Opinion : Santé publique

Plaidoyer pour une information accessible à tous

Chaque jour depuis un an, nous sommes bombardés d’informations sur la COVID-19. On assiste à ce qu’on appelle une « infodémie » : les informations qui circulent sont nombreuses, complexes et parfois fausses. Pour une grande partie de la population, il est déjà difficile de faire des choix pour sa santé en temps normal. En effet, 53 % de la population de 16 à 65 ans ont de la difficulté à comprendre et à utiliser les informations pour agir et s’épanouir (PEICA, 2013). Concernant la santé, ce pourcentage est encore plus élevé. Comment toutes ces personnes peuvent-elles bien prendre soin de leur santé ? Comment, par exemple, peuvent-elles prendre une décision éclairée sur le vaccin ?

Nous sommes une quinzaine d’intervenantes et de chercheuses de l’action communautaire, de la santé, de la santé publique, des communications et de l’éducation. Nous souhaitons que les informations en santé publique soient accessibles pour toute la population. Nous avons décidé d’agir et nous avons créé la coalition Communic’Action.

Personne ne fait exprès de ne pas comprendre. Ce qu’il faut changer, c’est la façon de transmettre les informations.

Nous ne sommes pas les premières à dire qu’en santé, une stratégie de communication unique, ça ne fonctionne pas.

Si on veut joindre tout le monde, il faut réussir à communiquer avec les personnes pour qui l’information est moins accessible. Sinon, on améliore le sort de ceux et celles qui sont déjà avantagés, et on laisse derrière les moins favorisés.

Des informations trop complexes pour certains

Durant la dernière année, nous avons été témoins de nombreux exemples d’informations difficiles à comprendre. Des personnes ont eu peur de se faire arrêter par la police en plein jour si elles sortaient marcher. Elles sont restées à la maison, sans bouger ni voir personne. D’autres ne comprenaient pas que leur résultat de test négatif était en fait une nouvelle positive. Les communications sur la COVID-19 sont remplies de mots que ces personnes ne connaissent pas : chronique, s’abstenir, côtoyer, asymptomatique…

Nous pensons que chaque adulte doit être en mesure de choisir pour soi-même. Et pour que cela soit possible, l’État et les médias ont la responsabilité de rendre l’information accessible. Une information accessible est d’abord facile à trouver.

Une partie de la population n’aura pas accès à une information disponible seulement par internet. Plusieurs personnes ont besoin de services en personne ou au téléphone, sans répondeur à choix multiples.

Une information accessible est aussi facile à lire et à comprendre. Pour cela, il faut choisir des mots de tous les jours, définir les concepts moins connus et employer des phrases courtes et simples. Il faut aussi choisir ce qui est important pour ne pas noyer les informations dans une mer de mots.

Les travailleuses communautaires connaissent bien les personnes qui sont mises de côté parce qu’elles ne comprennent pas bien l’information qui circule. Certains groupes ont développé une expertise sur le langage clair et simple. La Jarnigoine, groupe d’alphabétisation à Montréal membre de la coalition, travaille sur les enjeux de communication en santé depuis des années. La Direction régionale de santé publique de Montréal a d’ailleurs demandé aux membres de l’organisme d’évaluer des messages sur le vaccin contre la COVID-19. C’est une stratégie que l’on pourrait utiliser plus souvent au Québec. Les enjeux de faible littératie devraient aussi être abordés dans les formations universitaires en communications publiques. Certains pays, comme la Nouvelle-Zélande, les États-Unis et le Canada, sont allés plus loin et ont mis en place une politique ou même une loi de communication en langage clair (plain language).

La pandémie nous offre une occasion extraordinaire d’apprendre et d’améliorer les communications en santé publique. Des solutions existent, mais elles demandent de changer notre perception de ce qui est crédible et acceptable dans notre langage. Plusieurs continuent à considérer le langage clair et simple comme un « nivellement vers le bas ». Nous voyons plutôt cette approche comme un moyen puissant pour permettre aux Québécois et Québécoises de prendre soin de leur santé et d’exercer leur citoyenneté. Adopter une communication claire et simple est nécessaire, comme le sont les rampes d’accès pour la mobilité de tous et toutes. Cela garantit à tout le monde le droit de comprendre et de prendre soin de soi.

* Amélie Bouchard, animatrice à La Jarnigoine, Centre d’alphabétisation de Villeray ; Karoline Truchon, professeure, département des sciences sociales, Université du Québec en Outaouais (UQO) ; Julie Ruel, professeure associée, UQO ; Valérie Lemieux, ergothérapeute et titulaire d’une maîtrise en santé publique ; Martine Fillion, présidente du Regroupement des groupes populaires en alphabétisation du Québec (RGPAQ) ; Nina Méango, coordonnatrice des programmes santé, Alliance des communautés culturelles pour l’égalité dans la santé et les services sociaux (ACCESSS) ; Virginie Thériault, PhD, professeure, UQAM ; Johanne Arseneault, animatrice, Atout-Lire, groupe populaire en alphabétisation ; Christine Loignon, PhD, professeure titulaire, Université de Sherbrooke ; Lucie Poirier, spécialiste des communications en langage clair et simple ; Sophie Dupéré, professeure agrégée, Université Laval ; Marie-Claude Gélineau, Dt. P. ; Esther Filion, intervenante communautaire, coordonnatrice de Communic’Action

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