Radio intimidation

Ceci est une chronique sur la mécanique de l’incitation à la haine. Sur l’intimidation politique. Sur la lâcheté.

Oui, je parle de Radio X.

Les journalistes de Québec vous diront qu’une bonne façon de savoir si on a parlé de vous à cette « radio toxique », comme l’appelle Régis Labeaume, c’est que soudainement vous recevez des dizaines de messages haineux, d’insultes, de menaces.

C’est arrivé à ma collègue Mylène Crête, qui a porté plainte à la police de Québec pour menaces de mort il y a peu. Un brave anonyme sur Twitter n’avait pas digéré ses questions à Éric Duhaime.

Notez bien : pas son texte ; ses questions.

Mylène est une des seules journalistes à suivre le chef conservateur du début à la fin de la campagne. On peut l’entendre régulièrement aux points de presse faire très bien son boulot.

Au début de la campagne, Mario Dumont avait écrit dans Le Journal de Montréal qu’Éric Duhaime devait se distancer des complotistes qui forment une partie de sa base. Ce ne sont pas tous les partisans de Duhaime, bien entendu, mais ils sont nombreux à être antivax, à croire que Trump s’est fait voler la présidence, etc.

Mylène a donc carrément demandé à Duhaime s’il croyait que Joe Biden avait bel et bien été élu, s’il allait lui-même reconnaître le résultat le 3 octobre en cas de défaite, s’il voyait un problème avec la 5G…

Duhaime ne s’en est pas formalisé, a ridiculisé les thèses complotistes et affirmé qu’il reconnaîtrait le futur résultat, quel qu’il soit.

Affaire classée.

Enfin, pas tout à fait…

À l’émission de Dominic Maurais et de ses acolytes, les animateurs ont commencé à diffuser les questions pour les ridiculiser. « Des questions de tarte. Tarte alert ! Fucking tarte », etc.

Oh, rien de personnel, sans doute Mylène est « quelqu’un d’intelligent », mais elle pose des questions de tarte.

Et on continue.

Voyez le topo.

Jeudi, Duhaime est à Radio X. Maurais fait encore une fois jouer l’extrait avec la question. Les journalistes qui suivent Duhaime, dont Mylène, sont sur place.

« Est-ce que c’est les questions les plus niaiseuses ? », demande l’animateur.

Duhaime, qui la joue très relax, dit qu’il y en a eu de bien pires.

À quoi voulait en venir l’animateur, sinon intimider et humilier publiquement la journaliste présente, en fait tous les journalistes autour de son candidat chouchou ?

Précisons que Duhaime lui-même a une relation très cordiale et respectueuse avec les journalistes. Les militants ne sont pas hostiles non plus dans les rassemblements. Duhaime les avertit quand il y aura des questions déplaisantes de ne pas mal réagir. Bref, dans la campagne, ça se passe bien.

Mais ma chronique ne porte pas sur Duhaime et la campagne.

Elle porte sur la fabrication et l’accélération de la haine.

***

Vous me direz : les journalistes ne sont pas à l’abri de la critique. Bien sûr que non. Sauf que si vous passez des extraits à répétition, si vous insultez la personne encore et encore, c’est une autre histoire. Tout ça ne tombe pas dans le vide. Ça excite la haine des auditeurs. Et la haine est relayée par les réseaux sociaux.

En 2017, un homme a envoyé un courriel à la chroniqueuse Karine Gagnon, du Journal de Québec, avec une photo de Régis Labeaume ensanglanté, avec des paroles de Metallica. L’homme a été déclaré coupable de menaces envers le maire – mais pas envers la journaliste, même si elle était associée et inondée d’insultes.

Le courriel de menaces était accompagné d’une photo d’animateurs de Radio X.

Les gens de Montréal pensent souvent que les « radios toxiques » se distinguent par leurs opinions plus ou moins « extrêmes » ou « choquantes ». Ou leurs outrances verbales.

« Hon ! Y’a pas dit ça ? As-tu entendu ce qu’y disent… »

Ça fait partie bien sûr de l’arsenal de ce que les Américains ont appelé la shock radio.

Mais ce qui caractérise vraiment ces radios, c’est la technique, pas l’opinion. Ce qui les rend différentes, c’est l’utilisation de l’attaque personnelle répétée à des fins idéologiques.

J’ai compris ce qu’était André Arthur quand j’ai passé plusieurs semaines à Québec à l’écouter. Il pouvait se mettre sur le « cas » de quelqu’un et ne pas le lâcher. Un prof inconnu avec un plan de cours bizarre. Un journaliste local qu’il n’aimait pas. Des politiciens, bien sûr. Mais souvent des nobodys. Et jour après jour, pendant des semaines, il remettait ça. Il terrorisait plein de monde en ville.

Ses héritiers s’en inspirent. Jeff Filion a été condamné à verser 300 000 $ pour son harcèlement radiophonique envers Sophie Chiasson. Même technique dégradante.

Mais la différence maintenant, c’est qu’ils existent au temps de l’internet et des réseaux sociaux. Ils savent l’effet multiplicateur de haine qu’ils provoquent chez certains disciples.

Avez-vous remarqué ? Souvent, les lâches et les intimidateurs aiment en particulier s’en prendre aux femmes. Il y a un excellent et très important film là-dessus dans nos cinémas : Je vous salue salope, un long métrage réalisé par Léa Clermont-Dion et Guylaine Maroist.

Comme par hasard, les cibles favorites de Maurais sont souvent des journalistes féminines : Anne-Marie Dussault, Céline Galipeau, etc. Ou des journalistes féminines de Québec.

Ça doit être un hasard.

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