Opinion : COVID-19

Et si le Fonds des générations n'existait pas...

Le Fonds des générations (Fonds) a été créé par le gouvernement du Québec en 2006 afin d’atténuer à plus long terme l’impact de l’endettement public issu des générations précédentes.

Il est alimenté à même des revenus dédiés : taxe spécifique sur les boissons alcooliques, redevances hydrauliques, revenus miniers, etc. Le Fonds s’élève aujourd’hui à environ 8,9 milliards de dollars. Depuis sa création, toutefois, une somme d’environ 17,2 milliards y a été accumulée, incluant les revenus liés au rendement. À deux occasions seulement, le gouvernement a utilisé le Fonds pour réduire sa dette : en 2013 (1 milliard) et en 2018 (8 milliards).

En dépit d’une amélioration significative du rapport d’endettement du gouvernement du Québec (le rapport entre la dette brute et le produit intérieur brut est passé d’un sommet de 56 % en 2015 à 43 % aujourd’hui avant le début de la crise de la COVID-19), plusieurs soutiennent encore l’idée de l’existence d’un tel fonds pour deux raisons : un fonds dédié amène une certaine discipline fiscale et le rendement que procure le Fonds des générations est supérieur au coût d’emprunt du gouvernement. Bref, pour eux, vaut mieux épargner dans le Fonds plutôt que de payer nos dettes.

Sur la discipline fiscale, nous laissons aux lecteurs le soin de juger de la pertinence de créer un fonds afin de discipliner le gouvernement ainsi que l’ensemble des élus de l’Assemblée nationale. En principe, toutes ces personnes ont été élues parce qu’elles sont rigoureuses, disciplinées et responsables, notamment.

Quant au rendement soi-disant supérieur du Fonds relativement au coût d’emprunt du gouvernement, encore faut-il comparer des pommes avec des pommes. Depuis sa création en 2006, le rendement moyen du Fonds s’est élevé à environ 4,5 % avec un creux important en 2009 (- 4 %) et un sommet inégalé en 2019 (10,8 %). De son côté, le coût d’emprunt du gouvernement pour la même période se situait aux environs de 3,9 % et est beaucoup moins volatil.

Le coût d’emprunt du gouvernement reflète le niveau de risque (soit dit en passant très faible) que représente la dette publique aux yeux des prêteurs. De la même manière, le rendement du Fonds illustre le niveau de risque nettement plus grand que nous prenons tous collectivement en investissant par l’entremise de ce fonds. Bref, la différence entre le rendement du Fonds et le coût d’emprunt du gouvernement n’est rien d’autre que la rémunération juste et équitable du risque plus grand que nous prenons.

Un effet de levier moyen de 0,6 % (4,5 % - 3,9 %) pour un risque additionnel n’est pas énorme. D’autant plus que l’heure n’est plus à la prise de risques inconsidérés avec la volatilité que l’on connaîtra durant les prochaines années.

La crise de la COVID-19 entraîne deux types de problèmes pour les finances publiques du Québec. D’une part, la gestion de la crise et la réponse du gouvernement à cette dernière entraînent et entraîneront aux cours des prochains mois (et peut-être années, mais ne soyons pas trop pessimistes) des dépenses importantes qui sont toutefois ponctuelles et non récurrentes.

Par ailleurs, le ralentissement important de l’économie lié au confinement plus ou moins prolongé ici comme chez nos partenaires commerciaux (par exemple, en Ontario et aux ÉtatsUnis) aura pour effet de réduire significativement les revenus du gouvernement.

Un scénario trop bien connu

Ce n’est pas de la grande science de conclure que si les revenus diminuent et que les dépenses augmentent, les surplus budgétaires que l’on connaissait avant la crise de la COVID-19 vont fondre comme neige au soleil et se transformer en déficits importants qui auront ultimement pour effet d’augmenter notre dette publique. Une dette publique à la hausse et une économie qui se comprime est la recette idéale pour que le rapport entre la dette et le PIB reparte à la hausse. Un scénario que les Québécois connaissent bien avec toutes les conséquences que cela implique.

Que faire pour éviter le cercle vicieux de l’endettement public dans un tel contexte et compte tenu du fait que la dette publique est encore malheureusement très élevée malgré un rapport dette/PIB qui était jusqu’à tout récemment plus favorable ?

Une idée à explorer est de faire comme si le Fonds n’existait pas et que les élus à Québec étaient, sont et seront rigoureux, disciplinés et responsables.

1) On pourrait appliquer dès maintenant le solde restant au Fonds sur la dette publique de manière à réduire le coût du service de la dette d’une somme d’environ 320 millions de dollars. Cette somme est récurrente et pourra être utilisée pour financer les opérations courantes du gouvernement qui en aura bien besoin. Ce n’est pas beaucoup, mais c’est mieux que rien.

2) On pourrait utiliser les sources de revenus associés au Fonds à des dépenses ponctuelles et non récurrentes, comme les coûts directs liés à la crise de la COVID-19, avec pour effet de réduire la pression sur les finances du gouvernement. Une fois la crise passée, ces revenus pourraient être utilisés pour financer d’autres dépenses non récurrentes comme des investissements pour améliorer la qualité de nos infrastructures qui en ont bien besoin, c’est le moins qu’on puisse dire. Il est toutefois très important que ces revenus dédiés ne soient pas utilisés pour financer les opérations courantes du gouvernement, mais seulement pour des dépenses visant à réduire nos dettes (financières ou infrastructurelles). Évitons ainsi de refiler la facture de la crise actuelle et celle de notre incurie en matière de gestion de nos infrastructures à nos enfants et surtout nos petits-enfants.

En terminant, soulignons que la réduction de la dette publique qu’entraînerait un versement venant du Fonds ne serait que temporaire compte tenu de l’ampleur de la crise et des déficits budgétaires importants qu’il faut anticiper pour les prochaines années. Toutefois, en considérant à la fois la baisse immédiate du service de la dette (soit environ 320 millions) et l’affectation immédiate des revenus actuellement dédiés au Fonds à des dépenses liées à la crise, les déficits à venir pourraient être légèrement moindres, limitant ainsi notre endettement à un niveau plus acceptable, pour le plus grand bonheur de nos enfants et petits-enfants.

En ce qui concerne les finances publiques fédérales, faute de mieux, faites brûler des lampions…

* Tous deux sont professeurs au département d’économie appliquée et Fellows CIRANO, HEC Montréal

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