Opinion COVID-19

La responsabilité

Qui n’a pas rêvé d’un patron qui agirait comme un paratonnerre face à une de nos bévues et qui prendrait à sa charge une exécution imparfaite ?

Et, de surcroît, le ferait lors d’une réunion importante devant tous nos pairs ? Je l’ai souhaité souvent durant les 30 dernières années, mais, hélas, je suis resté sur ma faim. À moins que vous n’ayez beaucoup de veine, ce patron empathique et compréhensif n’existe pas. À moins que vous ne vous appeliez Marguerite Blais.

Je suis encore étonné que le premier ministre Legault ait souhaité prendre à sa charge les dérives dans les CHSLD. Je me rappelle très bien le jour où il a fait cette déclaration – personne ne s’y attendait, parce que le Québec ne cherchait pas encore de coupable.

Profitant d’une sympathie politique incommensurable et amplement méritée, il a tout simplement affranchi une ministre qui croyait peut-être qu’elle avait déjà accompli beaucoup en sonnant l’alarme sur l’état des CHSLD.

Un peu comme un citoyen qui appelle le 911 en voyant des flammes s’échapper d’une maison du voisinage, Mme Blais nous a donné l’impression que son rôle s’arrêtait à l’appel – elle n’avait pas aussi à enfiler des vêtements de pompier. Elle se comporte et, par ses propos, se perçoit plus comme une ombudsman qu’une ministre.

Ce n’est pas seulement autour de Mme Blais que l’étau risque de se resserrer. La crise du coronavirus a aussi levé le voile sur une multitude de revers inquiétants dans le ministère de la Santé et des Services sociaux.

Sa titulaire, Danielle McCann, saupoudre ses interventions d’acronymes qui font frissonner tous les Québécois déjà particulièrement inquiets de la taille de son ministère. Elle a souvent fait marche arrière sur des affirmations sans équivoque en réponse à des questions des journalistes. La « machine » lui fournissait des réponses inexactes ou incomplètes qu’elle ne semblait pas en mesure de valider.

On a souvent eu l’impression que Mme McCann ne savait pas exactement ce qui se passait sur le terrain. Pourtant, elle a travaillé de nombreuses années au sein de ce ministère – et c’est d’ailleurs cette expertise que recherchait M. Legault lorsqu’il l’a recrutée pour se présenter pour la CAQ en 2018.

Durant cette campagne, j’ai milité en faveur de la nomination d’une femme à la tête du ministère de la Santé. J’ai aussi suggéré que nous gagnerions à trouver une personne avec des connaissances en logistique plutôt que d’y nommer un autre médecin.

La crise sanitaire a fait rejaillir toutes les imperfections de ce ministère, particulièrement pour ce qui touche la logistique et l’organisation du travail.

Mme McCann avait un profil que je trouvais intéressant –, mais je crois qu’elle n’avait pas suffisamment de distance avec le Ministère pour remettre en question les processus en place.

Lettre de mandat

En politique fédérale, un ministre reçoit une lettre de mandat de son patron l’instruisant sur ses priorités. Je me rappelle très bien du contenu de la mienne. J’héritais du ministère des Travaux publics, à l’origine du scandale des commandites. Ma mission était simple : m’assurer que de nouvelles mesures soient instaurées pour éviter un autre épisode.

Au Québec, la pratique est différente et les premiers ministres n’ont pas toujours recours à des lettres de mandat. Mais je doute que Mmes Blais et McCann avaient besoin d’une confirmation écrite indiquant que les CHSLD et la performance du ministère de la Santé se trouvaient au centre des priorités de M. Legault.

Quelques semaines après l’élection de la CAQ, j’ai écrit dans La Presse que le premier ministre devait protéger ses ministres et être compréhensif devant l’erreur. Je le crois encore. Mais il existe des livrables qu’un employé… doit livrer ! Cette crise n’est probablement pas le meilleur moment pour un premier ministre de considérer un remaniement ministériel –, mais elle l’aura très certainement éclairé sur les forces (et les faiblesses) de son équipe.

Sa performance remarquable depuis le début de la crise donne des airs d’intouchable à M. Legault. À ses proches conseillers qui préparent peut-être déjà le deuxième mandat, je suggérerais un coup d’œil du côté de l’Europe, qui célébrait vendredi le 75e anniversaire de la défaite allemande lors de la Seconde Guerre mondiale. En juillet 1945, Clement Attlee est devenu le premier ministre du Royaume-Uni. Il a défait un dénommé Winston Churchill, héros de la victoire des Alliés.

Certains diront qu’un leader sait prendre la pression pour permettre à son équipe de mieux performer. Peut-être, mais encore ne faudrait-il pas que M. Legault présume que les Québécois feront preuve d’autant de compassion que lui.

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