Chronique

Le sifflet à chiens du pape

Votre pape si souriant n’est pas différent de ses prédécesseurs, écrivais-je la semaine passée : il a beau sourire aux masses, il a quand même rencontré Kim Davis, cette fonctionnaire emprisonnée pour avoir refusé de délivrer des permis de mariage à des couples de même sexe…

Le lendemain, le Vatican réagissait – pas à ma chronique, quand même ! – en atténuant la symbolique de cette rencontre. Plus tard, le Vatican a fait savoir, photo à l’appui, que Francesco avait aussi rencontré un vieil ami qui s’adonne à être homosexuel. Vous avez été cent à me le faire savoir, remontrances en prime.

Vous y avez vu la preuve que le pape est bel et bien fort différent de Jean-Paul II et de Benoît XVI, deux conservateurs enragés…

Puisque le pape était aux États-Unis, permettez que je souligne ce concept formidable en politique américaine pour désigner les discours qui ne disent pas tout à fait ce qu’ils veulent dire : dog whistle politics, la politique du sifflet à chiens. Le sifflet à chiens émet des sons inaudibles pour l’oreille humaine, comme vous le saviez déjà…

Traduction : un politicien fait du dog whistling quand il dit des choses qui ont un vernis tout à fait acceptable, mais qui sont en fait des codes pour en appeler à des sentiments moins nobles. Par exemple : en faisant campagne, tu ne peux pas dire que les Blancs se font manger la laine sur le dos par les Nègres, parce que ça ne se dit plus. Ça ne se fait plus depuis les années 60, dire des choses pareilles. Alors tu parles des « droits des États » (States’ rights) : ça fait la job, les racistes comprennent ce que tu veux dire et tu peux toujours dire que tu n’as rien contre les Noirs. C’était le socle de la stratégie de Reagan pour gagner le Sud…

Maintenant, permettez que je cite ce que le pape François a dit aux parlementaires américains, lors de la session conjointe du Congrès, le 24 septembre : 

« Que la famille a été importante pour la construction de ce pays ! Et combien elle demeure digne de notre soutien et de notre encouragement ! Cependant, je ne peux cacher ma préoccupation pour la famille, qui est menacée, peut-être comme jamais auparavant, de l’intérieur comme de l’extérieur. Les relations fondamentales sont en train d’être remises en cause, comme l’est la base même du mariage et de la famille. Je peux seulement rappeler l’importance et, par-dessus tout, la richesse et la beauté de la vie familiale… »

Quand le pape dit que la famille est « menacée », de quelle menace il parle, vous pensez ?

Un indice : il ne parle pas de la passion des jeunes pour le jeu vidéo Assassin’s Creed, fort chronophage.

Et quand le pape dit de façon fort sibylline que « les relations fondamentales sont en train d’être remises en cause, comme l’est la base même de la famille et du mariage », il fait allusion à quoi, vous pensez ?

Il fait allusion au mariage gai.

Évidemment, il le dit à demi-mot, il fait dans l’euphémisme. C’est ça, du dog whistling. Les cathos hardcore comprennent, eux.

L’utilisation même de formules alambiquées par ce pape devrait vous inquiéter. Quand il a parlé aux élus américains des excès du capitalisme et de l’injustice inhérente aux inégalités économiques – bref, de belles choses sur lesquelles l’Église n’a que très peu de prise –, le pape parle clairement, avec des mots forts, avec des mots qui ne laissent place à aucune ambiguïté.

Mais dès qu’il parle de la famille, oh boy, là, François se fait beaucoup moins clair… « menacée »… « relations fondamentales »… « la base même du mariage »…

Là, ça devient si vaseux qu’on peut se demander si le gars qui écrit les excuses de Marcel Aubut n’écrit pas aussi des discours pour le pape, dans ses temps libres…

L’Église a actuellement les mêmes vues sur l’avortement, sur la contraception, sur l’ordination des femmes et sur le mariage entre conjoints du même sexe qu’au moment où Jean-Paul II et Benoît XVI étaient à ses commandes. Bref, l’Église fait ce que la religion tente toujours de faire : dicter aux gens comment vivre. Et dans le cas de l’aide médicale à mourir, comment ils meurent, aussi.

C’était le cœur de ma chronique : l’épiscopat québécois utilise son autorité pour inspirer une guérilla administrative contre l’aide médicale à mourir, encadrée par une loi qui reflète le consensus québécois. C’est vil.

Le pape François prône ces vues avec des mots moins forts que ses deux prédécesseurs, c’est vrai. Mais c’est là l’essence même du marketing : te faire croire que le yogourt grec est radicalement différent du yogourt pas grec.

Dans les deux cas, ça reste du yogourt.

SIFFLET À CHIENS CANADIEN

Y a du dog whistling ici aussi, en passant.

Un politicien canadien ne peut pas dire qu’il va vous sauvegarder des sauvages qui veulent changer votre mode de vie, une lapidation à la fois.

Mais il peut faire du niqab aux cérémonies de prestation de serment un enjeu national, par exemple.

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