Bamako — Les djihadistes affiliés à l’État islamique au Sahel, naguère donnés pour diminués, ont étendu ces derniers mois leur champ d’action au Sahel, signant leur présence par une série sans précédent de massacres de civils.
Le groupe État islamique au grand Sahara (EIGS) paraissait affaibli il y a encore six mois après la perte de plusieurs de ses chefs, à commencer par son fondateur marocain Adnan Abou Walid Al-Sahraoui, tué en août 2021 au Mali par une frappe de Barkhane, la force antidjihadiste française au Sahel.
Face à une multiplication des attaques djihadistes et une contestation grandissante contre la présence française, la France, engagée militairement depuis 2013, avait désigné en janvier 2020 l’EIGS comme la cible prioritaire pour elle et ses alliés dans l’immense zone reculée et aride dite des trois frontières, entre Mali, Burkina Faso et Niger.
En février 2021, le président Emmanuel Macron déclarait que l’EIGS « avait perdu son emprise et [subissait] de nombreuses pertes ». Les groupes combattant sous la bannière rivale d’Al-Qaïda passaient pour avoir pris l’ascendant sur l’EIGS par les armes, au moins au Mali.
Mais « au moment où on pensait être venu à bout des “terroristes”, ils se réorganisaient », remarque Souley Oumarou, de l’ONG Forum pour une citoyenneté responsable (FCR), qui a été conseiller de l’ancien président nigérien Mahamoudou Issoufou.
« En dépit de l’élimination ou l’arrestation des principaux chefs de l’organisation (EIGS), les cadres intermédiaires sont souvent restés en place et la dynamique de recrutement ne s’est pas enrayée », estime Mathieu Pellerin, chercheur français spécialiste de la région.
« Plus le groupe opère sur un territoire restreint, plus il s’expose. Sa survie passe donc par son expansion », souligne-t-il.
Litanie de tueries
Au cours du seul mois de juin, la marque de l’EIGS a été décelée à des centaines de kilomètres de distance à Anderamboukane (Mali, frontière avec le Niger) dans des combats contre les soldats maliens et des groupes armés pro-gouvernementaux ; les 11 et 12 juin à Seytanga (nord du Burkina Faso) où le massacre de 86 civils, non revendiqué, porte la signature de l’EIGS ; ou encore mi-juin à Tessit (Mali) dans des affrontements rapportés par des sources locales avec Al-Qaïda.
« Oui, le groupe est en capacité d’opérer sur ces trois fronts simultanément », assure M. Pellerin.
Depuis 2021, le paysage stratégique a changé. Les Français et leurs alliés ne sont plus à la pointe du combat au Mali au côté de l’armée nationale. Les colonels au pouvoir à Bamako les ont poussés dehors et fait appel aux Russes. Les Français sont en passe de quitter leur dernière base au Mali et de « réarticuler » leur dispositif.
Le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, jugeait « probable » dans un récent rapport que le retrait français crée « dans certaines zones un vide qui risque d’être exploité par les groupes armés terroristes ». Le retrait et la détérioration de la sécurité aux trois frontières « aura des conséquences sur la protection des civils », mettait-il en garde par ailleurs dans une lettre adressée à la présidence du Conseil de sécurité.
« Jamais au Sahel, les massacres de civils ne se sont succédé comme ça », note un responsable onusien tenu à l’anonymat par les règles de l’organisation.
Le nombre de civils tués dans des attaques attribuées à des groupes extrémistes a quasiment doublé depuis 2020 au Sahel central, affirme une coalition d’ONG ouest-africaines dans un rapport publié jeudi.
— Agence France-Presse