Lien Québec-Lévis

Greffer un troisième poumon

C’est l’histoire du gars qui a fumé deux paquets de cigarettes par jour toute sa vie. Ses deux poumons sont cancéreux. Il souffre et n’arrive plus à fonctionner. Tout le monde de son entourage, tous les spécialistes lui disent qu’il doit changer ses habitudes, cesser de fumer, faire de l’exercice. Mais il ne veut rien savoir. Fumer lui plaît trop. Changer est trop difficile. Il va voir son médecin et lui demande de régler son problème. Celui-ci, voyant l’opportunité de gagner de la notoriété, lui offre de lui greffer un troisième poumon. Eh bien, le projet de troisième lien, c’est exactement ça.

La région de Québec est malade de sa dépendance à l’automobile et à l’étalement urbain. On ne compte plus les avis d’experts qui le disent, l’expliquent logiquement, chiffres à l’appui. Mais non, changer est trop difficile. Alors le gouvernement actuel propose de lui greffer un troisième lien. Ne sachant pas comment le justifier, celui-ci a même créé un nouvel indicateur, le PPM1. Une insulte à l’intelligence, rien de moins !

Nous pourrions regarder cela avec un certain détachement (et s’en moquer comme on l’a fait au Bye bye 2021) si ce n’était du coût astronomique.

Comme si notre fumeur se faisait greffer un troisième poumon aux frais de l’assurance maladie. Tous les Québécois devront assumer le coût de ce projet et son effet néfaste sur l’environnement.

Sans compter l’impact négatif sur l’effort commun pour atteindre nos cibles de diminution des gaz à effet de serre. La semaine dernière, le ministre des Transports nous a présenté une nouvelle version à deux tubes qui serait moins chère, à 6,5 milliards. D’abord, je ne crois pas un instant que cela représente le coût réel d’un tel projet. Selon mon expérience, les facteurs principaux faisant augmenter les coûts des projets publics d’infrastructure sont une mauvaise évaluation du risque, des imprévus et des ajouts aux besoins en cours de projet. Pensez-y, construire un tunnel de 8,3 km comporte un profil de risque assez élevé. Alors si le Ministère est prêt à inventer des indices PPM pour nous faire avaler ce projet, à exclure le coût des travaux pour joindre le réseau autoroutier actuel à ce tunnel, que penser de la contingence prévue dans ce budget à 6,5 milliards ? Je suis convaincu que ce projet, s’il va de l’avant, finira au-dessus de 10 milliards.

Dix milliards ! Avec un taux d’intérêt grimpant, admettons à 3 % pour être prudent, cela reviendrait à payer 300 000 000 $ en intérêts seulement, sans rembourser le capital, par année. Combien d’années pour rembourser ? 25 ans ? 50 ans ? Les paiements sur 50 ans représenteraient 390 millions par année. Imaginez mettre cet argent ailleurs.

Par exemple, fournir des purificateurs d’air aux 3000 institutions d’enseignement tous niveaux confondus au Québec à 10 000 $ par école reviendrait à 30 millions2. Soit environ 5 % du paiement de la première année seulement. Ensuite, avec les 360 autres millions de l’an 1, on fait quoi ? Combien d’écoles rénove-t-on ? Combien d’hôpitaux ? Combien d’autobus ajoute-t-on dans le Grand Montréal ? Chaque année, durant 50 ans !

Finalement, c’est une question de choix. Que peut-on faire pour régler ce problème de circulation ? Il faudrait d’abord partir d’une analyse logique du problème plutôt que de fournir la solution demandée par certains commentateurs à la radio de Québec. On trouvera assurément des solutions en transport en commun pour une fraction du coût. Cela demandera de changer certaines habitudes, oui. Mais on en est rendus là. La plupart des gouvernements des pays et des villes développés l’ont compris et agissent de la sorte. Alors, si notre gouvernement continue de s’entêter avec ce projet, il faudra peut-être faire un autre choix quand on nous le demandera dans quelques mois.

1. Lisez « Troisième lien Québec-Lévis : deux tunnels, 6,5 milliards et étalement urbain »

2. Lisez « 420 purificateurs d’air achetés d’“urgence” à fort prix »

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