Office québécois de la langue française

Hausse de 50 % des plaintes en deux ans

Le nombre de plaintes reçues à l’Office québécois de la langue française (OQLF) a augmenté de 50 % dans les deux dernières années, selon des chiffres obtenus par La Presse. La majorité vise l’île de Montréal, qui représente près de 64 % de l’ensemble des plaintes dans la province.

L’OQLF a recensé un total de 4326 plaintes en 2020-2021, tous motifs confondus. En 2019-2020, il y en avait eu 3665, tandis qu’en 2018-2019, leur nombre n’était que de 2807. C’est une hausse fulgurante en deux ans.

En 2020-2021, près de 64 % des plaintes visaient la région administrative de Montréal, pour un total de 2758. La Montérégie a été visée par 460 plaintes, puis Laval par 210 plaintes. Le motif de plainte le plus fréquent est la langue de la documentation commerciale, avec 39 % des plaintes. Ce motif évalue la langue utilisée dans les sites web, les demandes d’emploi, les factures et les contrats. Il s’agit d’une proportion plus grande qu’à l’habitude, puisque les plaintes visant les sites web ont augmenté, indique l’OQLF. La langue de service – à ne pas confondre avec la langue d’accueil – arrive en deuxième place à 24 %, et suivent de près les plaintes concernant l’affichage, à 22 %.

Par exemple, le marché Fu Tai, dans Côte-des-Neiges, a été déclaré coupable le 6 janvier 2020 « d’avoir mis en vente plusieurs produits dont les inscriptions n’étaient pas rédigées en français », selon l’OQLF.

Le pub Sir Winston Churchill, situé rue Crescent, fait aussi partie de la liste des entreprises non conformes au processus de francisation.

Il était également reproché au restaurant Deli 365 d’Outremont d’afficher et de faire de la publicité commerciale dans une autre langue que le français. Le commerce a été déclaré coupable et s’est vu imposer une amende de 1500 $ le 25 juin 2020, soit plus d’un an après que l’infraction eut été constatée.

« Les gens sont probablement beaucoup plus sensibles à la situation du français qu’avant, avance le démographe de l’Université de Montréal et spécialiste en démolinguistique Marc Termote. Cela pourrait expliquer que plusieurs sont tentés de sonner l’alarme plus souvent. »

Verre à moitié plein ou à moitié vide

Pour Marc Termote, la faible fécondité des francophones jumelée à l’immigration explique le déclin du français parlé à la maison. Il cite les projections de Statistique Canada qui prévoient que la proportion de francophones de langue maternelle déclinera de 79 % à 71 %, entre 2011 et 2036. Les mêmes statistiques prévoient une diminution de la population utilisant le français à la maison au Québec, qui passerait de 82 % en 2011 à environ 75 % en 2036.

« Le vrai critère, c’est la langue parlée à la maison. Ça devient la langue des enfants. Dans une perspective à long terme, une perspective générationnelle, il faut tenir compte de la langue qu’on va transmettre, et c’est celle qu’on parle à la maison. »

— Marc Termote, démographe

Or, le docteur en droit et codirecteur de l’Observatoire national en matière de droits linguistiques, Frédéric Bérard, se montre plutôt positif, quoiqu’avec prudence. Il convient que l’augmentation des plaintes démontre une certaine « conscientisation » de la fragilité du français. « [Mais] est-ce que c’est la preuve que ça va moins bien ? Peut-être, mais pas obligatoirement. Ce n’est pas parce qu’il y a plus de plaintes qu’il y a plus de problèmes », estime-t-il.

Selon M. Bérard, il faut analyser d’autres données. « Évidemment que la langue maternelle recule avec l’immigration. Mais la question qu’il faut se poser, c’est quel pourcentage de Québécois parle, travaille et peut soutenir une conversation en français ? […] Il n’y a jamais eu autant de Québécois qui parlent français, et ça, on n’en parle jamais. » Selon une étude de Statistique Canada réalisée en 2016, 94,5 % de la population québécoise déclarait pouvoir entretenir une conversation en français.

S’il juge le projet de loi 96 « nécessaire pour renforcer les acquis et corriger les lacunes », M. Bérard se demande si, en tant que francophone, on prend soin de notre langue. « Peut-être que la langue française manque un peu d’amour », suggère-t-il.

Montréal, métropole francophone en Amérique

La Ville de Montréal assure faire des efforts. « Il y a un consensus politique, social et économique sur la fragilité de la langue française et la nécessité de la valoriser et de la protéger », soutient d’emblée Cathy Wong, responsable de la langue française au comité exécutif de la Ville de Montréal.

La Ville s’est dotée d’un plan d’action en matière de valorisation du français pour la période 2021-2024. Un commissaire à la langue française sera nommé « le plus tôt possible » pour veiller à la mise sur pied des 24 mesures prévues par le plan. Déjà, se félicite Mme Wong, tous les arrondissements de la Ville, à l’exception de Pierrefonds-Roxboro, ont obtenu le certificat de conformité délivré par l’OQLF.

« Ça faisait 17 ans que Montréal n’était pas conforme […] Dans les dernières années, la Ville n’a presque rien fait. Il y a tout un retard qu’il faut reconnaître et récupérer », admet l’élue.

Le traitement des plaintes à l’OQLF

Avant qu’une plainte formulée à l’OQLF se solde par une amende, plusieurs étapes doivent être franchies. Lorsqu’une plainte est reçue, celle-ci est remise au service chargé de les analyser. Dans le cas d’une plainte relative à l’affichage, un inspecteur se déplace pour évaluer l’état des lieux. Ensuite, il remplit un rapport d’inspection qui sera transmis pour analyse. Si la plainte est fondée, l’OQLF prend contact avec l’entreprise ciblée pour lui indiquer qu’elle contrevient à la Charte, mais aussi pour lui proposer des solutions et convenir d’un échéancier. « Le tout se fait dans un esprit de collaboration. Si ce n’est pas conforme, ça ne signifie pas qu’il y a systématiquement une amende », explique la porte-parole Chantal Bouchard, précisant que dans 98 % des cas, les entreprises se conforment. Si l’entreprise ciblée ne montre pas de signes de changement, l’OQLF envoie une mise en demeure. Et si l’entreprise ne répond toujours pas, le dossier est envoyé au Directeur des poursuites criminelles et pénales, qui décidera s’il intente un recours judiciaire.

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