AéronautiquE
L’immobilisme dangereux du fédéral

De plus en plus de voix s’élèvent au pays pour dénoncer l’immobilisme, voire l’absence du gouvernement fédéral dans le secteur de l’aéronautique. Pour une des rares fois, le milieu syndical, le patronat, les universitaires et les entreprises réclament unanimement une intervention réelle et ciblée pour aider le secteur à traverser la crise.

Dans tous les pays où il y a un secteur aéronautique, les gouvernements se sont dépêchés d’intervenir massivement. Que ce soit par de l’aide directe (par exemple, la France a injecté plus de 23 milliards dans son secteur aéronautique) et par des contrats militaires ou civils de plusieurs dizaines de milliards accordés aux entreprises comme Boeing, les États se sont montrés très présents. C’est aussi le cas pour le Brésil, la Chine, le Japon et même le Maroc. Dans le jeu de la mondialisation, ce sont tous nos concurrents.

Ce qui rend cette situation incompréhensible, c’est la taille et l’importance de ce secteur pour notre pays. En 2018, le secteur aérospatial canadien cumulait des revenus de 31 milliards et employait 89 500 personnes de manière directe et 53 000 de manière indirecte.

L’aérospatiale se démarque par sa capacité à exporter : 93 % des manufacturiers canadiens vendent à l’extérieur du pays. Le secteur est fondamentalement innovant. En 2017, les manufacturiers du secteur aérospatial d’ici ont investi 1,37 milliard en recherche et développement, soit presque le quart de la R & D pour l’ensemble des industries manufacturières canadiennes.

Enfin, ce rôle stratégique est d’autant plus significatif au Québec, qui représente environ 49 % des emplois et 57 % des ventes au niveau national, mais qui réalise plus de 70 % de la R & D aérospatiale canadienne.

Abandonner l’aéronautique signifierait fragiliser gravement notre capacité à générer de la richesse.

La menace la plus importante aujourd’hui est la perte d’expertise dans ce secteur. À travers le temps, nous avons toujours réussi à faire des merveilles avec peu de moyens en démontrant un niveau d’innovation hors du commun. L’exemple le plus frappant, c’est toute l’ingéniosité que nous avons mise dans le développement du A220 – anciennement le C Series –, conçu et développé au Québec par Bombardier.

Il y a deux ans, Airbus est devenue partenaire aux commandes du programme. Le siège social du programme se situe toujours à Mirabel chez Airbus Canada. C’est à cet endroit que les appareils sont assemblés et aussi d’où provient le soutien offert aux clients de partout dans le monde. Des ingénieurs hautement qualifiés continuent d’y réaliser des modifications et des améliorations. L’A220 fait partie des principaux produits d’exportation du Québec et du Canada.

Loin d’être une mauvaise chose, l’arrivée d’Airbus est une bénédiction pour notre secteur aérospatial. Elle a sauvé le programme C Series, a stimulé notre chaîne d’approvisionnement, mais a surtout permis de mieux déployer cet appareil dans le monde entier en mettant en valeur ce que nous savons faire de mieux dans ce domaine.

Ce qui fait toute la différence pour les compagnies aériennes, c’est son efficacité, un réel hommage à ses concepteurs québécois visionnaires chez Bombardier. Ces derniers ont opté pour une technologie de pointe en aérodynamique numérique afin de créer un appareil commercial qui consomme 20 % moins de carburant par siège que les appareils de la génération précédente. Les émissions de dioxyde de carbone sont réduites de 20 % et les émissions d’oxyde de nitrogène, de 50 %.

À l’intérieur, l’appareil est équipé d’un système à la fine pointe de la technologie assurant la prise d’air, sa circulation et son nettoyage, ce qui s’avère un atout exceptionnel en ces temps de pandémie.

Tous ces facteurs en faveur du produit québécois qu’est l’A220 ont suscité beaucoup de commentaires positifs dans le monde de l’aviation à l’international.

Il est crucial que les gouvernements viennent en aide à cette industrie indispensable et à leurs clients, les compagnies aériennes, en leur assurant un environnement favorable et ainsi garantir une certaine prospérité au moment où le transport aérien – et éventuellement les commandes d’appareils – se remettra en marche de façon significative.

Avec un soutien immédiat et adéquat accordé à l’industrie aéronautique et aérienne, l’économie post-pandémie du Québec profitera longtemps de l’inspiration et de la vision des concepteurs de l’A220 ainsi que du travail accompli par Airbus pour livrer cette technologie au monde entier. Sinon, nous perdrons un des leviers de création de richesse pour notre pays, mais pire encore, nous perdons notre savoir-faire et nos experts feront le bonheur de nos concurrents ailleurs dans le monde.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.