Le message ne passe pas

En dépit des consignes de Québec, les rassemblements du temps des Fêtes sont montrés du doigt pour expliquer la progression du virus ces derniers jours. Et la forte hausse des cas chez les jeunes dans la vingtaine semble le confirmer. Pendant ce temps, le gouvernement assure que le rythme de la campagne de vaccination devrait s’accélérer dès cette semaine.

Les partys de Noël montrés du doigt

Québec — La progression de l’épidémie de COVID-19 dans les derniers jours au Québec inquiète des experts, qui se demandent si les consignes du gouvernement contre les rassemblements des Fêtes ont été prises au sérieux.

Québec a rapporté lundi 32 morts et 2546 nouvelles infections. Ce lourd bilan s’ajoute à celui de dimanche, qui recensait 7663 cas sur trois jours. C’est dans ce contexte que le premier ministre François Legault doit s’entretenir mardi après-midi avec les chefs des partis de l’opposition. Une conférence de presse du premier ministre au sujet de la pandémie est prévue mercredi.

Des données compilées par La Presse montrent par ailleurs que les infections ont augmenté plus rapidement dans les dernières semaines chez les 20-39 ans que dans les autres tranches d’âge.

La plus forte hausse des cas se concentre chez les gens dans la vingtaine. Le nombre de cas a augmenté de 48 % en deux semaines. Les sexagénaires aussi ont connu une forte hausse des cas, soit 40 %, durant les Fêtes.

« Ce qui est inquiétant, c’est que chez les 20-39 ans, ça augmente en fou, si je peux dire », note en entrevue Roxane Borgès Da Silva, professeure à l’École de santé publique de l’Université de Montréal.

« Ça viendrait confirmer l’hypothèse que les rassemblements familiaux ont bien eu lieu comme on le craignait », dit-elle. « Les 20-39 ans, pour moi, c’est un signe de partys de Noël. »

Mme Borgès Da Silva rappelle que la période d’incubation varie entre 2 et 14 jours, avec une moyenne de 10 jours. Il est donc concevable que les effets des Fêtes commencent déjà à se faire sentir dans les bilans quotidiens.

Benoît Mâsse, épidémiologiste à l’École de santé publique de l’Université de Montréal, abonde. « Pendant le temps des Fêtes, je ne suis pas sûr que le message de ne pas se rassembler a passé. »

« On a eu pas mal plus de rassemblements qu’on le pense et ça explique probablement en partie ce qu’on voit aujourd’hui. »

— Benoît Mâsse, épidémiologiste à l’École de santé publique de l’Université de Montréal

Cette explication se constate aussi sur le terrain. En Gaspésie, par exemple, les enquêtes épidémiologiques confirment que les règles durant les Fêtes n’ont pas été suivies à la lettre, indique en entrevue le directeur régional de santé publique.

« Depuis quelques jours, on a vu une augmentation de cas. Dans nos enquêtes, on voyait très bien que c’était très relié à des gens qui avaient mal interprété les consignes ou ne les avaient tout simplement pas respectées. Ils avaient accueilli beaucoup de gens chez eux », explique le DYv Bonnier-Viger.

« Il y a des familles qui n’ont pas compris qu’un rassemblement dans une maison, c’est pour les gens de la même adresse, pas de la même famille. Certains nous ont dit : ‘‘On a limité ça à seulement trois générations…” »

Rouvrir les écoles ?

Les données par tranches d’âge montrent par ailleurs que les infections ont beaucoup moins grimpé chez les 0-19 ans en décembre. Ce phénomène a concordé avec la fermeture des écoles le 17 décembre.

« Si on n’avait pas eu la réduction des contacts en milieu de travail et la fermeture des écoles, on serait peut-être à 4000 cas par jour aujourd’hui », avance Benoît Mâsse.

Selon lui, le gouvernement devra faire des « choix déchirants » dans les prochains jours. « Ça va être difficile. Je ne sais pas ce que le gouvernement va décider de faire. On a perdu notre marge de manœuvre. »

Le cabinet du ministre de l’Éducation a répété dans les derniers jours que le gouvernement avait toujours l’intention de rouvrir les écoles le 11 janvier. Mais des informations obtenues par La Presse tard lundi soir (voir texte à l’écran 2) révèlent que Québec opterait plutôt pour un confinement total dès samedi, comme au printemps dernier. Reste à voir si les élèves du primaire rentreront avant les trois ou quatre semaines de confinement envisagées.

Le Québec comptait 1215 écoles avec des cas actifs rapportés lors de leur fermeture à la mi-décembre.

Le DBonnier-Viger indique que les autorités auront bien des débats cette semaine sur « ce qui doit rouvrir ou pas, ou ce qui doit fermer ».

Entre-temps, il implore les Québécois de limiter leurs contacts au maximum.

« Ce serait dommage que des gens meurent avant d’avoir eu la chance de se faire vacciner. Je pense que c’est ce qui devrait nous motiver collectivement. »

— Le Dr Yv Bonnier-Viger, directeur de santé publique de la Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine

Un total de 30 473 Québécois ont reçu la première dose du vaccin, selon les derniers chiffres.

Fluctuation dans les hospitalisations

Le premier ministre François Legault a par ailleurs appelé lundi la population à « continuer [les] efforts jusqu’à la ligne d’arrivée », car « la situation reste critique dans [les] hôpitaux ».

Par ailleurs, les données permettent de constater de subites baisses du nombre de personnes hospitalisées le jour de Noël et pour la nouvelle année, suivies de fortes hausses. Ainsi, le 25 décembre, on comptait 926 personnes à l’hôpital, soit 125 de moins que deux jours plus tôt. Mais dès le lendemain, les hospitalisations bondissaient davantage encore.

Le même phénomène est survenu pour le jour de l’An. Le 1er janvier, on recensait 1075 personnes hospitalisées, soit 100 de moins que deux jours plus tôt. Or, dès le 2 janvier, on observait un bond de 150 hospitalisations.

À travers le Canada, c’est actuellement au Québec que l’on recense le plus de nouveaux cas de COVID-19 par habitant, soit 302 cas par million. En Ontario, on recense actuellement 213 cas par million d’habitants.

Les snowbirds québécois pourraient être vaccinés en Floride

Les Québécois de 65 ans et plus pourraient-ils être vaccinés plus rapidement contre la COVID-19 en se rendant en Floride plutôt qu’en restant au Québec ? En théorie, ces snowbirds pourraient être admissibles à recevoir le vaccin dans la première phase de la campagne. En pratique, le cafouillis logistique en Floride semble laisser frileux les voyageurs saisonniers.

« Entre ce qu’ils disent aux États-Unis et ce qui va se produire, et à quelle date que ça va se faire en Floride pour tous les 65 ans et plus… On ne sait pas », a réagi Jean-Marc Nepveu au téléphone. Le Lavallois de 75 ans a l’habitude de se rendre tous les ans dans l’État américain, où il possède une résidence, mais a décidé de rester au Québec cette année, par prudence. La possibilité d’être vacciné plus rapidement ne le convainc pas de repartir.

Le début de la campagne de vaccination a été chaotique : des Floridiens ont fait la queue pendant des heures devant des centres se basant sur le principe du premier arrivé, premier servi. En tout, quelque 260 655 personnes ont maintenant reçu la première dose du vaccin dans le Sunshine State.

65 ans et plus en premier

Le gouverneur de la Floride, Ron DeSantis, a signé un décret pour inclure toutes les personnes de 65 ans et plus – environ le cinquième de sa population – dans la première phase d’inoculation, avec le personnel et les résidants des centres de soins de longue durée et les travailleurs de la santé ayant des contacts directs avec les patients.

L’agence de santé américaine, les Centers for Disease Control and Prevention (CDC), suggère plutôt la vaccination des personnes de 65 à 74 ans dans une troisième phase, après le personnel de la santé et les personnes en centres de soins en premier lieu, puis les plus de 75 ans et les travailleurs essentiels, comme les policiers et les pompiers, dans un deuxième temps.

La décision de la Floride est « mélangeante » pour la population, « sans explication claire », croit Marissa Levine, professeure de santé publique à l’University of South Florida.

« Il ne fait aucun doute que les 65 ans et plus sont plus à risque de mourir, explique-t-elle, ce qui en fait une très bonne approche si c’est pour prévenir les morts. Le problème, c’est que ce n’est pas le seul groupe d’âge qui a des complications graves ou de la mortalité en raison de la COVID-19. »

« Plusieurs personnes plus âgées peuvent se protéger en réduisant leurs déplacements, alors que les travailleurs essentiels ont à se déplacer, ce qui explique la suggestion des CDC. »

— Marissa Levine, professeure de santé publique à l’University of South Florida

Admissibilité

Il n’est pas clair si tous les 65 ans et plus sont admissibles à la vaccination ou s’ils doivent avoir une preuve de résidence principale ou secondaire dans l’État. Les appels de La Presse au département de Santé de la Floride sont restés sans réponse ; dans un courriel, le service de communication s’est contenté de répondre que « quiconque qui peut prouver avoir 65 ans et plus est admissible à recevoir le vaccin sans frais en Floride », sans fournir plus de détails.

« Si les gens passent un certain temps en Floride, qu’ils soient du Canada ou d’un autre État, c’est logique qu’ils reçoivent le vaccin, puisqu’ils sont dans la communauté », note Marissa Levine, qui ne craint cependant pas une arrivée importante de gens de l’extérieur.

Le complexe de condos Century Village East, où vivent des snowbirds québécois, devait commencer à offrir le vaccin sur place mardi. Sur son site, la direction précise que les résidants saisonniers et les citoyens canadiens de 65 ans et plus sont admissibles à le recevoir, mais n’a pas voulu commenter.

Conrad Bernier, président du conseil d’administration du Park Lake Inc., au sud de Fort Lauderdale, est retourné à sa résidence de Floride en novembre dernier. La nouvelle de la vaccination des 65 ans et plus n’a pas causé d’émoi dans la petite communauté où la majorité des maisons mobiles appartiennent à des Québécois, mais qui est plutôt désertée ces jours-ci, dit-il. « On s’attend à pouvoir être vaccinés d’ici mars », estime l’homme de 78 ans, qui assure que les mesures sont prises pour éviter la propagation du virus dans la communauté.

La professeure Marissa Levine observe la situation en Floride avec inquiétude après la période des Fêtes. « Nos hôpitaux sont très occupés et inquiets du manque possible de personnel, souligne-t-elle. Tout le monde se demande ce qui va arriver dans les quatre à huit prochaines semaines. C’est très préoccupant. »

En Floride, le nombre de cas positifs est en hausse ; la moyenne mobile des 7 derniers jours indiquait 60,5 cas par 100 000 habitants. Au Québec, ce taux se situait à 30,2.

Vaccination

La campagne devrait s’accélérer au Québec

Le rythme de la campagne de vaccination contre la COVID-19 devrait s’accélérer dès cette semaine au Québec, permettant du même coup d’administrer plus rapidement les doses livrées par Pfizer/BioNTech et Moderna.

Selon le plus récent bilan officiel, en date du 3 janvier, 30 473 doses avaient été administrées au Québec depuis le 14 décembre. Or, en date du 31 décembre, la province avait reçu 88 075 doses, soit 55 575 de Pfizer/BioNTech et 32 500 de Moderna.

Les chiffres pourraient laisser croire que Québec n’a utilisé que le tiers des doses disponibles, mais le portrait est plus nuancé en réalité.

Jusqu’au 31 décembre, Québec gardait en réserve des stocks du vaccin de Pfizer, pour s’assurer de donner la deuxième dose nécessaire à ceux qui avaient reçu la première.

Après une recommandation de l’Institut national de santé publique, le gouvernement a plutôt choisi « d’immuniser le plus grand nombre de personnes possible parmi les groupes prioritaires », comme la Colombie-Britannique et l’Ontario.

Les deux doses seront toujours administrées, mais les autorités n’auront plus à garder des stocks en réserve, puisque Pfizer assure que des doses seront livrées régulièrement.

Quant au vaccin de Moderna, la province aurait reçu ses premières doses après le 31 décembre, signale Marjaurie Côté-Boileau, attachée de presse du ministre de la Santé, Christian Dubé.

« Cette semaine, le rythme [de vaccination] devrait être plus soutenu. »

— Marjaurie Côté-Boileau, attachée de presse du ministre de la Santé

Un souhait d’ailleurs lancé par Benoit Mâsse, professeur à l’École de santé publique de l’Université de Montréal. « Dans les prochains jours, il faudra vacciner plus que 2000 personnes par jour si on veut y arriver. »

M. Mâsse reconnaît que cette campagne de vaccination ne fait que commencer et qu’une fois les Fêtes passées, les choses devraient être plus faciles. Mais il faut absolument augmenter la cadence, ajoute-t-il.

Maryse Guay, professeure au département des sciences de la santé communautaire à l’Université de Sherbrooke, est aussi d’avis que le rythme de la vaccination devrait s’accélérer dès cette semaine.

Vaccin de Moderna

L’arrivée du vaccin de Moderna devrait aussi faciliter le travail des autorités, puisqu’il n’a pas à être stocké à - 70 degrés, contrairement au produit de Pfizer/BioNTech.

« On a évidemment plus de souplesse avec Moderna », précise Mme Guay. Mais il n’en demeure pas moins que plusieurs précautions doivent être prises pendant qu’on vaccine. « On ne voudrait pas propager la COVID pendant qu’on administre son traitement. »

Selon elle, rien ne laisse croire pour l’instant que Québec manquerait d’effectifs pour vacciner la population. « On a quand même beaucoup d’expérience en vaccination. Avec la grippe, par exemple, on est capables de vacciner 250 000 personnes par semaine. »

De nouvelles doses du vaccin de Pfizer devraient arriver au Québec au cours des deux prochaines semaines. Quant au vaccin de Moderna, 168 700 doses ont déjà été livrées au Canada, qui a réservé 40 millions de doses au total.

Le Canada figure en milieu de peloton quant au nombre de doses de vaccin déjà administrées à sa population, derrière des pays comme Israël et le Royaume-Uni, mais devant de nombreux États de l’Union européenne.

Mieux que l’Ontario

Selon le ministère québécois de la Santé, le Québec est la province qui vaccine le plus au prorata de sa population, après le Nouveau-Brunswick et l’Île-du-Prince-Édouard. La Belle Province fait aussi mieux que l’Ontario, mais tous ces chiffres sont à prendre avec un grain de sel, tant la situation peut évoluer rapidement en fonction des quantités et du type de vaccin disponibles.

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