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Les cinq grandes leçons du 11-Septembre

L’auteur, qui a participé avec les chercheurs de la Chaire Raoul-Dandurand à la publication de deux ouvrages sur les conséquences du 11-Septembre, nous présente les grandes leçons de cette attaque terroriste.

Vingt ans plus tard, quelles leçons pouvons-nous tirer des évènements du 11-Septembre ? Le monde a-t-il vraiment changé, et quel impact cet évènement a-t-il eu sur les États-Unis ?

Les menaces transnationales sont (toujours) sous-estimées

La menace terroriste posée par Al-Qaïda contre le sol américain a été sous-estimée par les décideurs américains à la veille des attentats, et de nombreuses enquêtes ont dévoilé les effroyables lacunes gouvernementales dans l’appréhension des attentats. On aurait pu ainsi croire que ces décideurs auraient appris de leur expérience. Néanmoins, hormis le spectre du terrorisme djihadiste sur lequel ils ont concentré massivement tous leurs efforts, les autres menaces transnationales n’ont pas été placées en haut de la liste. Le meilleur exemple est la gestion initiale pitoyable de la pandémie – surtout aux États-Unis et malgré les mises en garde des autorités de santé.

Doit-on redouter (et déjà parier) que face aux cyberattaques, voire face à la crise climatique, le même scénario d’ineptie et de catastrophes (dites imprévues) survienne ? Pendant ce temps, de grands efforts stratégiques sont investis dans la compétition entre les grandes puissances, notamment entre les États-Unis et la Chine : pourtant, celles-ci devraient collaborer pour gérer les menaces transnationales et non alimenter leur vision de l’une contre l’autre. Plus ça change…

Quand le plan de match n’est pas respecté

C’est la plus grande erreur des décideurs américains. En octobre 2001, lors du renversement du régime des talibans en Afghanistan, l’appui de l’opinion publique pour Bush a atteint des sommets. Deux ans plus tard, en octobre 2003, cet appui a fondu de manière spectaculaire en raison de la décision fatidique d’envahir l’Irak, prise un an plus tôt.

Indubitablement, celle-ci a constitué la bourde la plus sérieuse et avec le plus de conséquences de l’histoire de la politique étrangère des États-Unis.

Sans cette invasion, l’Histoire aurait sans doute été écrite différemment et, en particulier, celle de l’Afghanistan. Ce pays aurait eu une chance de connaître un dénouement plus heureux, excluant le retour des talibans au pouvoir. Plus de 5000 milliards de dollars ont été gaspillés dans non pas une, mais deux missions qui ont échoué. Sans compter les pertes inutiles en vies humaines.

La fatigue de la guerre est l’ennemi de la paix

La conséquence principale du 11-Septembre a été d’engager les États-Unis (et indirectement l’Occident) dans les deux plus longues guerres de leur histoire. Les constats qu’on en retiendra sont puissants : il est désormais exclu de croire qu’on peut « exporter » la démocratie et qu’on peut « construire » des nations, principalement lorsque les moyens mis en œuvre ne sont pas au rendez-vous. L’Afghanistan et l’Irak, dont le sort a été irrémédiablement transformé par le 11-Septembre, ont mis fin aux espoirs d’une communauté internationale apportant son concours utile pour construire la paix et garantir la « responsabilité de protéger » dans les États fragiles. Ceux-ci seront de plus en plus abandonnés à eux-mêmes, victimes d’une profonde désillusion et d’une démission collective engendrées par les décisions prises dans la foulée du 11-Septembre. En clair, la communauté internationale n’existe à peu près plus.

Militarisation, sécurité et droits de la personne ne font pas bon ménage

Que reste-t-il du droit international mis à mal après les attentats d’il y a 20 ans ? Un bon indicateur de l’effritement du peu de ce droit qui existait est la pérennité encore aujourd’hui de la prison illégale de Guantánamo, et ce, malgré les efforts des présidents Barack Obama et Joe Biden pour la fermer. Les droits de la personne sont en net recul dans le monde, résultat d’une surmilitarisation et d’une sursécurisation d’enjeux (comme l’immigration et les réfugiés) qui auraient mérité davantage de réponses politiques concertées. La montée du populisme n’est d’ailleurs pas étrangère à cette évolution. Elle sacrifie la démocratie sur l’autel du nationalisme et du réflexe sécuritaire. Une tendance très dangereuse si elle persiste, nourrissant le « repli sur soi » des États.

Métamorphose de la vie politique américaine

Si ben Laden avait voulu changer la société américaine (son objectif avoué était plutôt de transformer le Moyen-Orient), il n’aurait pu mieux concevoir « l’effet 11-Septembre ». Sans les attentats, Bush n’aurait probablement pas envahi l’Irak, Obama n’aurait peut-être pas été candidat, et Trump serait resté confiné à son industrie hôtelière… Le 11-Septembre a alimenté la polarisation extrême de la société américaine, déjà exacerbée par l’invasion de l’Irak et la fatigue de la guerre, de même que cette vision de plus en plus ancrée d’une Amérique bien armée – à l’intérieur comme à l’extérieur – qui fait fi de tout ce qui ne relève pas de son intérêt national. Ce sont sans doute les deux plus grands legs, 20 ans plus tard, du 11-Septembre : le gouffre dangereux dans lequel est enlisée la démocratie américaine et la fin du leadership des États-Unis dans la conduite des relations internationales.

Plus près qu’on pense

Le matin du 11 septembre 2001, les Québécois ont les yeux rivés sur l’écran. Montréal se trouve à six heures de voiture du World Trade Center et le Québec partage sa frontière avec l’État de New York. Pompiers et secouristes québécois se rendent sur les lieux pour aider les collègues américains, le Canada participe à l’intervention en Afghanistan, et le durcissement des frontières pour lutter contre le terrorisme rappelle, 20 ans après, à quel point le 11-Septembre a changé nos vies ici aussi.

Pour aller plus loin

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