carte, entre la forme éclatée et la profondeur du propos. Le poète creuse le langage comme un mineur qui sait qu’il trouvera de l’or. Sous la lumière de sa lampe de tête, il fait virevolter le métal pour découvrir que « nos vies sont merveilleuses et inutiles ». La naissance de son fils lui donne un sourire en coin qui dit encore et encore le désir d’écrire et de vivre.

Vie nouvelle, de Michaël Trahan, Le Quartanier, 208 pages

Vanités

Émilie Turmel

Après deux recueils, Émilie Turmel s’impose déjà telle une voix incontournable. Ce livre s’inscrit dans une mouvance d’écrits féminins sur la relation mère-fille dont on doit souligner l’importance en ce moment. Dans Vanités, la mère devient sœur, le passé se conjugue au présent. La poète souligne que le temps a peu amélioré la condition des femmes puisque « tes blessures dorment dans mon sang ». Émilie Turmel échappe à la vanité en ouvrant grand les bras et le cœur. C’est un recueil viscéral, mais accessible, intime, mais universel, qui fait mal, mais qui guérit aussi.

Vanités, d’Émilie Turmel, Poètes de brousse, 80 pages

D’autres titres à souligner

Preuves de la qualité d’ensemble de la poésie d’ici, mentionnons aussi Morts, debout, de Nora Atalla (Écrits des forges), La révolution permanente et autres poèmes, de Shawn Cotton (L’écrou), Notre-Dame du Grand-Guignol, de Sébastien Émond (#ashtag), Le temps qu’il fait, de Christian Girard (L’Oie de Cravan), et L’effet funambule, de Sébastien Lamarre (Éditions de la Grenouillère).

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