Congrès de l'ACFAS

Travailler de nuit pour voir sa famille

On parle beaucoup de conciliation travail-famille au Québec depuis la démission de Pierre Karl Péladeau. Or, des chercheuses ont découvert que plusieurs travailleurs pratiquent une forme extrême de cet art délicat : ils choisissent de travailler de nuit afin de maximiser le temps passé avec leurs proches.

Mélanie Lefrançois, doctorante à l’UQAM au programme de doctorat interdisciplinaire en santé et société, a passé 90 heures d’observation auprès de travailleurs qui nettoient des équipements de transport. Elle a même suivi une formation afin de travailler avec eux et de mieux comprendre leur réalité.

Dans ce type de boulot, les quarts de travail de jour sont rares et convoités. Plusieurs employés travaillent de midi à 20 h. Mais Mme Lefrançois a découvert que plusieurs parents, dont trois mères de famille monoparentale, préfèrent travailler carrément de nuit plutôt que de faire des heures de soir. Elles sont ainsi présentes pour le retour de l’école, le souper, les devoirs et le coucher des enfants.

« Pour elles, c’est la moins pire option. Elles sont disponibles pour leur famille pendant le jour, lorsque les besoins sont là », dit Mme Lefrançois, qui travaille sous la direction des professeures Johanne Saint-Charles et Karen Messing. Les résultats ont été dévoilés hier au congrès de l’ACFAS.

AU DÉTRIMENT DE LA SANTÉ

Le hic, c’est que cette stratégie de travailler de nuit pour mieux se consacrer à sa famille se fait invariablement au détriment de la santé des travailleurs.

« Ces gens coupent dans les heures de sommeil, raconte la chercheuse. Lors des jours de travail, ils dorment de trois à quatre heures par jour, parfois moins. Les autres jours, ils essaient de rattraper le déficit de sommeil tout en faisant les tâches ménagères qui n’ont pas été faites. »

« Plusieurs travailleuses présentaient des symptômes d’épuisement. Certaines étaient carrément malades. »

— Mélanie Lefrançois, doctorante à l’UQAM au programme de doctorat interdisciplinaire en santé et société

La chercheuse a noté que les travailleurs touchés par des horaires atypiques s’entraident souvent de façon informelle, en s’échangeant des quarts de travail, par exemple. « Le problème, c’est que c’est du donnant-donnant. Les plus vulnérables n’ont souvent rien à offrir aux autres et se retrouvent exclus des réseaux de soutien, alors que c’est eux qui en ont le plus besoin. »

La chercheuse souligne que les horaires atypiques sont de plus en plus fréquents au Québec et touchent maintenant un travailleur sur cinq. « On n’en parle pas, de ces gens, dénonce-t-elle. Il est temps de s’intéresser aux défis et aux problèmes qu’ils vivent. »

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.