L’avenir de l’est de Montréal et la pensée magique

La ministre de la Métropole, Chantal Rouleau, persiste et signe. Le transport collectif dans l’est de Montréal se déclinera sur le mode d’un train léger aérien automatisé, même si sa pertinence reposait d’emblée sur un modèle d’affaire et une gouvernance contraires à l’intérêt public.

Qui plus est, l’abandon du segment centre-ville serait compensé par le déploiement de deux antennes lanaudoises, bien qu’aucune étude sérieuse ne justifie cet ajustement qui a toutes les apparences d’une énième ingérence politicienne dans le dossier du transport collectif dans la région métropolitaine. Une ingérence doublée, au surplus, d’une menace à peine voilée formulée à l’encontre des dirigeants de l’Autorité régionale de transport métropolitain quant à l’avenir de l’organisme.

Pendant ce temps, la réflexion sur l’avenir de l’Est montréalais se fait en ordre dispersé, au gré des projets esquissés par les uns et des autres dans l’ombre d’une vision idyllique : faire de l’est de Montréal une Silicon Valley verte (sic). Mais sur quoi repose cette vision soutenue, entre autres, par l’ex-maire de Montréal Denis Coderre le premier ministre François Legault et la mairesse de Montréal-Est, Anne St-Laurent ? De toute évidence, essentiellement sur la disponibilité de vastes emplacements libérés par l’érosion du raffinage et sur les effets structurants supposés du transport collectif.

Mais cette manière de voir l’avenir de l’est de Montréal n’est-elle pas un peu étriquée ? Si l’est de Montréal présente de si belles occasions d’affaire – de vastes terrains à relativement bas prix compte tenu des contraintes liées à la contamination – comment se fait-il que c’est seulement aujourd’hui qu’on découvre cet eldorado ? Et pourquoi les entreprises de haute technologie se sont-elles installées ailleurs depuis deux ou trois décennies, y compris là où il en a souvent coûté plus cher pour ce faire ? Se pourrait-il que d’autres contraintes plombent le devenir de ce territoire ?

Effets de voisinage

Il n’est pas inutile de rappeler que l’est de Montréal est affecté par les effets de débordement des activités du port de Montréal et des vastes zones et parcs industriels manufacturiers, notamment en ce qui concerne la desserte par camionnage, qu’on y trouve une des plus importantes concentrations d’îlots de chaleur de la région métropolitaine, la seule carrière encore en activité − et pour encore quelques décennies −, l’usine d’épuration de l’agglomération et le seul poste de la ligne 735 kV dans l’île.

Or, cette présence n’est pas l’effet du hasard. Elle est la conséquence d’une distribution historique des activités liée en partie à la géographie et en partie aux décisions du passé, par exemple celle de consacrer le territoire de Montréal-Est à l’accueil des pétrolières ou de créer des zones et parcs industriels extrêmement « rentables » du point de vue de la fiscalité municipale, mais caractérisés par des effets de voisinage difficiles à atténuer.

Le territoire n’est pas une ardoise qu’il suffit d’effacer pour en renouveler le contenu. Il est plutôt un palimpseste dont les couches plus ou moins profondes affectent à des degrés divers les couches de surface, y compris celles qu’on entend y inscrire.

Ce constat ne confine évidemment pas à l’inaction ou à la perpétuation du passé. Ce dont témoigne, entre autres, le quartier Anjou-sur-le-Lac, un voisinage résidentiel de grande qualité coincé entre des secteurs industriels et commerciaux désespérants de banalité. Si un tel infléchissement de l’évolution du territoire a été possible, il est certes permis d’avoir de l’ambition. Mais, doit-on faire comme si l’est de l’île était un terrain ouvert à tous les possibles ?

Ce dont a urgemment besoin l’est de Montréal, c’est une réflexion critique sur son avenir plus que d’un concept plaqué arbitrairement au seul motif de la disponibilité de terrains et des effets structurants supposés d’une infrastructure de transport, au demeurant tout aussi arbitrairement imposée.

Or, cette réflexion tarde et risque, par conséquent, d’être subordonnée à la multiplication d’initiatives de toutes natures, y compris en ce qui concerne le transport collectif.

Cette réflexion urbanistique est d’autant plus indispensable que les options de développement qui en découleront devraient guider le choix des tracés et des modes du transport en commun dont l’effet levier dépendra, in fine, de la manière dont on saura judicieusement intégrer les enjeux d’urbanisme et de mobilité. Il y va de la pertinence et de la possibilité réelle de fonder le prochain plan d’urbanisme de Montréal sur une articulation urbanisme-mobilité. L’entêtement du gouvernement Legault est ici contraire à l’intérêt public. À moins que la dimension électoraliste du dossier transport en commun dans l’est de Montréal ait préséance sur les besoins actuels et futurs de la population.

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