Au début, Rielle Lévesque a cru que son fils traversait une crise d’adolescence. Au pire, c’était parce qu’il fumait un peu trop de marijuana. Ces propos bizarres, ces petits délires, ces rires inappropriés.
Il avait 18 ans. Une fille lui avait brisé le cœur. Il fumait de plus en plus et avait décroché de l’école.
Un jour, il s’est mis à « chasser les esprits » dans la maison. « À mon retour du travail, il avait mis tous les meubles devant la porte. Je ne pouvais pas entrer. Ça commençait à être évident que quelque chose ne tournait pas rond. »
Le jeune homme a écrit à son ex. Des messages menaçants : elle devait payer pour avoir rompu avec lui. Quand il s’est introduit chez elle en pleine nuit, les parents de cette dernière ont porté plainte. Rielle Lévesque a obtenu une ordonnance de la cour pour forcer son fils à se faire évaluer par un psychiatre.
Diagnostic : psychose, selon toute vraisemblance liée à sa consommation de cannabis.
« Il a pris des médicaments et s’est mis à aller mieux, mais il ne voulait plus vivre chez moi, parce que je lui avais fait un sale coup. Je l’avais trahi [en le forçant à se faire évaluer]. Il est allé vivre chez sa grand-mère. »
Il a recommencé à consommer. Et il est retombé en psychose.
Cette fois, il a sauté du haut d’un toit. En plein délire, il se croyait invulnérable, puisqu’il était… un superhéros.
Il s’est cassé les deux pieds.
Les médecins ont dû poser des vis dans l’un de ses talons. Rielle Lévesque était convaincue que l’hôpital le transférerait illico dans un établissement psychiatrique pour lui faire subir un programme de réadaptation. On l’a plutôt renvoyé à la maison.
Il a recommencé à fumer.
« Je lui disais : “Le cannabis, ce n’est pas bon pour toi”. Il répondait : “Non, c’est super bon pour moi. De toute façon, ça va être légal. Ils ne le légaliseraient pas si ce n’était pas bon”. »
— Rielle Lévesque
Le cannabis provoque des psychoses – et risque de mener à la schizophrénie – chez les jeunes qui ont une vulnérabilité génétique. Cela frappe environ 3 % des consommateurs. Et cela court dans la famille Lévesque. Il y a quelques années, le fils d’une cousine s’est retrouvé à la rue après avoir perdu la carte.
Rielle Lévesque a tenté de raisonner son fils. En vain. « Dans sa tête, il n’a pas fait de psychoses. Quand je lui parle des choses qu’il a faites, il ne s’en rappelle pas. »
Le jeune homme refuse tout traitement. Étant adulte, c’est son droit le plus strict. Sa mère le voit s’enfoncer dans la maladie mentale sans pouvoir y faire quoi que ce soit.
« Partout où il passe, il se fait mettre dehors. Il a essayé d’aller à l’école, il a essayé de travailler… partout, il trouve quelqu’un qui va lui offrir du pot. » Et il retombe en psychose.
Cela fait cinq ans que ça dure.
Sombrer dans la violence
En mars, le jeune homme a avalé des médicaments pour mettre fin à ses jours. Sa mère l’a trouvé affalé à la maison. Le lendemain, elle lui a rendu visite à l’hôpital. « Je lui ai tendu un verre d’eau et il m’a sacré un coup de poing dans la face. Il pensait que je l’attaquais. »
Rielle Lévesque a fait des pieds et des mains pour que son fils reçoive un traitement. À l’hôpital Douglas, on l’a inscrit à un programme, avec des séances de sport, des psychothérapies de groupe. « J’étais contente. Je pensais qu’il y serait pendant quelques mois, pour qu’il reprenne goût à la vie. Après deux semaines, le psychiatre lui a donné son congé. »
Il est retourné chez sa grand-mère.
En juillet, il a menacé des passants avec un bâton en pleine rue, à Montréal. « Il a dit qu’il faisait des blagues, un peu comme dans Les insolences d’une caméra ou les gags de Juste pour rire. Il trouvait ça bien drôle. »
Une femme d’un certain âge, terrifiée, a voulu se défendre. Elle a frappé le jeune homme. Il a répliqué à coups de bâton. L’affaire lui a valu une accusation au criminel. Cette fois, Rielle Lévesque était absolument certaine que son fils serait pris en charge. Qu’il serait soigné, enfin, de gré ou de force.
Mais, au bout de trois semaines, un psychiatre lui a donné son congé. Sa mère et sa grand-mère avaient pourtant clairement indiqué à l’hôpital qu’elles étaient désormais incapables d’assurer sa sécurité.
« On m’a dit qu’on allait l’envoyer dans un refuge pour sans-abri. Va-t-il subir le même sort que Magloire ? Va-t-il agresser quelqu’un avant qu’on lui tire dessus ? »
— Rielle Lévesque
Alain Magloire est ce père de famille dont la vie a basculé après avoir avalé une pilule d’ecstasy. La maladie mentale l’a jeté à la rue. Des policiers l’ont abattu alors qu’il était en crise, le 6 février 2014. Le coroner a blâmé non pas l’intervention policière, mais la piètre organisation des soins de santé.
Le point de non-retour
La grand-mère n’a pu se résoudre à voir son petit-fils transformé en sans-abri. Malgré le danger, elle l’a repris sous son toit. « Cela fait cinq ans que cela dure, dit Rielle Lévesque. C’est clair que cela se dégrade. Chaque fois qu’il revient, il n’est pas comme avant. Il rit tout seul, il a de la difficulté à parler. »
Impuissante, elle voit son fils s’enfoncer peu à peu dans la maladie mentale. Et craint le point de non-retour. « Il risque de devenir schizophrène. Sa psychiatre m’a dit : “À un moment donné, on ne peut plus les ramener, même avec les médicaments.” C’est urgent de faire quelque chose. » Avant qu’il ne soit trop tard.
Rielle Lévesque raconte son histoire en espérant faire bouger les choses, pour son fils et pour ceux qui risquent de vivre le même cauchemar avec la légalisation du cannabis.
« Il va y en avoir beaucoup plus. Qu’est-ce qu’on fait avec ces jeunes-là ? Ils sont foutus si on n’agit pas à temps. »
— Rielle Lévesque
Les jeunes adultes ont le droit de refuser des traitements, admet-elle. « Mais les recherches démontrent que le cerveau finit de mûrir à l’âge de 25 ans. […] Quand la drogue provoque des psychoses, cela affecte les capacités des gens à prendre de bonnes décisions. Ils n’ont plus de jugement. »
Si on avait forcé son fils à subir un traitement, croit-elle, il n’en serait pas rendu là, sur cette pente glissante.
« J’ai peur qu’il devienne itinérant, comme le fils de ma cousine. Elle m’a dit un jour qu’elle ne savait jamais quand elle recevrait un appel pour lui annoncer sa mort. Moi, c’est pareil. Il a sauté d’un toit, il a tenté de se suicider, il a menacé des gens avec un bâton. Ça va être quoi, la prochaine étape ? Est-ce qu’il va prendre un couteau ? Un fusil ? »