Réchauffement climatique

Le Groenland, fenêtre vers l’avenir

Les changements climatiques touchent particulièrement les pôles. Au Groenland, deux phénomènes ont récemment montré des aspects inattendus du réchauffement de la planète : un projet d’exportation de sable et une sous-espèce d’ours polaires au comportement inhabituel.

La Mecque du sable

À 100 km au sud de Nuuk, la capitale du Groenland, se trouve le fjord de Sermilik. Protégé des tempêtes par son étroitesse, il s’agit d’un des sites parmi les dizaines ciblés par le gouvernement de l’île comme une future mine de sable destiné à l’exportation.

Sermilik à lui seul pourrait augmenter de 3 % la quantité de sable exportée dans le monde. « Avec la fonte des glaciers, il y a beaucoup d’accumulation de sédiments sur les côtes du Groenland », explique Mette Bendixen, politologue de l’Université McGill qui collabore depuis plusieurs années avec le Groenland à ce sujet.

« Il y a beaucoup d’intérêt pour la création d’une industrie du sable au Groenland. Ça pourrait être un bénéfice des changements climatiques pour le pays. »

— Mette Bendixen, politologue à l’Université McGill

À la mi-août, dans la revue Nature Sustainability, Mme Bendixen a ajouté un élément clé à la réflexion : un sondage montrant que plus de 80 % de la population groenlandaise est en faveur de l’exportation du sable et que seulement 8 % s’y opposent. « Ça nous a surpris, parce que dans d’autres dossiers miniers, l’opinion publique est plus partagée, dit Mme Bendixen. Il faut dire que le taux de chômage est élevé au Groenland et que le niveau de scolarité est bas. Alors, le développement économique par l’entremise des ressources naturelles est attrayant. » Le Groenland est responsable de 8 % de tous les sédiments qui se déversent dans les océans chaque année.

L’abc du sable

Sur Terre, on utilise 23 fois plus de sable maintenant qu’en 1900 pour construire des immeubles et d’autres infrastructures, selon une étude de Mme Bendixen publiée en 2019 dans Nature Sustainability. En 2017, la demande mondiale en sable était de 9550 millions de tonnes, pour une valeur de presque 100 milliards US.

La Chine est le plus grand producteur de sable au monde, représentant plus de 20 % du total des ventes, alors que les États-Unis sont le premier exportateur, entre 400 et 500 millions de tonnes par année. Le Canada est l’un des principaux clients des États-Unis pour le sable, avec des importations variant entre 100 et 300 millions de tonnes depuis 2010, selon une étude publiée en 2017 dans la revue Sustainability.

Pétrole et mines

L’an dernier, le Groenland a interdit l’exploration pétrolière et les mines d’uranium sur son territoire. Et pourtant, la population n’est pas farouchement opposée à l’extraction des ressources minières, selon Rasmus Leander Nielsen, politologue de l’Université du Groenland.

« Il y a eu beaucoup de pression des ONG environnementales pour que le Groenland abandonne l’exploration pétrolière, par exemple. Mais il a fallu que Siumut, le parti traditionnellement au pouvoir, perde l’an dernier pour que ça devienne réalité. »

« La population veut de la croissance économique – et avec la fonte des glaciers, on trouve des gisements très intéressants. Les Groenlandais ne veulent pas que les pays riches, qui ont profité de l’industrialisation, lui dictent quoi faire.  »

— Rasmus Leander Nielsen, politologue de l’Université du Groenland

« Cela dit, ajoute-t-il, une majorité s’oppose à certains projets qui peuvent nuire à des activités existantes. »

Siumut a gouverné l’île de manière presque ininterrompue depuis le début du Parlement groenlandais, en 1979. Le parti actuellement au pouvoir, Inuit Ataqatigiit, est indépendantiste. Il a déjà dirigé l’île entre 2009 et 2013. Le Danemark finance encore environ la moitié du budget gouvernemental groenlandais, mais ce montant est gelé au niveau de 2009, dans le cadre d’une entente de délégation de pouvoirs qui a fait du Groenland un pays presque indépendant.

Ours polaires

Dans le sud-est du Groenland, Kristin Laidre a trouvé une sous-espèce d’ours polaires qui a un comportement surprenant : ils chassent à partir des glaciers, au lieu de se servir de la banquise comme aire de chasse. « Ça veut dire qu’ils peuvent chasser même s’il n’y a plus de banquise qui flotte sur la mer », explique la biologiste de l’Université de Washington, qui a décrit ses recherches fin juin dans la revue Science.

« Nous avons observé leur comportement depuis dix ans et nous venons de montrer qu’ils constituent une population génétiquement isolée. » Les quelques centaines d’animaux de ce groupe pèsent 20 % moins – 100 kg – que la moyenne des autres ours polaires et ont moins de petits. Cela indique à Andrew Derocher, spécialiste des ours polaires à l’Université de l’Alberta, qu’il s’agit d’un groupe sur ses derniers milles. « Il faut voir ce qu’ils chassent à partir des glaciers, dit M. Derocher. S’ils sont décharnés, ça veut dire que ça ne les nourrit pas beaucoup. »

Le niveau de la mer

Les glaciers du Groenland sont beaucoup moins gros que ceux de l’Antarctique. Jusqu’à maintenant, ils ont contribué presque autant à la hausse du niveau de la mer : soit entre 21 et 24 cm additionnels par rapport à 1880, selon l’Administration nationale océanique et atmosphérique des États-Unis (NOAA).

Une récente étude de la Commission géologique du Groenland et du Danemark (GEUS) estime que d’ici 2100, le Groenland pourrait ajouter de 15 à 20 cm supplémentaires au niveau de la mer. Publiée dans Nature Climate Change, l’étude estime que même si les émissions de gaz à effet de serre diminuent et que la température se stabilise autour de 2 degrés au-dessus de la moyenne de l’ère préindustrielle, la fonte des glaciers du Groenland fera grimper le niveau de la mer de 27 cm dans les prochains siècles.

Il s’agit d’une estimation inférieure à une autre étude, publiée en 2019 dans PNAS, qui calculait que la fonte des glaciers du Groenland augmenterait de 330 à 490 cm le niveau de la mer d’ici 2100. Cela dit, l’étude de la GEUS note que le chiffre de 27 cm correspond à la moyenne de la fonte entre 2000 et 2019. Si l’année avec la plus forte fonte, 2012, est utilisée, le niveau de la mer augmentera de 78 cm seulement avec les glaciers du Groenland.

50 000

Population inuite du Groenland, sur un total de 56 000 habitants

Source : Université du Groenland

34

Fonte annuelle des glaciers du Groenland, en milliards de tonnes, de 1992 à 2001

247

Fonte annuelle des glaciers du Groenland, en milliards de tonnes, de 2012 à 2016

Source : NOAA

51

Fonte annuelle des glaciers de l’Antarctique, en milliards de tonnes, de 1992 à 2001

199

Fonte annuelle des glaciers de l’Antarctique, en milliards de tonnes, de 2012 à 2016

Source : NOAA

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