Solarpunk

Imaginer un monde meilleur

En 2020-2021, en pleine pandémie de COVID-19, la professeure d’arts plastiques Mélissa Nadeau a proposé à ses élèves de créer une œuvre autobiographique pour expliquer ce qu’ils ressentaient. Pour montrer aux jeunes qu’ils n’étaient pas seuls à traverser une période trouble, Mélissa a invité des écoles de partout dans le monde à participer à ce grand projet, qu’elle a appelé Diagnostik. Ce qui en est ressorti était très beau, mais aussi « très sombre ».

Pour la deuxième édition du projet, cette année, Mélissa a voulu aller ailleurs, vers quelque chose de plus positif, de plus lumineux. En fouillant sur l’internet, elle a découvert le Solarpunk. Et c’est exactement là que Mélissa voulait aller.

À la fois mouvement, genre artistique et genre littéraire, le Solarpunk imagine un monde où les humains vivent en harmonie avec la nature, en utilisant la technologie, oui, mais pour vivre mieux, pour bâtir un avenir durable. Solarpunk est donc à l’opposé des dystopies auxquelles on a souvent recours lorsqu’il est question d’imaginer l’avenir.

Mélissa Nadeau a invité les élèves à s’inspirer de l’univers Solarpunk pour créer une œuvre (peinture, dessin, dessin numérique) qui présente une vision optimiste de l’avenir. Le projet se nomme cette année Projexion. Une soixantaine d’écoles de 18 pays y participent.

Cette semaine, à l’école Curé-Antoine-Labelle (où enseigne Mélissa), des élèves de quatrième secondaire terminaient leur création dans leur cours d’arts et multimédia. Assise à l’ordinateur, Marie-Rose Labelle peaufinait les derniers détails de sa ville imaginaire, où la verdure prospère et où les maisons sont toutes interreliées. « En ce moment, chacun a sa maison, chacun fait ce qu’il veut, et ce n’est peut-être pas l’idéal », dit la jeune fille de 16 ans, qui rêve d’un monde plus vert.

Dans la création de Samy Mizi Allaoua, le niveau d’eau a monté, mais des humains se sont créé une petite oasis verte sur une île au milieu de nulle part. « La nature a repoussé et les gens revivent », dit Samy.

« Ce projet-là, je l’ai fait parce que je sens que les adolescents en ont besoin. Ça a un sens. »

— Mélissa Nadeau, professeure d’arts plastiques à l’école Curé-Antoine-Labelle, à Laval

Un mouvement récent

Le Solarpunk est un genre récent. La première trace documentée date de 2008, sur un blogue, et la première œuvre littéraire a été publiée en 2012 au Brésil. Le mouvement a graduellement pris de l’ampleur, essentiellement sur l’internet.

Le Montréalais Félix-Antoine Renaud s’y intéresse depuis quelques années. En septembre, il entreprendra une maîtrise en études littéraires sur la représentation de l’environnement dans la littérature Solarpunk et sur ce que pourrait être le Solarpunk au Québec.

« Une des meilleures descriptions que j’ai lue du Solarpunk, c’est qu’il s’agit d’une révolution d’espoir. On met de l’avant non seulement des technologies renouvelables, mais aussi une société plus ouverte et plus inclusive. »

— Félix-Antoine Renaud

Contrairement à d’autres genres en science-fiction (comme le Cyberpunk et le Steampunk), le Solarpunk a quelque chose de très actuel, note Félix-Antoine Renaud : des histoires Solarpunk pourraient se passer dans un avenir très proche. Des façons de faire qui existent déjà sont d’ailleurs considérées comme Solarpunk, dit-il. On peut penser aux jardins communautaires sur le toit, aux habitats passifs ou encore aux cargos à voile. La campagne No Mow May, qui invite les gens à ne pas tondre leur pelouse en mai pour aider les insectes pollinisateurs, a aussi quelque chose de Solarpunk, ajoute Félix-Antoine Renaud. Le genre propose aussi une réflexion sur la place du travail dans nos vies.

Quand elle a entendu parler du mouvement, l’artiste visuelle Patima (de son vrai nom Patricia Lapointe) a réalisé qu’elle était une Solarpunk sans le savoir. Patima – autrefois maquilleuse professionnelle – termine ses études en horticulture. Elle habite avec 16 colocataires dans une maison bicentenaire où l’on cultive un jardin communautaire.

Patima a tissé des liens avec la communauté Solarpunk en ligne. « C’est un mouvement qui fait vraiment du bien à l’âme », dit Patima, qui y voit une forme de « pensée d’espoir radicale ».

« La conversation des 10 dernières années, surtout en télé et en film, c’est toujours l’apocalypse, la fin du monde. Comment peut-on faire des changements concrets dans le présent si on est dans le désespoir et qu’on est persuadé que tout va mal ? », dit Patima, qui travaille sur un magazine Solarpunk pour inspirer les gens et réunir la communauté.

Par son mode et vie et ses choix de vie, Patima se reconnaît autant dans l’élément « solar » (le côté lumineux) que dans l’élément punk, la philosophie punk étant associée à tout le côté militant, anticapitaliste, révolutionnaire et do it yourself.

Selon Félix-Antoine Renaud, Solarpunk se situe sur l’axe de la gauche, mais la vision politique varie d’un sympathisant à l’autre. Des individus anarchistes peuvent faire des gestes Solarpunk, des individus socialistes aussi, dit-il. « Avec le terme punk, on est dans la dénonciation, la rébellion, mais le niveau auquel on pousse cette rébellion sera propre à chaque personne. »

L’enseignante Mélissa Nadeau, pour sa part, n’a pas abordé la dimension politique dans son projet. Ce qui l’intéressait, c’est le volet esthétique, bien sûr, mais peut-être surtout son côté utopiste. « C’est beau et c’est gros, ce que les jeunes ont à nous dire, dit-elle. Et vivre un peu dans l’utopie, ça fait du bien. »

Les œuvres du projet Projexion seront dévoilées le 15 juin. Elles seront aussi intégrées à une projection qui sera présentée au début du mois de novembre au festival NUM, à Laval.

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