La Presse au Tour de France

« Gagner le Tour, c’est un passeport »

Nice — Vainqueur du Tour de France en 1966, Lucien Aimar est l’un des derniers Français encore vivants à avoir remporté la célèbre course. Interrogé par La Presse sur un trottoir de Nice, il revient sur ses faits d’armes et commente cette drôle d’édition 2020, qui se tient sous le signe du coronavirus.

Vous avez 79 ans, vous suivez toujours le cyclisme de près ?

Absolument. J’ai pris ma retraite comme coureur en 1974, mais je n’ai jamais cessé de m’impliquer, que ce soit comme entraîneur ou organisateur de courses. J’ai créé le Tour de Méditerranée, dont je me suis occupé pendant 38 ans, jusqu’en 2013. Et j’organise aujourd’hui des courses pour les vétérans.

Que pensez-vous de cette édition 2020, qui s’annonce peu banale ?

Je dirais que les organisateurs ont beaucoup de courage. Par les temps qui courent, avec ce problème sanitaire, il faut avoir le cœur bien accroché pour lancer une caravane de 4000 personnes sur la route. Je leur lève mon chapeau.

Certains pensent que cette édition n’aurait pas dû avoir lieu. Qu’en pensez-vous ?

Je pense qu’il faut combattre le mal par le mal. Il y a une conjoncture très difficile et il faut aller de l’avant. Les coureurs entre eux ne vont pas se contaminer, et si les gens respectent le masque sur la route, il n’y a pas plus de danger que d’aller dans un bistrot ! Ce n’est pas le Tour de France qui va enrayer l’épidémie. Ce n’est pas lui qui détient la clé.

Il y a quand même des mesures sanitaires très strictes. Dont le filtrage des cols pour le public et les départs à huis clos. Quel sera l’impact sur l’épreuve, selon vous ?

Je pense que les coureurs n’auront pas les mêmes émotions. Quand on est sur le vélo, entendre les gens, ça stimule. Il y a l’adrénaline qui est là. C’est sûr qu’on ne sera pas dans la même ambiance. Ça n’empêche pas que les cols de l’Aubisque, du Tourmalet, ils vont quand même devoir les monter !

Aucun cycliste français n’a remporté le Tour depuis Bernard Hinault en 1985. C’est cette année que ça se passe ?

Pourquoi pas ? Nous avons des bons coureurs. Julian Alaphilippe a porté le maillot jaune l’an dernier pendant 14 jours. Ce qui lui manquera, c’est une équipe dans les cols. Mais c’est un coureur opportuniste qui sent bien la course. Il peut tirer son épingle du jeu. Ensuite, il y a Thibaut Pinot. Il est à la porte de la plus haute marche du podium. C’est le moment ou jamais. C’est le moment de voir s’il a les « coucounes » pour aller au bout. Mais disons que cette année, plusieurs coureurs peuvent l’emporter.

On dit que c’est Jacques Anquetil qui vous a aidé à remporter le Tour de France en 1966, où vous avez gardé le maillot jaune pendant les sept dernières étapes. Qu’en est-il ?

On était dans la même équipe, Ford. Il était leader et j’étais leader de rechange. Il m’a aidé comme moi je l’ai aidé à gagner d’autres courses, le Dauphiné ou Paris-Nice. Anquetil a gagné cinq fois le Tour de France. Il fait partie des grands champions, et normalement ne s’abaisse pas à être un simple équipier. S’il avait pu gagner, il l’aurait fait. Effectivement, il a roulé pour moi, avant d’abandonner à trois jours de l’arrivée…

Et alors ? Ça fait quoi de gagner le Tour de France ?

Sur le moment, ça ne m’a rien fait. Même si 45 000 personnes m’ont applaudi à l’arrivée à Paris, au Parc des Princes, pour moi, ça faisait partie de la victoire. C’est après que j’ai arrêté le vélo que j’ai ressenti la joie et la fierté d’avoir gagné le Tour. Gagner le Tour, c’est un passeport. Où qu’on aille, on est toujours le gars qui a gagné le Tour. Les gens ne restent pas indifférents.

Et vos maillots jaunes, qu’en avez-vous fait ?

Il y en a six que j’ai prêtés et qui ne sont pas revenus. Mais j’ai gardé le dernier. Celui où j’avais cousu les poches de devant pour éviter que l’air ne s’engouffre. Ma femme me l’a mis dans un cadre, sous verre. Il est dans notre chambre. J’ai ma femme à gauche et mon maillot jaune à droite. Ma femme, je la sors de temps en temps, mais le maillot, non !

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