Opinion COVID-19

Nos droits fondamentaux en temps de pandémie

Si on cherche des raisons de se réjouir en ces temps difficiles, on peut se rassurer de ceci : évidemment, l’attachement à la démocratie est sain et sauf.

On n’a qu’à passer en revue les nombreux articles qui affirment l’importance de protéger les droits fondamentaux, dans un contexte sans précédent de restrictions, pour s’en rendre compte. Ce texte prend son élan de l’excellent reportage de Gabriel Béland publié le 19 avril dernier.

Nous sommes effectivement devant le défi de définir les règles et les structures de gouvernance qui s’imposent pour préserver les libertés individuelles lorsque les professionnels de la santé font appel à des mesures restrictives. Comme juriste, j’espère en décrire ici les paramètres de base en droit canadien.

Le premier, incontournable bien sûr, est celui de la légitimité.

La légitimité de toute restriction aux libertés individuelles doit être ancrée dans une démonstration probante de sa nécessité.

Il en découle que toute proposition de mesures restrictives ne doit procéder que des autorités possédant l’expertise pertinente à en déterminer la nécessité.

Par exemple, la légitimité de la géolocalisation ou de l’utilisation de toute technologie de repérage pour contrer la pandémie dépendrait d’abord et avant tout de la démonstration par les autorités de santé publique de l’absolue nécessité de ce niveau de restriction. Les services de police ne seraient sollicités que pour la mise en œuvre de la restriction conçue par les autorités de santé publique et dans un but exclusif de santé publique. 

Ayant eu le privilège d’avoir passé 27 ans dans la fonction publique fédérale, dont plus de cinq ans au Commissariat à la protection de la vie privée du Canada, je peux offrir un aperçu des coulisses de ce type de discussions, au moins au niveau fédéral. Si une agence gouvernementale envisage des mesures restrictives des libertés individuelles au nom de l’intérêt public (la sécurité aérienne en est un exemple concret), la première étape est d’en vérifier la légalité en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés par le ministère de la Justice.

Les avocats commenceront leur analyse par la question qui tue : démontrez-nous que la restriction envisagée est absolument nécessaire, c’est-à-dire que vous ne pouvez absolument pas atteindre l’objectif qui s’impose sans avoir recours à cette mesure et que son efficacité présumée repose sur des analyses fiables ou sur une application démontrée. Si cette première étape est franchie, la légitimité est possible, mais encore là, elle dépend du caractère minimal des restrictions, proportionnel à l’objectif de santé publique impératif.

La question n’est d’ailleurs pas résolue de façon indéfinie. Si, par exemple, l’efficacité de la mesure ne se réalisait pas, sa légitimité n’y survivrait pas non plus ; elle devrait être abandonnée. Sa durée ne pourrait pas non plus dépasser la durée de la nécessité démontrée. Par conséquent, sa mise en œuvre devrait être assortie de mécanismes de protection à cet égard, par exemple par la destruction automatique ou prévue des données personnelles dès que leur conservation n’est plus justifiée. 

Première règle de gouvernance, donc : l’imposition d’une analyse juridique en vertu des droits fondamentaux dès la conception d’un projet de mesures restrictives et, si elle est mise en œuvre, son évaluation continue pour déterminer s’il est justifié de maintenir ces restrictions. 

Le deuxième paramètre est celui de la transparence. « La démocratie meurt dans la noirceur », dit le slogan du Washington Post.

Toute mesure restrictive, même avec l’objectif impératif de sauver des vies, doit faire l’objet d’une totale transparence.

Cela signifie la communication aux citoyens de tous les enjeux et de toutes les modalités d’exécution : pourquoi une telle mesure ? À partir de quelles données probantes ? Avec quelles mesures de protection ? Exécutées de quelle façon et assorties de quels recours ? L’imputabilité entraîne donc ses propres exigences de gouvernance ; si la gestion d’une crise sanitaire ne peut se faire en assemblée législative, elle doit se faire en public et sous la vigilance d’organismes de contrôle indépendants chargés de représenter les intérêts des citoyens. 

Au gouvernement fédéral, une mesure qui envisage l’utilisation de données personnelles doit faire l’objet d’une évaluation des facteurs relatifs à la vie privée, selon une directive du Conseil du Trésor, et cette évaluation doit être révisée par le Commissariat à la protection de la vie privée du Canada. La transparence doit s’appliquer à ces évaluations afin de véritablement rendre compte aux citoyens de la nature, de la portée, incluant la durée, et des objectifs des mesures adoptées. 

Malgré ces précautions, un troisième paramètre s’impose : l’imputabilité.

À chaque pouvoir créé doit correspondre un recours de contestation, indépendant et accessible, par lequel un citoyen peut contester l’application d’une mesure restrictive.

Le recours aux tribunaux est toujours possible, mais il peut être illusoire en temps de crise où les mesures sont appliquées sous l’emprise de l’urgence. Un mécanisme de contestation doit être assigné ou créé pour assurer le droit réel de contester la restriction, adapté aux circonstances, tant au nom des droits individuels qu’en celui de l’intérêt public. 

Finalement, comme la quatrième bordure d’un cadre, le dernier paramètre que je poserai est celui des mécanismes de contrôle.

Par exemple, comme l’Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement qui inspecte et émet des rapports publics sur les activités du Service canadien du renseignement de sécurité de façon continue, un organisme devrait être chargé de vérifier la conformité aux règles de droits fondamentaux de l’application des mesures restrictives : l’application des mesures a-t-elle été limitée aux exigences de l’objectif de santé publique qu’elles appuyaient ? A-t-elle été limitée à la durée prescrite ? En somme, les engagements du gouvernement envers les citoyens dans la justification et l’application des mesures ont-ils été respectés ? 

Voilà comment une démocratie survit à une pandémie : par l’engagement total et honnête des citoyens. Jusqu’à présent, notre attachement à la démocratie est manifeste, tant chez les politiciens que chez les citoyens. Le pronostic est bon tant que nous restons vigilants.

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