Pop

tout en retenue

Wonder
Shawn Mendes
Island Records
Trois étoiles

Wonder, quatrième album de Shawn Mendes, est décevant. Ce n’est pas que les 14 pièces n’offrent aucun réjouissant moment de pop. Certains morceaux sont très bien, même. C’est plutôt qu’on sent tout au long un potentiel bien plus grand, que l’artiste se retient d’explorer.

Shawn Mendes ne présente publiquement qu’une image très aseptisée et polie de lui-même. Il semble parfait, fait très attention à ce qu’il fait et à comment il le fait. Musicalement, c’est la même chose. Il l’avoue, il est perfectionniste, très dur envers lui-même et anxieux de voir son succès lui glisser entre les mains. Cela semble avoir pour conséquence directe de paralyser sa créativité. Son offre est immensément prudente. Ç’a toujours été le cas, mais lorsque ce quatrième opus a été annoncé, on aurait pu espérer y trouver un Shawn Mendes plus certain, prêt à assumer des prises de risques. Mais non.

Mendes n’a que 22 ans. Wonder est son quatrième album, mais il grandit encore, prudemment, à la recherche de ce qui le distinguera. Ou peut-être se complaît-il exactement là où il se trouve ? Si c’est le cas, il continuera de très bien faire commercialement, sans jamais exceller dans son art. Pourtant, le potentiel est là.

La pop insufflée de rock du Canadien est convenue, mais elle est très bien chantée. Vocalement, Shawn Mendes fait extrêmement bien, il atteint des octaves qu’il ne pouvait tenter auparavant.

Surtout, la réalisation de cet album est salvatrice. Si les textes n’ont pas grand-chose de percutant et si les mélodies des couplets sont trop souvent banales, la présence instrumentale des refrains redonne vie à plusieurs pièces. Par exemple, sur Always Been You ou Call My Friends, où la performance des musiciens fait tout le travail.

Une chanson plutôt fade comme Dream devient tout à coup intéressante lorsque l’on s’attarde au travail de composition instrumentale et à la limpidité de la production. L’introduction de l’album, d’une minute seulement, a été composée à huit mains. Ça fait beaucoup de monde pour six phrases, mais l’instrumentation, encore une fois, est tout à fait exquise. Le refrain de Wonder et son interlude, où les chœurs et la batterie, grandioses, guident l’allure, auront un bel impact en concert.

Un grand merci est dû à Frank Dukes (Drake, Camila Cabello), Kid Harpoon (Harry Styles), Scott Harris (The Chainsmokers) et Nate Mercereau (Lizzo), qui sont de toutes les compositions, écrites ou coécrites par Mendes.

Le R&B sur Monster, en duo avec Justin Bieber, est bienvenu. Les deux musiciens, dont les parcours ont quelques similarités (des Canadiens devenus célèbres très jeunes), abordent les différents désagréments de la vie qu’ils ont choisie, où tous leurs gestes sont scrutés, où le piédestal sur lequel on les a mis peut donner le vertige. Mendes s’ouvre sur le sujet plus d’une fois, notamment avec Call my Friends, où il chante son désir de « prendre des vacances de sa vie » pour voir ses amis et vivre quelques instants de normalité.

Sans surprise, la plupart des titres de l’album sont toutefois des chansons d’amour. Dans le documentaire In Wonder, paru sur Netflix à la fin du mois de novembre, qui suit Shawn Mendes durant la fin de sa tournée et dans la création de ce nouvel album, il raconte à la caméra que tous les textes qu’il a écrits par le passé portent sur son amour pour la chanteuse Camila Cabello. Wonder est une suite logique. La pièce 305 porte le nom de son indicatif régional, Dream raconte que le jeune homme rêve à elle lorsqu’elle n’est pas à ses côtés, Can’t Imagine parle du fait qu’il ne peut envisager sa vie sans elle, etc.

Malgré tout, Shawn Mendes reste en surface. Il chante ce qu’il sent que le public veut entendre, de la façon dont il veut l’entendre. Il ne se trompe pas dans la façon de faire, Wonder est plaisant, la radio se délecte déjà des extraits parus ces derniers temps. Mais le problème, lorsqu’un artiste fait ce qui « doit » être fait pour plaire, c’est que sa personnalité s’en retrouve diluée. On espère bientôt découvrir Shawn Mendes sans barrières ni artifices.

Slam

Essentiel David Goudreault

Poésie, slam, spectacle, roman : David Goudreault est sur de nombreux fronts depuis quelques années. Pas étonnant donc de le voir rebondir avec un album – son quatrième en carrière. Sur des rythmes hip-hop et des mélodies qui transportent, le slameur y psalmodie à sa manière très frontale ses mots qui claquent et ses rimes qui réveillent.

Réalisé par Manu Militari et Goudreault lui-même, Le nouveau matériel réunit beaucoup de collaborateurs de qualité, dont Alex McMahon aux compositions, Ariane Moffatt, Florence K et Luce Dufault aux voix et Louis-Jean Cormier aux deux. Mais c’est le souffle et l’intention du chanteur qui forment le cœur de cet album aux textes riches et explosifs, remplis de détournements de mots et de sens, et qu’on ne peut pas écouter d’une oreille distraite si on veut l’apprécier à sa juste valeur.

D’autant qu’une certaine lourdeur se dégage de l’ensemble. L’ambiance est grave et les sujets sont à l’avenant sur Le nouveau matériel : maladie mentale, intimidation, solitude, pression sociale, indifférence, David Goudreault en a long à dire sur le monde qui l’entoure, et ce monde ne lui inspire pas beaucoup de légèreté.

Au fil de ces pièces où la lumière arrive à filtrer quand même parfois, on cherche en vain l’humour qui caractérise Goudreault en spectacle, mais aussi dans ses romans. Ce qui ne le rend pas moins pertinent, bien sûr, ni moins percutant. Mais on ne ressort pas de cet album avec l’impression de s’être fait bercer, plutôt de s’être fait brasser. Qu’il soit incandescent dans Avril et Grands départs (avec Manu Militari), bouillant sur Mental malade (avec Florence K) et Battre mon cœur, ou touché par la grâce dans Être été et Pleurer des soleils (avec Louis-Jean Cormier), ce qui est sûr, c’est que David Goudreault ne relâche jamais l’intensité.

Mais s’il n’y avait qu’une seule raison pour que Le nouveau matériel existe, ce serait pour sa version définitive de J’en appelle à la poésie, texte phare de Goudreault écrit en hommage aux poètes d’ici, qu’il récite dans ses spectacles depuis des années.

Placée sur une musique d’Antoine Gratton et d’Alex McMahon, soutenue par le quatuor à cordes Esca, cette ode irradie encore plus de passion pour la poésie sous toutes ses formes, et on rêve maintenant qu’elle soit diffusée partout : dans les écoles, les cafétérias d’entreprise, les centres commerciaux, les transports en commun, partout où la graine de la poésie pourrait être semée grâce aux mots vibrants de Goudreault, faire germer un intérêt, une curiosité, un désir d’aller lire Roland Giguère, Marie Uguay, Hélène Monette, Joséphine Bacon ou Rodney Saint-Éloi.

C’est là toute la force de passeur de David Goudreault, et la raison pour laquelle il est si essentiel. Pour ça, ainsi que pour sa manière de rendre la langue aussi vivante que puissante et son combat incessant contre l’apathie, on ne le remerciera jamais assez.

Classique

subtile ode au violoncelle français

Consacré à la musique de chambre française du début du XXsiècle, l’album MON AMI, Mon amour réunit la pianiste Mari Kodama et le violoncelliste Matt Haimovitz, respectivement associés aux maisons de disques Pentatone et Oxingale, qui ont établi un partenariat en 2015. Les deux artistes ont chacun un lien avec le Québec, la première étant la conjointe de l’ancien chef de l’Orchestre symphonique de Montréal Kent Nagano et le second, professeur à l’Université McGill depuis de nombreuses années. Le disque, qui a été enregistré en juin 2019 au Skywalker Ranch du réalisateur George Lucas en Californie, célèbre également la réunion du violoncelliste avec son instrument, un Goffriller de 1710 qui avait été gravement abîmé quelques mois plus tôt.

Hormis deux courtes pièces de Fauré – Papillons et une transcription d’Après un rêve –, les œuvres jouées ont toutes été composées entre les années 1910 et 1940. À côté des deux jalons que sont les sonates pour violoncelle et piano de Debussy et Poulenc, le disque propose de courts morceaux de Ravel, Milhaud et des sœurs Nadia et Lili Boulanger.

Les deux musiciens offrent une interprétation très maîtrisée des œuvres au programme. Le violoncelle de Matt Haimovitz se distingue notamment par sa sonorité à la fois boisée et veloutée. Comme interprète, il fait très « grand style », à l’instar de Rostropovitch ou de Fournier. Il est au mieux dans les passages lyriques (Milhaud, par exemple) et dans le bouleversant Kaddish de Ravel. D’autres – Maurice Gendron ou, plus récemment, Jean-Guihen Queyras et Anne Gastinel – ont toutefois réussi à aller plus loin dans le côté fantasque des mouvements rapides de Poulenc ou Debussy. Même chose avec la dernière pièce de Nadia Boulanger, qui n’a pas grand-chose de « vite et nerveusement rythmé », comme le demande la compositrice.

La captation, réalisée de très près, donne l’impression de sentir les crins de l’archet racler les cordes. La chose a ses avantages, mais il me semble que cette musique profite d’une prise de son plus aérée laissant davantage s’épanouir la musique.

Rap

Subversive et surprenante

Nightmare Vacation
Rico Nasty
Atlantic Records
Trois étoiles et demie

Un rap non aseptisé, une esthétique punk et une attitude déjantée. Ce mélange risque de projeter Rico Nasty vers le statut enviable de figure dominante de la scène hip-hop commerciale dans les années à venir. Nightmare Vacation, son premier album studio, est subversif et surprenant. Grâce à un je-m’en-foutisme assumé qui ne s’automarginalise jamais, la « reine du punk rap » maintient le respect des fans qui lui vouent un culte discret depuis son contrat avec Atlantic Records en 2018.

L’excentrique musicienne de 23 ans a ici la spontanéité de Cardi B, la candeur d’Avril Lavigne, la fougue de Missy Elliott et l’irrévérence de Joan Jett, sa principale inspiration. Les sons trap flirtent avec les timides influences punk, appuyés par une voix rauque et tonitruante. Et ça fonctionne. Si Let It Out ne plaira pas à ceux qui ne se sont jamais retrouvés au milieu d’un mosh pit, il faut saluer l’audace de glisser un morceau aux tendances screamo dans un album de rap.

Rico Nasty s’impose comme une parolière prometteuse dans Girl Scouts. Dans OHFR ? (lire Oh, for real ?) – meilleure pièce de l’album –, elle avance dans la vie sans rendre de comptes à personne. L’œuvre offre de solides hits (Own It, Check Me Out et iPhone). Nous ne sommes pas dans les rimes subtiles et bien ficelées, on donne plutôt dans les phrases coup de poing. Malgré la récurrence de thèmes peu approfondis au fil des 14 nouvelles chansons, Rico Nasty remplit sa mission de passer du niché au mainstream tout en préservant sa singularité.

Rap

regard neuf sur le passé

Lostalgik
Lost
5sang14
Quatre étoiles

« J’ai du love pour le hood, mais c’est le hood qui nous tue », chante Lost avec franchise dans Entre nous, morceau tiré de Lostalgik, solide album-surprise lancé le 27 novembre dernier.

Le membre du populaire collectif 5sang14 revient sur son passé avec le recul de celui qui a réussi. Un thème usé à la corde dans le rap québécois comme à l’international. Mais pour cet habile parolier à la voix mélodieuse, difficile de ne pas briller, peu importe le sujet, que ce soit en groupe ou en solo.

Avec le succès commercial vient un nouveau défi : ne pas perdre son authenticité et sa pertinence. Épreuve relevée avec panache dans Lostalgik. Sans faire dans le récit édulcoré, Lost parle maintenant de la rue comme d’une chose du passé, avec un flow tranchant.

Le rappeur demeure habile dans sa prose avec des verses qui font sourire et réfléchir (« Les vrais amis se comptent sur les doigts d’une main de Yakuza »). Et l’offre est variée. L’album aborde d’un ton cinglant les injustices sociales exacerbées par la pandémie dans Ça va mal aller, la drogue dans Psychotrope et la rue. On peut danser sur Chicotter et Booty Call, alors que Décennie est un exercice d’introspection moins rythmé, mais tout aussi riche musicalement.

Finalement, Lost donne sa pleine mesure dans Kakashi Hatake et Des m et des miettes, où il rappe comme si sa vie en dépendait. Un album étoffé qui a déjà conquis les adeptes de rap keb et pourrait en convertir de nouveaux.

MÉTAL INDUSTRIEL

Définir sa propre voie

Lourd et sombre, If Everything Happens for a Reason… Then Nothing Really Matters At All est la preuve que Gone Is Gone n’a rien d’un éphémère « supergroupe ». Ici, la notoriété individuelle des membres n’a pas d’importance, c’est le groupe qui cherche à définir sa propre voie, dans un réel effort de création qui ne s’apprivoise pas dès la première écoute.

Gone Is Gone est le véhicule expérimental du bassiste Troy Sanders (Mastodon), du guitariste Troy Van Leeuwen (Queens of the Stone Age), du batteur Tony Hajjar (At the Drive-In) et du multi-instrumentiste Mike Zarin. En fait, les deux derniers sont les fondateurs de Sencit, entreprise californienne à l’origine de l’habillage sonore de plusieurs bandes-annonces de films et de jeux vidéo à succès. Certaines de leurs compositions cadraient mieux dans un environnement de groupe, voilà pourquoi Gone Is Gone est né, lançant un premier EP en 2016. Tout comme dans l’album Echolocation, dévoilé l’année suivante, la formule était davantage rock, plutôt stoner, avec une touche progressive. If Everything Happens for a Reason… est franchement plus expérimental, avec des textures denses et triturées qui nous amènent en territoire industriel. No One Ever Walked on Water, Death of a Dream et surtout Breaks sont à des lieues de ce que nous proposent normalement Mastodon, QOTSA ou ATDI.

L’excellente Everything is Wonderfall est plus rock dans sa formule, mais elle demeure l’un des faits saillants de l’album. Lourde et tendue avec une basse gutturale qui lui donne d’angoissants accents gothiques, elle met aussi en valeur la voix de Troy Sanders, le chanteur-bassiste montrant non seulement son registre étendu, mais aussi une remarquable polyvalence.

Les inquiétantes dissonances de Force of a Feather et Dirge for Delusions viennent conclure un ensemble somme toute solide, malgré quelques intermèdes expérimentaux plus ou moins nécessaires. Peut-être des intercalaires rendus nécessaires en raison de la pandémie – l’album a été entièrement enregistré à distance, les musiciens n’ayant pas été en mesure de jouer ensemble, contrairement au plan original. Ce sera pour le prochain disque, parce que Gone Is Gone est ici pour de bon.

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