Carnet de cuisine

Vyckie Vaillancourt et ses agrumes lavallois

Les milieux de la restauration et de l’agriculture gourmande sont remplis d’histoires, de réflexions, de solutions. Une fois par mois, nous donnons la parole à ceux et celles qui font la richesse et la diversité des métiers de bouche du Québec.

Vyckie Vaillancourt ne prévoyait pas de devenir la septième génération à la barre de la ferme familiale, à Laval. Mais devant le manque de relève, elle décide de tenter sa chance, avec, dans sa poche, une idée tout aussi étonnante que géniale : lancer sa propre culture d’agrumes exotiques en serre. Bienvenue chez O’Citrus.

Premier service

« J’ai vu mon père travailler beaucoup et ça m’intéressait plus ou moins. J’ai plutôt étudié en relations publiques. Mais je n’ai ni frère ni sœur, donc à un moment donné, mon père m’a dit qu’il faudrait penser à revendre la ferme. C’est venu me chercher. Je ne pouvais pas laisser la ferme partir de même ! Je me suis donc dit que j’allais essayer. Finalement, ça fait cinq ans et demi que j’essaie… C’est rendu mon métier !

« On cultive sur 150 hectares une quinzaine de variétés de légumes. On vend principalement au kiosque en bord de route et on propose de l’autocueillette de fraises et de framboises et aussi de légumes comme des tomates et des aubergines. On vend aussi des fleurs, c’est ma grand-mère qui avait commencé ça.

« Mon père a commencé à faire des mosaïques de plantes dans les années 2000. On est allés au Japon, en Chine… On fournit aussi des pièces pour Mosaïcultures Québec. On a d’ailleurs construit cette année un nouveau complexe de serres pour accueillir les grandes structures. Ça nous tient occupés et ça renfloue nos coffres. Surtout que cette année, on a une grosse perte financière à cause d’un virus qui s’est attaqué aux plantes. »

Deuxième service

« Quand j’ai finalement décidé d’essayer de reprendre l’entreprise familiale, j’ai fait mon cours en entrepreneuriat à HEC. Un des projets consistait à créer une entreprise. Il y a plusieurs années, mon père a parti en serre pour son plaisir quelques arbres – des yuzus, un kumquat, un calamondin. C’est en me promenant dans les serres que l’idée d’O’Citrus m’est venue.

« Au bout du compte, ce projet, je l’ai réalisé pour vrai ! »

« Je fais pousser des variétés d’agrumes plus spécifiques. Ce qui fait la plus-value de mon produit, c’est que ce sont des agrumes qu’on ne peut pas trouver frais ici. Aujourd’hui, je fais affaire avec une vingtaine de restaurants, surtout à Montréal, mais aussi loin qu’Edmonton. »

— Vyckie Vaillancourt

« J’adore la main de bouddha, c’est un de mes agrumes les plus prisés. C’est vraiment le zeste qui est utilisé en pâtisserie, pour faire du chocolat ou de la crème glacée, c’est super parfumé. J’ai aussi plusieurs arbres de lime kéfir, dont on utilise aussi les feuilles. Les deux endroits qui m’en achètent le plus, c’est Le Mousso et la chocolaterie Feys, à Oka.

« J’ai fait des tests, comme ici, j’ai de la bergamote. Les feuilles sont utilisées en parfumerie, mais aussi pour le thé Earl Grey. J’ai aussi quelques arbres de citron caviar [finger lime en anglais]. L’intérieur est rempli de petites billes, comme du caviar de citron. C’est super pour des huîtres, du ceviche, du tartare. C’est un des produits que je me fais le plus demander, mais je n’ai pas une très grosse production.

« Les calamondins sont très amers et donnent beaucoup de jus. Ils sont utilisés pour faire des bitters ou en cuisine avec les poissons. Il y a deux ans, j’avais fait une bière blanche avec Brasserie Mille-Îles, une édition spéciale. Ce qui est cool, c’est que le calamondin pousse quatre fois par année, contrairement au yuzu, qui ne produit qu’une fois.

« Je mise beaucoup sur le yuzu, car c’est un arbre qui pousse au Japon, où il fait quand même froid en hiver. Le yuzu a besoin d’une température froide pour “s’endormir”, et après il repart en février. Quand j’ai fini mes récoltes, je descends la température autour de 12 °C.

« La saison des récoltes des agrumes dure de fin septembre à la mi-novembre. L’hiver, c’est la saison de la floraison. Ça sent tellement bon ! Je viens me promener ici, il fait chaud dans la serre même s’il fait -20 °C dehors ! »

Troisième service

« On est en processus de relève actuellement. Il y a aussi depuis deux ans mon cousin Dérek Vaillancourt, qui reprendrait possiblement avec moi. On serait donc deux à reprendre la ferme familiale, la septième génération de Vaillancourt depuis 1780. »

« C’est sûr que chaque génération veut apporter de la nouveauté. Les agrumes m’ont permis de trouver ma place. Ça m’intéressait plus ou moins de me coller au moule existant, j’avais envie d’avoir mon projet personnel qui me permettrait de me démarquer, d’ajouter mon essence à la ferme. »

— Vyckie Vaillancourt

« Cela dit, je ne veux pas mettre tous mes citrons dans le même panier ! Notre grosse part de revenu vient de la ferme et O’Citrus n’aurait pas pu exister si je n’avais pas eu accès aux installations de la ferme en place. J’ai 124 arbres et pour l’instant, je n’ai pas l’intention de grandir. Je veux garder l’esprit du produit de niche.

« J’aimerais me lancer dans l’événementiel dans la serre des citrons. Je reçois beaucoup de demandes pour des ateliers, des visites guidées… Je me dis qu’il y a un créneau à aller chercher là-dedans.

« Comme nous sommes sur un territoire agricole, ça fait en sorte qu’on ne peut pas tout faire. Et ça me bloque beaucoup. J’aimerais construire une cuisine extérieure, et proposer des repas à la ferme. Mais c’est compliqué. Il faudrait que je fasse une demande de table champêtre, mais c’est un maximum de 20 personnes. Comment rentabiliser tes coûts avec ça ?

« Le but, c’est de valoriser les produits du Québec et ceux qui les cultivent. Ça change quoi qu’on ait 500 personnes à un repas si j’utilise les légumes d’ici ? Sincèrement, j’ai de la misère à comprendre il est où, le problème ! »

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