Littérature

Louis Hamelin sur les ailes d’Audubon

Les crépuscules de la Yellowstone
Louis Hamelin
Boréal
376 pages

Des flopées d’oiseaux et des milliers de bisons. Un coureur des bois canadien-français et un mythique naturaliste franco-américain. Et l’Ouest américain comme toile de fond. Dans son roman Les crépuscules de la Yellowstone, Louis Hamelin fait se rencontrer ses nombreux champs d’intérêt, et livre un « western écologique » aux échos bien contemporains.

« Finalement, je sors un livre ce printemps. » Le nouveau roman de Louis Hamelin devait initialement être en librairie au début du mois d'avril, juste à temps pour le Salon du livre de Québec. Pandémie oblige, la sortie a été reportée en mai, puis a failli être déplacée à l’automne.

« Ce serait exagéré de dire que je l’avais oublié, mais j’avais commencé à m’en détacher », nous dit Louis Hamelin au téléphone de son domicile de Sherbrooke. Puis la date du 2 juin a été arrêtée et l’écrivain en est bien heureux.

« Je sens que c’est un bon timing. Les gens veulent que ça reprenne, qu’on recommence à publier des livres. Ça marque le retour aux affaires, si on veut, en littérature », croit Louis Hamelin.

Plutôt que d’avoir un printemps occupé, ce sera donc un gros début d’été pour l’écrivain, puisque seront lancés très bientôt les trois premiers livres d’une nouvelle collection qu’il dirige chez Boréal, consacrée au « native writing » et intitulée L’œil américain, en hommage au livre de Pierre Morency.

« Ce créneau est peu occupé ici pour les écrits de ce genre », explique Louis Hamelin, dont l’œuvre est traversée par l’américanité depuis La Rage, son premier roman paru en 1989. Et c’est le cas peut-être plus que jamais dans Les crépuscules de la Yellowstone, dans lequel il s’attaque à un personnage emblématique de la culture américaine, le naturaliste John James Audubon.

Le roman s’intéresse à la dernière expédition de l’auteur du Guide des oiseaux d’Amérique en 1843. Âgé de 58 ans, Audubon a comme projet de colliger le plus grand nombre de spécimens quadrupèdes vivipares pour son prochain livre, en remontant le Missouri jusqu’aux Rocheuses à bord du bateau à vapeur Omega.

Le projet initial de Louis Hamelin était d’écrire une série de trois courts romans autour de naturalistes américains célèbres, Audubon, Thoreau et Grey Owl, dans le but d’explorer l’évolution des rapports entre l’humain et la nature.

« J’avais même pensé faire un seul livre avec trois longues nouvelles. Mais quand j’ai commencé à documenter l’histoire de la dernière expédition d’Audubon dans le haut Missouri, j’ai été happé par ce sujet épique. Je me suis envolé sur les ailes d’Audubon. »

— Louis Hamelin

Il a vu en cette épopée un véritable roman d’aventures, qui se déroule à un moment charnière dans l’histoire des États-Unis, alors que les pionniers sont sur le point d’arriver massivement dans l’Ouest, que le massacre des bisons est déjà en cours et que les guerres génocidaires contre les nations autochtones ne sont pas encore commencées.

Cette époque représente aussi « le crépuscule » des coureurs des bois, ajoute Louis Hamelin. À bord de l’Omega avec Audubon et son équipe se trouve d’ailleurs le guide et trappeur Émile Provost. Ce « personnage emblématique » forme avec le scientifique une espèce de duo à la Don Quichotte et Sancho Pança, « l’un rêveur, l’autre terrien », explique Louis Hamelin.

« Ce qui m’a intéressé particulièrement, c’est que le français était encore très présent dans cette partie du continent à cause du commerce de fourrure. Une ville comme St. Louis, par exemple, jusqu’au début du XIXsiècle, est en bonne partie française. Sans vouloir être trop pompeux, ça fait partie de ce que j’appellerais notre épopée nationale. »

En deux temps

L’impact de la présence humaine sur la nature environnante reste cependant le fil conducteur de ce roman qui se déroule sur deux époques. « Le roman historique pur ne m’intéressait pas tant », admet l’auteur.

Il y a donc le temps d’hier, où l’on voit Audubon et ses amis tirer allègrement sur tout ce qui bouge, du plus petit oiseau au plus gros bison – c’est un savant, mais aussi un chasseur, et la protection des animaux ne fait manifestement pas partie de ses préoccupations. Et il y a le temps d’aujourd’hui, en forme d’autofiction, où Louis Hamelin, qui a toujours eu une grande passion pour les sciences naturelles – il est détenteur d’un bac en biologie –, avoue s’identifier à Audubon… même si ses ancêtres sont certainement davantage des Provost.

Dans ces chapitres contemporains, on voit aussi le narrateur refaire le chemin des explorateurs pour « radiographier » l’Amérique. Et ce qu’il décrit donne froid dans le dos.

« Je décortique un peu le mythe de l’Ouest américain, qui est aujourd’hui, dans une bonne partie au Montana et au Dakota du Nord, livré à une exploitation pétrolière effrénée. Les bisons sont protégés, mais on détruit le territoire à coups de puits de pétrole. »

— Louis Hamelin

Lire Les crépuscules de la Yellowstone en pleine pandémie reste un exercice troublant, et le roman prend une tout autre dimension sous cet éclairage, fait-on remarquer à Louis Hamelin. « Comme tout ce qui concerne notre rapport à la nature en ce moment », répond-il.

« La pandémie, c’est une autre preuve qu’on fait partie de la nature. Il y a cette conscience dans le livre que nous sommes de la matière qui peut être détruite. Et on ne le dira jamais assez, dans le fond. »

Louis Hamelin est probablement un des écrivains québécois qui écrivent le mieux la nature. Il fait ici encore la preuve de sa maestria, décrivant les animaux avec un soin et une précision aussi maniaques que poétiques. Il y a quelque chose de très émouvant à lire ces passages qui parlent d’espèces disparues, ou ces paragraphes composés de noms d’oiseaux plus ou moins connus.

« Je me suis toujours intéressé aux mots qui font l’effet d’oiseaux rares, et le vocabulaire de l’ornithologie, avec ses sonorités et ses couleurs, est vraiment intéressant. »

— Louis Hamelin

Louis Hamelin est lui-même un ornithologue plus qu’amateur, et rien ne le rend plus heureux que le chant des oiseaux, qu’il écoute le matin en courant. Surtout, pas question de se mettre des écouteurs sur les oreilles.

« La plupart du temps, l’humain n’entend pas les trilles du roselin au-dessus de sa tête parce qu’il pousse sa tondeuse. On parlait de destruction tout à l’heure, mais ça va de pair avec une certaine indifférence. Si tu es indifférent au monde vivant autour de toi, il y a bien des chances que tu ne te préoccupes pas de la destruction de cette nature. »

Mélancolie

Avec le mot crépuscule dans le titre, on peut être certain de trouver une certaine mélancolie. L’auteur l’admet, précisant quand même qu’y figurent aussi humour et truculence…

« Il y a quelque chose d’assez jouissif dedans et je me suis beaucoup amusé à l’écrire. Ce n’est pas triste comme exercice. Mais c’est vrai qu’il y a une charge mélancolique, qu’il y a de ma part une réflexion sur le temps qui passe. »

— Louis Hamelin

À 60 ans, il s’estime chanceux d’être aussi en forme – Audubon était un vieillard à 58 ans, rappelle-t-il. C’est un des avantages de vivre à notre époque, ajoute l’écrivain, qui a entrepris l’écriture de son prochain roman consacré à Thoreau, qu’il abordera par l’intermédiaire de son amitié avec un jeune bûcheron canadien-français. De la même manière que c’est la rencontre entre Provost et Audubon qui l’avait intéressé.

« Cette série s’appelle Les amitiés du Nouveau Monde pour montrer la présence du Canadien français dans la mythologie américaine. Ce qui est une simple note de bas de page de l’Histoire devient mon cheval de Troie pour y entrer. »

D’ailleurs, dans ses « rêves les plus fous », il ne détesterait pas que Les crépuscules de la Yellowstone soit lu par des Américains. « Pour leur montrer qu’un Québécois est capable de parler de l’Amérique, et même qu’il est assez baveux pour utiliser une de leurs icônes comme personnage. »

Et même lui mettre des mots dans la bouche ! « Mais c’est naturel, c’est le travail du romancier de donner de la vie à tout ça. » Pour Louis Hamelin, l’Histoire reste une source intarissable… d’histoires.

« Faire revivre les choses du passé, c’est un des privilèges de la littérature. Ne pas avoir le nez collé sur le présent tout le temps, ça donne un grand bassin de matière romanesque. Si tu regardes l’histoire, c’est presque infini, les possibles. »

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