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Engager l’OTAN en Ukraine, une idée dangereuse

Au vu des images insoutenables en provenance d’Ukraine, faut-il s’étonner que des appels répétés « à en faire plus » pour défendre ce pays se soient fait entendre dans les médias ?

Certains vont même jusqu’à suggérer une intervention militaire de l’Alliance atlantique dans ce conflit ou l’envoi d’un ultimatum à Moscou du genre : « Vous avez 72 heures pour vous retirer d’Ukraine, sinon… » Quelle que soit la sympathie que l’on puisse éprouver pour les Ukrainiens, ou la colère à l’égard de l’agression russe, ces suggestions lourdes de conséquences exigent un examen critique pour en déterminer la pertinence et la viabilité.

La première chose à souligner est qu’une intervention militaire de l’OTAN en Ukraine serait l’équivalent d’une déclaration de guerre à la Russie. Pensons-nous que les 30 membres de l’Alliance atlantique vont accepter un tel choix ? La réponse est dans la question. L’idée est donc, au départ, tout simplement irréaliste.

Deuxièmement, l’engagement militaire des Occidentaux en Ukraine constituerait une escalade radicale du conflit. Il serait difficile de prétendre le contraire.

Jusqu’à présent, les Russes ont pris l’initiative de l’agression, et sont donc seuls responsables de la situation déplorable que les Ukrainiens et le reste du monde vivent actuellement. Souhaitons-nous vraiment aggraver et étendre le conflit à l’Europe ?

Et n’oublions pas que, ce faisant, nous donnerions à Vladimir Poutine une excuse toute trouvée pour se dire attaqué et mobiliser la société russe au grand complet, ce qui n’est pas le cas en ce moment. En effet, les forces russes actuellement déployées se sont avérées, pour l’instant, insuffisantes pour envahir massivement l’Ukraine. Une mobilisation totale de la Russie leur en donnerait assurément les moyens.

Un troisième argument des « va-t-en-guerre » peut être mis en doute. Selon eux, l’OTAN peut faire face à l’armée russe. Elle a les ressources nécessaires en soldats et en matériel. Le budget des États-Unis, à lui seul, n’est-il pas 10 fois supérieur à celui de la Russie ? En fait, il faudrait se demander quelles sont les forces que l’OTAN pourrait déployer rapidement pour contrer l’invasion russe. La réponse peut surprendre : environ 40 000 militaires, qui seraient opposés à 250 000 Russes constitués en six armées, en plus d’une dizaine de milliers de chars de combat, sans compter l’artillerie et la force aérienne. Ce à quoi il faut ajouter que la responsabilité des forces de l’Alliance est de défendre l’ensemble de la frontière qui sépare la Russie des pays de l’OTAN, de la Baltique à la mer Noire, ce qui étirerait au possible leur champ d’intervention. L’idée d’affronter la Russie militairement dans les conditions actuelles est donc un non-sens.

Un dernier argument qu’avancent ceux qui veulent engager l’OTAN dans le conflit en Ukraine est que la menace nucléaire est insignifiante. Vladimir Poutine, nous dit-on, est un homme rationnel qui n'appuyera jamais sur le bouton nucléaire, sachant que cela entraînerait la destruction de la Russie.

Mais qui peut miser sur la rationalité d’un homme qui a engagé son pays dans une guerre catastrophique, sans véritable motif ?

Par ailleurs, il est clair qu’un affrontement entre l’OTAN et la Russie mettra sans doute la survie du régime en cause, motif qui, à lui seul, justifierait à ses yeux une frappe nucléaire. Faut-il rappeler aussi que contrairement à l’Alliance, la Russie dispose d’un arsenal imposant d’armes nucléaires tactiques qui pourraient servir d’instruments d’intimidation face à l’OTAN ? La théorie veut que l’usage de ces armes de charge et de portée moindres ne susciterait pas nécessairement une escalade sur le plan des armes dites stratégiques, qui sont de charge et de portée plus grandes. Or, que les armes soient tactiques ou stratégiques, l’ombre du nucléaire planerait de toute façon sur un affrontement direct entre l’Alliance et la Russie, et l’ignorer frise l’inconscience.

Naviguer au milieu de la situation grave et délicate que nous vivons en Ukraine commande d’éviter deux écueils : d’un côté, l’aggravation et l’extension incontrôlées du conflit et, de l’autre, l’inaction et l’indécision. Pour l’instant, l’Occident a relevé honorablement ce défi. Tout en maintenant un front uni, Européens et Américains ont su mobiliser l’opinion publique internationale, adopter un régime de sanctions très dures à l’égard de la Russie, intervenir sur le plan humanitaire et appuyer militairement, avec succès, les forces ukrainiennes, tout en gardant un ton ferme, mais calme, et en laissant la porte ouverte à une désescalade.

Ces politiques ont porté leurs fruits, si l’on en juge par l’isolement de plus en plus évident de la Russie sur la scène internationale, mais aussi par les succès militaires des forces ukrainiennes sur le terrain.

Tout en étant en situation d’infériorité, celles-ci ont réussi à stopper l’avance des forces russes sur presque tous les fronts, réduisant ces dernières à bombarder les villes, soulignant, de ce fait même, le caractère criminel de leur agression.

Cela signifie-t-il que la communauté internationale a fait le maximum ? Évidemment pas. Les options de tous types qui s’offrent à l’OTAN et à ses membres sont nombreuses (voir les suggestions de lectures). Nous n’avons donc pas épuisé les outils disponibles pour aider les Ukrainiens à neutraliser les forces de leur agresseur. Mais, compte tenu de l’obstination des dirigeants russes, l’Alliance atlantique doit certainement aussi se préparer au pire. Il est cependant impératif de laisser les Russes prendre la responsabilité d’une escalade de la situation. L’unité de la communauté internationale est à ce prix.

Plus près qu’on pense

Si l’Alliance atlantique est entraînée dans la guerre en Ukraine, le Canada, en tant que membre de l’OTAN, aura l’obligation d’y participer. Justin Trudeau aura-t-il son mot à dire ? Sommes-nous prêts, en tant que société, à nous engager dans cette voie ? Et quelles sont les implications d’une telle décision ? Certains ont avancé qu’il était temps pour l’OTAN d’intervenir en Ukraine. Ont-ils songé à ces questions ? Car les réponses sont bien peu évidentes.

Pour aller plus loin

Les suggestions de Michel Fortmann

• Louis Audet, « Assez, c’est assez », La Presse, 18 mars 2022.

• Max Boot, « Against all odds, Ukrainian are winning. Russia initial offensive has failed », Washington Post, 21 mars 2022.

• David A. Deptula, Marc R. Devore, Emma Salisbury, Michael Hunzeker, « Six things NATO can do to help Ukraine right now », Foreign Policy, 16 mars 2022.

• Rémi Landry, « L’Occident doit intervenir militairement », La Presse, 21 mars 2022.

• Amy J. Nelson, Alexander H. Montgomery, « Mind the escalation aversion : Managing risk without losing the initiative in the Russia-Ukraine war », Brookings, 11 mars 2022.

• Lt Col. Tyson Wetzel, Barry Pavel, « What are the risks and benefits of US/NATO military options in Ukraine ? Our strategic risk calculator has the answers », Atlantic Council, 9 mars 2022.

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