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Une enquête de la protectrice de l’élève confirme les craintes qu’avait un parent : les collations offertes par le CSSDM sont pour beaucoup inadéquates, un constat « scandaleux », de l’avis d’experts.

Gratuites… et malsaines

La plupart des collations offertes par les écoles sont composées d’aliments ultratransformés, conclut la protectrice régionale de l’élève

Les collations gratuites servies dans la plupart des écoles primaires du centre de services scolaire de Montréal (CSSDM) sont inadéquates et potentiellement nocives parce qu’elles sont composées – huit fois sur dix – d’aliments ultratransformés, au lieu de fruits et légumes. Le CSSDM doit corriger ces écarts « marqués » et « évidents », affirme un rapport d’enquête obtenu par La Presse.

La protectrice régionale de l’élève de la région du Centre de l’Île est arrivée à cette conclusion après avoir étudié la plainte du Montréalais Daniel Vézina, qui a d’abord tenté de convaincre l’école de ses enfants de respecter les exigences du gouvernement. Son échec l’a poussé à utiliser la Loi sur l’accès à l’information, pour savoir quelles collations les écoles primaires commandent sur la plateforme du CSSDM.

Le ministère de l’Éducation – qui finance l’achat de ces collations et de repas pour réduire les inégalités sociales – précise, dans son document d’information, qu’il leur faut respecter le Guide alimentaire canadien, afin de « favoriser la santé globale des jeunes » et leur réussite.

Le CSSDM doit donc « identifier les aliments hautement transformés, ou à la limite de l’être [comme certains yogourts à boire exagérément sucrés], afin de les retirer de l’offre de collation » et « éliminer leur présence […] pour tous les élèves », conclut MMarie-Ève Dorion dans son rapport d’enquête.

« Des études variées confirment l’apport de ces aliments dans le développement de maladies chroniques, notamment l’obésité », rappelle-t-elle. Au Québec, un enfant sur dix souffre d’obésité. Et un nombre croissant d’entre eux développe précocement le diabète, qui peut attaquer les yeux, les reins et les vaisseaux sanguins.

Au moins la moitié des collations devront intégrer un fruit ou un légume d’ici la rentrée 2024, recommande aussi MDorion. Et l’année suivante, elles devront en comporter chaque jour, comme le veut le Guide alimentaire canadien, plutôt qu’une ou deux fois par semaine.

« J’ai pleuré de joie en lisant ce rapport ! Les aliments ultratransformés nuisent à la concentration et réduisent l’espérance de vie de toute une génération. Aucuns fonds publics ne devraient servir à ça. Des pommes, des bananes, des clémentines, ça ne coûte rien en saison. »

— Daniel Vézina, qui a alerté la protectrice régionale de l’élève

L’enquête confirme les découvertes que le père de famille a faites en utilisant la Loi sur l’accès à l’information. Seulement 6,7 % des collations achetées par les écoles primaires du CSSDM étaient des fruits et des légumes, en 2022-2023. Et 80 % étaient ultratransformées – soit riches en calories, en sucres ajoutés, en gras saturés, en sel ou en additifs.

Offre inégale

Dans les faits, les écoles distribuent donc deux fois plus de collations problématiques que ce qui est indiqué dans les exemples de menu du CSSDM, dont des galettes à la mélasse, qui n’y figurent même pas, précise MDorion. Plusieurs autres contiennent des ingrédients peu recommandables comme l’huile de palme et le glucose-fructose.

Le CSSDM a soutenu que les enfants qui ne mangent pas à leur faim chez eux ont besoin d’aliments plus denses en calories. Mais leur vulnérabilité justifie, au contraire, d’« accroître [l’]offre de fruits et de légumes de toutes les façons possibles », estime la protectrice de l’élève.

Les embûches – comme le manque d’infrastructures et de main-d’œuvre – sont réelles, mais ne dispensent pas l’organisme de ses engagements, tranche MDorion, pour qui le bien des enfants doit l’emporter.

Dans sa Politique pour une saine alimentation, le CSSDM promet lui-même de suivre le Guide alimentaire canadien et d’« offrir, en tout temps, des aliments de bonne valeur nutritive et de qualité ».

« Chaque établissement se doit de faire une analyse de son milieu » pour trouver des solutions, affirme donc la protectrice régionale. Certains « semblent avoir choisi de faire une priorité des saines habitudes alimentaires » et parviennent à respecter les bonnes pratiques.

Trop compliqué ?

Les experts consultés par La Presse (et cités dans le texte suivant) espèrent que l’enquête de la protectrice régionale motivera tous les centres de services scolaires à offrir des collations plus saines.

Mais la directrice générale du CSSDM, Isabelle Gélinas, a rapidement annoncé par écrit à MDorion qu’elle ne suivrait pas plusieurs de ses recommandations, jugeant que l’« exercice demandé » était « prématuré et disproportionné ».

Son centre a banni les boissons sucrées et travaille déjà à « éliminer […] des aliments dont les valeurs nutritives s’écartent grandement des cibles » fixées par Santé Canada, assure-t-elle. Il mettra à jour ses propositions de menus pour faire plus de place aux fruits.

Mais le CSSDM attend que le ministère de l’Éducation publie la mise à jour de sa Politique-cadre pour une saine alimentation, au cours de la prochaine année scolaire, avant de faire la plupart des ajustements.

« Le CSSDM veut des aliments préemballés, qui se conservent six mois sur une tablette, qui se mangent vite en classe, qui ne salissent pas, et que les élèves aiment, pour ne rien gaspiller… Ils n’ont pas les bonnes priorités ! Ils devraient se retrousser les manches au lieu de s’entêter à justifier leur inaction, s’indigne Daniel Vézina. J’espère que les membres du conseil d’administration feront prévaloir les intérêts supérieurs des enfants. »

Le porte-parole du CSSDM a indiqué à La Presse que le sujet sera à l’ordre du jour à sa séance du 8 mai et qu’il pourra répondre aux questions après cette date.

Des collations nutritives…

• Le lait nature et les boissons végétales enrichies non sucrées

• Du houmous avec des légumes

• Des crudités avec du fromage

• Un yogourt nature avec des fruits frais et des graines de citrouille

• Des craquelins à grains entiers (comme les biscottes Melba) avec un concombre libanais

et moins nutritives

• Les jus, y compris les jus de type Hydrafruit, tous sucrés

• Les yogourts à boire, trop sucrés

• Les barres tendres et biscuits de commerces, très sucrés et pauvres en fibres et en protéines

• Les céréales de riz croustillant ou de flocons de maïs servies avec du lait, car il ne s’agit pas de grains entiers.

Source : Collectif Vital

« L’école doit donner l’exemple »

Le ministère de l’Éducation doit agir sans tarder pour que les écoles offrent des collations saines, réclament des experts en santé, convaincus qu’on rend les enfants malades

« Scandaleux »

La Dre Julie St-Pierre, spécialiste en obésité infantile, traite de nombreux jeunes à la Clinique 180 et se bat contre l’aide alimentaire de mauvaise qualité : « Des parents pleurent tous les jours dans mes bureaux, parce qu’ils font plein d’efforts pour que leur enfant mange bien à la maison, mais que l’école le bourre de cochonneries ! D’autres achètent des aliments transformés parce qu’ils vivent de l’insécurité financière. Les enfants démunis souffrent donc plus d’obésité. Et que fait l’école ? Elle leur sert des aliments qui vont les rendre encore plus malades ! C’est scandaleux ! Le Guide alimentaire canadien est excellent et s’applique à tous – y compris au système scolaire, censé enseigner la base des bonnes habitudes de vie. Ils n’ont aucune défaite valable et doivent arrêter de donner des calories vides à des enfants en pleine croissance. Commander des fruits et des légumes à l’épicerie, ce n’est pas plus long que de commander des barres tendres et des biscuits Pattes d’ours. Les écoles pourraient aussi faire des partenariats avec nos producteurs, pour offrir des fruits et légumes, et des protéines comme des œufs et du fromage. Les Américains viennent d’adopter des normes pour que les aliments servis dans leurs écoles contiennent moins de sucre et de sel. »

« Discutable sur le plan moral »

Le professeur Jean-Claude Moubarac, du département de nutrition de l’Université de Montréal, a codéveloppé la classification Nova, qui permet d’identifier les aliments ultratransformés : « Les collations au goût sucré éloignent les enfants des pommes, des noix et du yogourt nature, qui sont beaucoup plus sains. L’école doit donner l’exemple et les aider à développer de bonnes préférences. Mais ce que j’ai vu à celle de ma fille la semaine dernière, c’est à s’arracher les cheveux – des Pattes d’ours, des yogourts sucrés ! Attendre pour corriger la situation, sous prétexte qu’une nouvelle politique du gouvernement arrivera l’an prochain, me semble inacceptable et discutable sur le plan moral. Le centre de services scolaire de Montréal (CSSDM) est déjà en retard. Le nouveau Guide alimentaire canadien est sorti depuis plus de quatre ans et, comme parent, on veut que nos enfants en profitent sans tarder. »

Des sommes « nettement insuffisantes »

La nutritionniste Lucie Laurin gère le projet Écollation à l’Association québécoise de la garde scolaire. Il a permis à 24 écoles de 6 régions d’offrir quotidiennement des fruits et des légumes de 2017 à 2023. L’Association peut maintenant guider les écoles qui veulent faire le saut : « Servir des fruits et des légumes à tous les enfants, ça se fait très bien, même s’il faut relever des défis pour les entreposer, les préparer et les faire livrer. Des écoles se sont arrangées avec leur distributeur, leur personnel, leurs élèves ou avec des organismes communautaires. Et l’expérience a été très appréciée ! Certains enfants sont devenus plus attentifs en classe, d’après les enseignants. Mais depuis la fin du projet-pilote, moins de la moitié des écoles continuent. L’enjeu, c’est vraiment l’argent ! À Montréal, les budgets sont plus élevés, puisqu’on trouve plus de milieux défavorisés. Mais ailleurs, selon nos calculs, le ministère de l’Éducation verse, en moyenne, seulement 35 % des sommes nécessaires pour acheter les denrées et faire rouler le programme1. C’est nettement insuffisant ! Il doit aussi couvrir les coûts de main-d’œuvre, parce que les écoles, qui manquent de tout, sont forcées de faire du bénévolat. Certaines pourraient aussi demander une petite contribution aux parents ou chercher d’autres sources de financement. »

1. Offrir un fruit ou un légume cinq jours par semaine coûte entre 108 $ et 144 $ par enfant par année scolaire, a constaté l’Association lors de son projet-pilote. Environ la moitié de cette somme sert à acheter les aliments (qui reviennent à 0,60 $ ou 0,80 $ par enfant, par jour). Le reste permet de financer la main-d’œuvre.

Chaque école fait à sa façon

Corinne Voyer dirige le Collectif Vital, qui milite pour l’adoption d’habitudes saines et a contribué à déclencher l’enquête de la protectrice régionale de l’élève, en analysant la qualité des collations servies au CSSDM : « La situation des collations à Montréal n’est sûrement pas unique. On a fait des sondages dans tout le Québec en 2017, et chaque école appliquait la politique-cadre pour un virage santé à sa façon. C’était extrêmement variable. Il y avait de bons coups à certains endroits, mais encore beaucoup d’aliments en sachet, parce que, depuis l’adoption de la politique en 2007, les écoles ne sont pas assez soutenues. La majorité des centres de services scolaires n’ont même pas de nutritionniste ! Le ministère de l’Éducation doit absolument offrir un accompagnement et faire des suivis. Notre Collectif revendique depuis des années que la politique-cadre soit enchâssée dans la Loi sur l’instruction publique, pour que son application soit plus sérieuse. Les collations sont importantes puisqu’elles permettent de combler la faim des enfants et de leur donner de l’énergie jusqu’au prochain repas. Elles devraient idéalement être constituées d’une source de protéines accompagnée d’un fruit, d’un légume ou d’un aliment à grains entiers. »

Les propos des experts ont été adaptés par souci de concision.

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