COVID-19

Les éclosions en CHSLD drainent les médecins de famille

La Fédération des omnipraticiens craint de ne plus être en mesure de fournir des soins partout

Alors qu’une centaine de CHSLD sont victimes d’éclosions de COVID-19 et que près de 3000 résidants sont infectés, les médecins de famille craignent de bientôt ne plus être en mesure d’offrir des soins dans tous les milieux touchés par la pandémie.

Selon le président de la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ), le Dr Louis Godin, « la situation commence à être beaucoup plus difficile et inquiétante en CHSLD ».

Quand la pandémie de COVID-19 a commencé à déferler dans les CHSLD du Grand Montréal, la couverture médicale offerte par les médecins de famille a dû y être revue.

Si, en temps normal, un médecin de famille peut veiller sur une cinquantaine de patients, avec la COVID-19, chaque médecin soigne de 15 à 18 patients, explique le Dr Godin. Pour ajouter à la pression, environ 25 omnipraticiens âgés de 70 ans et plus ont dû être retirés des CHSLD par mesure préventive.

Alors que la pandémie évolue, quelques dizaines de médecins de famille qui travaillent dans les CHSLD du Grand Montréal ont aussi été infectés par le virus, note le Dr Godin. Ceux-ci doivent être remplacés durant leur quarantaine. Si bien qu’aujourd’hui, « on commence à être rendus au bout du rouleau ». 

« On est allé chercher tous ceux qu’on pouvait aller chercher. La situation est beaucoup plus fragile », explique-t-il.

Les omnipraticiens sont également sollicités pour travailler dans des sites non traditionnels (SNT), comme des hôtels, ouverts pour donner de l’oxygène aux hôpitaux.

Le premier ministre François Legault a révélé, mercredi, que 332 milieux d’hébergement ont au moins un cas confirmé de COVID-19, soit 109 CHSLD, 131 résidences pour aînés, 72 ressources intermédiaires et 20 autres milieux.

« Il y a autant au total, sinon plus » de milieux touchés par le coronavirus qu’au cours des derniers jours, a indiqué la ministre de la Santé et des Services sociaux, Danielle McCann. Néanmoins, le nombre de CHSLD en situation « critique », qui comptent plus de 25 % de personnes infectées, est en baisse. « Et ça, c’est parce qu’il y a des résidants qui ont guéri », a-t-elle ajouté. Il s’agit d’une « bonne nouvelle », même si « la situation est toujours difficile ».

Au total, au Québec, il y a désormais 5139 personnes infectées, dont 2949 en CHSLD, 1162 en résidences pour aînés, 854 en ressources intermédiaires et 174 dans les autres milieux.

Une RPA de Laval frappée de plein fouet

En plus des CHSLD et des sites non traditionnels, les médecins de famille doivent aussi veiller sur les aînés hébergés dans certaines résidences privées pour aînés (RPA). Et les éclosions se poursuivent dans ces établissements.

Une éclosion fulgurante de COVID-19 à la résidence Sainte-Rose à Laval a fait 18 morts jusqu’à maintenant. En quelques jours, un total de 55 cas de COVID-19 ont été confirmés dans cette résidence privée pour aînés qui hébergeait 90 résidants.

La mère de Clément Monterosso, Franceschina Galati-Monterosso, habitait la résidence Sainte-Rose depuis plus de trois ans. Jusqu’à jeudi dernier, la dame de 93 ans, qui souffrait d’alzheimer, se portait bien. « Elle était en forme physiquement. Elle était très vive », relate M. Monterosso.

Mais vendredi dernier, Mme Galati-Monterosso a commencé à moins bien se sentir. Quand son fils l’a visitée dimanche, elle ne se levait plus. Lundi à 13 h, elle est morte de la COVID-19. « Ça s’est détérioré à une vitesse folle », dit M. Monterosso.

La directrice générale de la résidence Sainte-Rose, Isabelle Parisien, affirme que le premier cas de COVID-19 s’est déclaré le 24 avril dans son établissement. « Puis on a eu plein d’autres cas. Ça va tellement vite », dit-elle. Plus de la moitié du personnel, soit 20 travailleurs, a été infectée. Le CISSS de Laval a envoyé du renfort, explique Mme Parisien. 

« On a beaucoup d’aide. On peut donner les soins. Ça va vite. On accompagne des gens dans les décès. On vit des choses difficiles. Ça fait trois semaines qu’on vit ça et on dirait que ça fait six mois. »

— Isabelle Parisien, directrice générale de la résidence Sainte-Rose

Selon le Dr Godin, la situation dans les CHSLD et les résidences privées pour aînés durera encore « quelques semaines ».

Des solutions devront selon lui être trouvées parce que « la situation des effectifs devient de plus en plus problématique ».

Québec nie cacher de l’information

Québec devait rendre publique mercredi après-midi une mise à jour de la liste des résidences infectées par la COVID-19, liste qui a disparu du site web du gouvernement il y a une dizaine de jours. Or, cela n’était toujours pas fait en soirée.

« Juste pour être clair, encore plus clair, il n’y a aucune information qui est cachée, OK ? », a lancé le premier ministre lors de son point de presse de 13 h, mercredi. Il a expliqué que le gouvernement avait demandé que les statistiques présentent un pourcentage de cas en fonction du nombre total de résidants, et non pas en fonction du nombre de lits. C’est pour que les données soient plus justes, car il peut y avoir des lits inoccupés, a-t-il plaidé, soulignant que les ajustements demandés prennent du temps à se faire.

Le 5 mai, M. Legault justifiait ainsi le retrait de la liste : « C’est moi qui ai demandé de retirer le tableau, pas parce que je ne veux pas être transparent, parce que les données ne sont pas bonnes. Sur les résidences qui ont plus que 15 % des résidants avec des cas confirmés, il n’y a pas eu de mise à jour de faite pour les cas qui sont toujours actifs », disait-il, promettant une nouvelle liste cette semaine. Québec aurait ainsi modifié sa façon de comptabiliser les cas de COVID-19 dans les résidences et les CHSLD, ce qui rend difficile toute comparaison entre les données divulguées mercredi et celles présentées dans la dernière liste diffusée par le gouvernement, il y a une dizaine de jours.

D’autres hôpitaux touchés

En plus des milieux pour aînés, les éclosions se poursuivent dans les hôpitaux. Une éclosion de COVID-19 est survenue à l’hôpital du Haut-Richelieu à Saint-Jean-sur-Richelieu. Un établissement pourtant considéré comme « froid ». Porte-parole du CISSS de la Montérégie-Centre, Martine Lesage affirme qu’une « éclosion de COVID-19 a en effet été déclarée au 7e Sud le 29 avril dernier. On a dès lors cessé les admissions ». Un total de sept patients ont été déclarés positifs de même que cinq employés. Cette éclosion s’ajoute à deux autres survenues à l’hôpital Charles-Lemoyne à Longueuil. Là-bas, 37 patients hospitalisés et 32 employés ont été touchés. Les éclosions dans les hôpitaux se multiplient depuis quelques jours. L’hôpital du Sacré-Cœur à Montréal a été parmi l’un des premiers touchés. L’hôpital Maisonneuve-Rosemont, l’hôpital Santa Cabrini, l’hôpital du Lakeshore et l’hôpital Pierre-Boucher, entre autres, ont aussi subi des éclosions.

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Les travailleurs de la santé infectés sont surreprésentés dans les zones chaudes

Les travailleurs de la santé sont devenus un vecteur important de la contamination communautaire dans l’île de Montréal. C’est particulièrement vrai dans les quartiers chauds qu’ils habitent et où la propagation de la COVID-19 demeure « très préoccupante ». 

La surreprésentation des soignants est particulièrement marquée dans le nord et l’est de l’île, comme le confirment de nouvelles données sur l’évolution de la pandémie émanant de la Direction régionale de santé publique (DRSP) de Montréal. Près d’une personne sur cinq qui est atteinte de la COVID-19 dans l’île travaille dans le réseau de la santé. Lundi dernier, on dénombrait 3743 infirmières, infirmières auxiliaires, préposés aux bénéficiaires ou autres travailleurs du réseau de la santé ayant reçu un test positif de COVID-19.

De ce nombre, le tiers réside dans les arrondissements de Montréal-Nord, de Villeray–Saint-Michel–Parc-Extension ou de Rivière-des-Prairies–Pointe-aux-Trembles. Chacun de ces arrondissements demeure donc toujours sur l’écran radar des zones les plus chaudes avec respectivement 24 %, 25 % et 27 % des cas d’infection concernant des travailleurs de la santé.

Suzanne Hamel est l’une des infirmières atteintes de la COVID-19 derrière ces chiffres. Elle habite dans le quartier Villeray. Après s'être portée volontaire pour donner un coup de main dans un CHSLD, elle a travaillé au cours des deux dernières semaines dans Montréal-Nord, au CHSLD Paul-Lizotte. 

« J’étais sur un étage de 27 patients tous atteints de COVID. Ça se passait relativement bien, mais les règles pour éviter la contamination ne sont pas parfaitement intégrées par tous. Malgré les avis répétés, il y en aura toujours qui prennent ça à la légère et qui n’enlèvent pas leurs gants ou leur blouse lorsqu’ils se retrouvent en zone propre », a-t-elle raconté à La Presse

Mme Hamel doit subir un nouveau test la semaine prochaine. D’ici là, c’est la quarantaine pour toute la maisonnée : sa fille de 20 ans, qui ne peut plus sortir pour aller travailler, ainsi que son conjoint et les trois enfants de ce dernier pour qui le concept de garde partagée ne peut pas s’appliquer. 

« Ghettoïsation » des travailleurs précaires

La députée libérale de la circonscription Bourassa-Sauvé, qui couvre le territoire de Montréal-Nord, ne s’étonne pas de ces données. Paule Robitaille déplore que les travailleurs du réseau de la santé aient été mal équipés depuis le début de la pandémie, notamment les préposés aux bénéficiaires, nombreux parmi la population qu’elle représente.

Elle réclame un « plan clair » pour les Nord-Montréalais, puisque selon elle, « la déconnexion entre ce qui se passe sur le terrain à Montréal-Nord et les décisions de Québec est flagrante ».

Ces arrondissements sont ceux où on voit une certaine « ghettoïsation » des travailleurs les plus précaires ou faiblement rémunérés du domaine de la santé, renchérit la Fédération de la santé et des services sociaux de la CSN (FSSS-CSN).

« Beaucoup de femmes issues des communautés culturelles qui résident dans ces secteurs travaillent dans des CHSLD de Montréal et de Laval. »

— Jacques Létourneau, président de la CSN

La DRSP de Montréal a refusé mercredi d’expliquer ou de commenter le nouveau portrait de la pandémie. Lors d’une conférence de presse virtuelle tenue la veille, la Dre Mylène Drouin, qui est à la tête de la DRSP, avait indiqué que la surreprésentation des travailleurs de la santé « est un des éléments qui contribuent actuellement au fait que ces quartiers-là sont plus chauds ». 

La situation dans Montréal-Nord, par exemple, est « très préoccupante », avait-elle souligné, surtout en regard d’un possible déconfinement que prévoit le gouvernement Legault dès le 25 mai. Les chiffres « nous invitent à la prudence », avait affirmé la Dre Drouin.

Bémol au sujet du dépistage

La démographe Simona Bignami, membre du Centre interuniversitaire de recherche en analyse des organisations (CIRANO), souligne que l’évolution rapide du nombre de cas liés au personnel de la santé s’explique en bonne partie par les stratégies de dépistage adoptées par le gouvernement. 

En concentrant ses efforts de dépistage sur le personnel de la santé, la Direction de la santé publique a trouvé des cas là où elle en cherchait. « Faire des comparaisons dans le temps est impossible à cause des changements de stratégie de dépistage », estime Mme Bignami. 

« La population générale, on ne l’a pas beaucoup testée pendant le mois dernier, essentiellement parce que le gouvernement nous a dit que ce n’était pas prioritaire. Si on recommence à tester l’ensemble de la population, on va avoir un portrait plus complet de la situation. » 

— Simona Bignami, démographe du CIRANO

La mairesse de Montréal-Nord, Christine Black, dont l’arrondissement est le plus touché du palmarès, aimerait elle aussi voir des données démographiques plus étoffées. « Est-ce que le reste des travailleurs essentiels, comme les employés de supermarchés, les gardiens de sécurité, sont autant touchés ? On peut faire l’hypothèse que les zones les plus vulnérables, où le profil socioéconomique est très bas, sont plus à risque face à la pandémie », dit-elle. 

Le démographe Pierre-Carl Michaud, titulaire de la Chaire de recherche sur les enjeux économiques intergénérationnels de HEC Montréal, croit que la Direction de santé publique devrait aussi faire des tests aléatoires au sein de la population pour avoir un portrait démographique encore plus complet et élaborer des stratégies de contrôle ciblées. 

« Les autorités pourraient se garder une réserve de 1000 tests par jour pour aller cogner aux portes des gens et demander un dépistage sur ordre de la Santé publique, suggère-t-il. C’est normal qu’au début, on cherchait à cibler des poches de contagion pour freiner les éclosions, mais dans une stratégie de gestion de la crise plus large, particulièrement en temps de déconfinement, ce ne serait pas un luxe de se payer ça. Les deux approches sont complémentaires », croit-il. 

Arrondissements limitrophes

Des arrondissements voisins de Montréal-Nord laissent également voir une situation problématique. Ainsi, Anjou est au sommet de toute l’île de Montréal relativement à la présence de soignants infectés en proportion des cas confirmés de COVID-19 (34 %). En chiffres absolus, on dénombre ainsi 155 travailleurs infectés ; dans Montréal-Nord, il s’agit de 440 soignants, ce qui équivaut à 24 % des cas d’infection. 

À Saint-Léonard, la proportion de travailleurs de la santé par rapport au nombre de cas de COVID-19 s’élève à 31 % (240 soignants). Dans Ahuntsic-Cartierville, une personne sur cinq atteinte de la COVID-19 travaille dans le réseau de la santé. Le nombre de travailleurs de la santé qui ont été déclarés positifs et qui habitent dans Mercier–Hochelaga-Maisonneuve est de 273, c’est-à-dire 18 % de tous les cas répertoriés sur ce territoire. 

Dans l’ouest de l’île, on constate également une surreprésentation des travailleurs de la santé parmi les personnes infectées. C’est le cas dans les arrondissements de Saint-Laurent (18 %), de Pierrefonds-Roxboro (27 %) et de Dollard-des-Ormeaux (20 %). 

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