Opinion

Atikamekw, gardiens du territoire

Nous avons appris dernièrement qu’une dizaine d’organisations environnementales dénonçait la résistance du gouvernement québécois face aux objectifs de création de nouvelles « aires protégées » (La Presse, 26 novembre)*. Ce parti pris du gouvernement face à l’industrie au détriment de l’environnement et de ses habitants, malheureusement, les Atikamekw le connaissent trop bien.

Ces dernières années, nous, la famille Coocoo, appuyés par le Conseil de la nation Atikamekw, mettons de l’avant un important projet d’aire protégée sur notre territoire, une aire qui aurait pour nom Masko Cimakanic Aski. D’emblée, il faut dire que l’expression « aire protégée » est fort imparfaite pour décrire notre territoire, sa préservation, son écosystème ou sa biodiversité.

Masko Cimakanic Aski est réfractaire au langage bureaucratique : Masko, pour « ours ». Nous sommes le peuple de l’ours. Gravée éternellement dans le ciel, la constellation de la Grande Ourse témoigne de notre origine lointaine et nous rappelle le devoir de mémoire que nous avons face aux ancêtres.

Cimakanic, pour « guerrier » ou « conseiller ». Celui qui lutte pour la conservation du territoire et veille à ce que nos décisions soient éclairées.

Aski, pour « terre mère ». Elle comprend les animaux, les plantes et les lieux sacrés. Elle est une part importante de notre identité.

Le projet d’aire protégée atikamekw Masko Cimakanic Aski recouvre une superficie de près de 598 km2, un territoire dont nous voulons reprendre le contrôle afin de le soustraire à la logique du profit et de la destruction.

Depuis la colonisation, pratiquement tout ce qui nous concerne a été décidé ailleurs et à l’aide de tactiques et de stratégies malhonnêtes. Coupes forestières, barrages, villégiature : cette spoliation se poursuit aujourd’hui. La reconnaissance d’une aire protégée atikamekw pour l’ensemble de ce territoire renverserait toutefois partiellement la vapeur. Masko Cimakanic Aski nous permettrait de décréter un moratoire sur les coupes forestières et sur l’allocation de nouveaux baux de villégiature, de former des agents territoriaux atikamekw (Tipahiskan iriniwok), de préserver et de revitaliser nos sites culturels.

Comme le souhaite la Déclaration de souveraineté Atikamekw de 2014, Masko Cimakanic Aski nous ferait également avancer vers l’autodétermination. La reprise de ce morceau de pays nous permettrait d’enseigner nos traditions médicinales aux jeunes, de mettre en place des maisons de guérison, de faire des recherches en collaboration avec les centres d’enseignement de la région et d’inviter nos voisins québécois et autochtones à nous rencontrer.

D’ici là, il y a toutefois beaucoup de travail à faire. Comme le soulignaient des environnementalistes la semaine dernière, le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs (MFFP) agit trop souvent comme le « ministère de l’Industrie », ce qui nous empêche de protéger un espace forestier suffisamment vaste pour assurer notre sécurité culturelle et alimentaire. Lorsqu’il est question de conservation, notre vision sociale et culturelle du territoire est difficilement acceptée.

La valeur symbolique du caractère ancestral du territoire ou alors le maintien des pratiques nomades et culturelles sont des aspects qui demeurent trop peu considérés lorsqu’il s’agit de conservation.

La jurisprudence canadienne et internationale reconnaît pourtant notre droit à l’autodétermination et celui d’établir nos priorités. Depuis que le Canada a ratifié la déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones en 2016, la conservation de notre territoire devrait être planifiée sur la base de nos savoirs, de nos préoccupations et de nos priorités. Ce projet incarne en fait des actes de réparation minimale, pour compenser un tant soit peu les injustices historiques qui nous ont marginalisés et nous ont dépossédés de nos territoires.

Le gouvernement devra le comprendre : pour nous, le territoire, c’est notre famille élargie. Il inclut les animaux, les plantes, les arbres… Le territoire n’est pas seulement le territoire. De la même manière que les édifices patrimoniaux ou historiques des villes québécoises ne sont pas seulement briques et béton, mais possèdent un supplément d’âme irréductible à leurs matériaux, notre territoire est également mémoire et identité.

Nous sommes les gardiens du territoire. Les gardiens de la terre mère.

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