Point de vente Jean-Talon / Christophe-Colomb

Zoom sur Denis Bourgeois

… mais appelez-le Denis « Kléon » Bourgeois. Pourquoi ? Avec un nom aussi commun, il avait besoin de se sentir unique. Le film culte Les guerriers de la nuit de 1979 lui en a donné l’occasion : il a emprunté le prénom de l’un des chefs. Il aime cette fantaisie.

Quelle mémoire phénoménale, ce Denis ! Il se souvient de chaque détail, de chaque emploi qu’il a eu au cours de sa vie : en quelle année, pendant combien de jours ou de mois il a travaillé, etc. L’envers de la médaille, c’est qu’il se souvient aussi des zones sombres qui ont recouvert toute sa jeunesse.

Denis est né en 1968 dans une famille qui comptait déjà deux sœurs. Il devient rapidement leur souffre-douleur et ne trouve guère de réconfort auprès d’un père violent et d’une mère peu maternelle. À 12 ans, ses parents divorcent ; son père et ses sœurs emménagent à Montréal, et Denis reste avec sa mère à McMasterville.

Deux ans plus tard, il demande à un travailleur social de le retirer de la maison, sa mère et son nouveau compagnon ne se comportant pas « honorablement » avec lui. On le renvoie chez son père, alors que Denis aurait désiré demeurer dans la famille d’accueil par laquelle il avait transité. Heureusement, après cinq pénibles années, il est hébergé chez une tante jusqu’à ses 37 ans, en 2005.

De 1986 à 2014, les emplois se succèdent pour lui : entretien ménager, travail de manutention, distributeur de Publisac et de journaux de quartier, homme à tout faire, plongeur... la plupart de courte durée. Peu d’entre eux lui permettent d’aspirer à une vie stable.

Tout change en 2014 grâce à deux rencontres significatives : L’Itinéraire et Cybelle. L’Itinéraire lui procure une stabilité, un environnement respectueux dénué de violence qui apaise l’agressivité que les adultes de son enfance avaient alimentée en lui.

Et Cybelle, une amitié de la première heure. C’est elle qui l’a persuadé de devenir camelot alors qu’il s’occupait de la plonge dans les cuisines de l’organisme.

Depuis, il dit à tous sa fierté de porter les couleurs de L’Itinéraire et son intention de ne plus jamais changer de travail. Il savoure ses petits bonheurs au quotidien et en remercie Dieu. Au contact de ses clients, il a développé certaines habiletés sociales, même s’il chérit davantage sa solitude. Il rêve de plaisirs simples comme de s’acheter des vêtements ou de gâter Cybelle grâce à l’argent qu’il gagne. Il aime son appartement, écouter la radio face aux photos laminées qui tapissent ses murs. S’il n’avait qu’un souhait, ce serait de fuir la ville pour retourner au bord de l’eau. Mais il est prêt à l’oublier, si ce vœu n’est pas partagé par Cybelle.

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