La génomique et l’intelligence artificielle unissent leurs forces

D’un côté, des cracks de l’intelligence artificielle qui utilisent des algorithmes conçus pour jouer à un vieux jeu de stratégie chinois afin d’imaginer de nouvelles façons de battre le virus. De l’autre, des chimistes qui, en laboratoire, tentent de fabriquer les armes ainsi créées et les déploient contre l’ennemi public numéro 1 pour les tester.

Le virus de la COVID-19 étant un adversaire coriace, des chercheurs en informatique, en chimie et en génomique ont décidé de faire équipe contre lui. Génome Québec annoncera ce mercredi un financement de 1 million de dollars pour appuyer leurs travaux.

« L’idée est de générer des idées nouvelles, de penser un peu hors de la boîte. J’ai très hâte de voir ce que ça va donner. C’est une belle occasion d’intégrer l’intelligence artificielle dans le processus de découverte du médicament », souligne Anne Marinier, chercheuse principale et directrice de la chimie médicinale de l’Unité de découverte de médicaments à l’Institut de recherche en immunologie et cancérologie (IRIC).

Les premières étapes de ce projet se dérouleront à l’institut de recherche en intelligence artificielle Mila. Là, des dizaines de chercheurs dirigés par Yoshua Bengio se concentreront sur une chose : la fameuse protéine en pic du virus SARS-CoV-2 qui lui sert à infiltrer les cellules humaines. Grâce à l’intelligence artificielle, les chercheurs testeront virtuellement le potentiel de millions de molécules à se lier à ce pic afin de le rendre inopérant.

Lorsqu’ils trouveront une molécule qui semble prometteuse, les chercheurs ne s’arrêteront pas là. Toujours grâce à l’intelligence artificielle, ils modifieront cette molécule de toutes sortes de façons afin d’essayer de la rendre encore plus efficace. Ils utiliseront à cette fin des algorithmes similaires à ceux d’AlphaGo, un programme d’intelligence artificielle qui a réussi à battre le champion du monde du go, un jeu de plateau chinois millénaire.

« Ce sont des algorithmes qui cherchent un chemin – une manière de jouer, dans le cas du go. Et dans notre cas, c’est de chercher, dans l’espace des molécules, une séquence d’ajouts de parties de molécules qui permettrait d’optimiser ce degré de liaison avec la protéine [en pic] », explique le professeur Bengio.

Le test de la réalité

À l’autre bout, l’équipe d’Anne Marinier recevra ces molécules développées par l’intelligence artificielle. Elle avoue avoir bien hâte de voir de quoi elles auront l’air. « Les premières étapes seront de voir si ces molécules peuvent exister dans la vraie vie et si elles peuvent être synthétisées », souligne-t-elle. Avec leur expérience, les chimistes pourront aussi voir si certaines molécules comportent des parties qui les rendent toxiques ou font en sorte qu’elles sont rapidement éliminées par le foie, ce qui exclurait la possibilité d’en faire des médicaments.

Lorsqu’il est possible de fabriquer les molécules et qu’elles semblent intéressantes, elles seront testées en laboratoire pour voir si elles se lient vraiment à la protéine en pic du SARS-CoV-2.

« C’est une boucle de rétroaction. Chaque fois qu’eux font des tests, ça nous donne de nouvelles informations que nous pouvons entrer dans nos modèles. »

— Le professeur Yoshua Bengio

Optimiste, le spécialiste de l’intelligence artificielle espère découvrir une molécule prometteuse contre la COVID-19 « d’ici quelques mois ». Anne Marinier, qui baigne dans le développement de médicaments depuis longtemps, admet que le processus est normalement plus long. « Il est possible que l’intelligence artificielle accélère les choses, dit-elle, prudente. J’ai très hâte de voir. »

Bengio défend l’application de traçage du Mila

Yoshua Bengio a affirmé qu’il n’avait rien à se reprocher relativement à l’application de recherche de contacts COVI, développée par le Mila à l’invitation du gouvernement fédéral. Cette application vise à utiliser les téléphones mobiles et l’intelligence artificielle pour prédire le risque d’un individu de contracter la COVID-19 en étudiant l’historique de ses contacts.

Ottawa n’a finalement pas retenu la solution. Des articles publiés dans Le Devoir ont aussi rapporté des critiques sur l’efficacité et les risques pour la vie privée de cette application. « On a fait un travail assez solide avec des experts en protection des données. N’importe quelle communication de données un tant soit peu personnelles est à risque, mais le niveau de risque est comparable à celui qu’on prend déjà, dans la vie, avec les données qu’on a dans un hôpital ou avec le fait d’utiliser Bluetooth sur notre téléphone. Ce sont des risques acceptables par rapport au fait de sauver des vies », a soutenu le professeur Bengio, parlant « d’attaques non fondées ».

Sur sa page web, le Mila précise « respecter entièrement » la décision du fédéral de ne pas utiliser l’application numérique. « Nous avons participé à une riche discussion où citoyens et experts ont pu exprimer des préoccupations légitimes et éclairer le processus décisionnel de nos gouvernements », écrivent Yoshua Bengio et Valérie Pisano, présidente et chef de la direction de Mila.

en bref

Les moins de 20 ans ont deux fois moins de risques d’être infectés

Une nouvelle étude confirme que l’âge est un facteur important dans la COVID-19 : selon ses estimations, les moins de 20 ans ont deux fois moins de risques d’attraper la maladie que les plus de 20 ans. En outre, la proportion de patients qui déclarent des symptômes après avoir été infectés est de 21 % chez les personnes âgées de 10 à 19 ans, alors qu’elle grimpe à 69 % chez les plus de 70 ans, selon les estimations de cette étude publiée dans la revue Nature Medicine. Ces résultats semblent indiquer que « les interventions visant les enfants pourraient avoir un impact relativement faible sur la réduction de la transmission » du nouveau coronavirus, écrivent les auteurs de l’étude, alors que le débat est vif dans de nombreux pays sur la réouverture des écoles après le confinement.

— D’après l’Agence France-Presse

Qu’est-il arrivé au tiers des patients de la COVID-19 ?

On ne connaît pas l’issue clinique d’environ le tiers des infections de la COVID-19 au Québec, a constaté une chercheuse du Centre interuniversitaire de recherche en analyse des organisations (CIRANO). On ne sait donc pas si ces patients sont morts, s’ils sont guéris, ni même dans certains cas s’ils ont été hospitalisés, a expliqué Simona Bignami. La même situation prévaut en Ontario. « Mais au Québec, la plupart des valeurs manquantes sont chez les 80 ans et plus, a-t-elle expliqué. C’est un gros problème parce qu’ils ont un plus grand risque de décès, donc il faudrait vraiment savoir ce qui s’est passé, [surtout] qu’il est fort probable qu’ils soient dans un milieu fermé. » « Ça explique aussi pourquoi il y a constamment des changements dans le nombre de décès. Ces décès font partie du 30 %. » Mme Bignami s’est appuyée sur les données de l’Agence de la santé publique du Canada pour effectuer ses travaux. Elle n’est pas en mesure de dire si l’Institut national de santé publique du Québec a en sa possession les données manquantes, et si oui, pourquoi elles n’ont pas été transférées à l’agence fédérale.

— D’après La Presse canadienne

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