L’économie dans le temps

COCA-COLA

REVIENT À LA FORMULE ORIGINALE DU COKE

11 juillet 1985

Coke était talonné par Pepsi, qui lui avait lancé le défi du goût. Coca-Cola prend les grands moyens : changer la formule vieille de 99 ans. LA gaffe. Suivie de LA volte-face.

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LA NOUVELLE SUR LE NOUVEAU

Le 10 juillet 1985, le chef d’antenne du réseau ABC Peter Jennings intervient durant le populaire téléroman d’après-midi General Hospital pour annoncer la nouvelle en direct, puis en fait la première manchette de son bulletin de fin de journée. Au Sénat, le sénateur démocrate de l’Arkansas David Pryor soulignera ce « moment historique significatif ».

Le 11 juillet, c’est officiel : en conférence de presse, Coca-Cola annonce la réintroduction du Coke original.

Trois mois plus tôt, le géant américain avait annoncé son remplacement comme une révolution. Le nouveau Coke a constitué le plus gigantesque flop de marketing depuis qu’Ève a tenté d’introduire la pomme dans le menu du jardin d’Éden.

Mais Coca-Cola allait tourner la déconfiture à son avantage – c’est tout le pétillant de l’histoire.

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LA REMONTÉE

À peine 79 jours après le lancement, Coca-Cola s’amende. « Nous vous avons entendus », prononce Roberto Goizueta le 11 juillet, avec une formule qui rappelle le « Je vous ai compris » gaullien.

En août suivant, les ventes du Coke dorénavant classique dépassaient déjà celles du nouveau Coke. À la fin de septembre, il comptait pour 70 % de la part de marché détenue par les deux produits. En 1986, le Coke Classique se vendait huit fois plus que le nouveau Coke et était de nouveau en tête. À un point tel que la rumeur d’une stratégie occulte commence à circuler : tout était prévu depuis le départ.

Des bêtises, bien sûr. Comme l’a dit Donald Keough, président de Coca-Cola à l’époque, les dirigeants de Coke n’étaient ni assez bêtes ni assez astucieux pour accoucher d’une idée aussi machiavélique.

Le nouveau Coke prendra le nom de Coke II en 1992, cédant la place et le nom de Coke au vétéran. Un an plus tard, il avait pratiquement disparu. L’étiquette « Classique » s’effacera à son tour en 1999.

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Pas content !

Des inconditionnels font provision du bon vieux Coke, avant qu’il disparaisse des tablettes. Les médias diffusent largement les réactions des mécontents.

Le service à la clientèle de Coca-Cola reçoit 8000 appels de plainte par jour. Roberto Goizueta ouvrira une lettre adressée à « Chief Dodo, The Coca-Cola Company » – le tata en chef chez Coca-Cola. Il est surtout vexé que ce soit sur son bureau qu’on l’ait déposée !

Pepsi sent vite le vent. Elle diffuse rapidement une publicité où un vieil homme se plaint qu’on ait changé son Coke. La part de marché de Pepsi s’accroît.

Les études de marketing de Coca-Cola avaient comparé les goûts, mais n’avaient pas mesuré l’attachement à la formule vieille de 99 ans.

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Le défi de Pepsi

Depuis 15 ans, Coke perdait du terrain. Son principal concurrent menait l’offensive avec le Défi Pepsi, où des tests à l’aveugle montraient qu’une majorité de consommateurs préféraient le goût moins agressif de l’autre cola. Le succès du Diet Coke, lancé en 1982 et plus proche du Pepsi, avait déjà confirmé la tendance. Pepsi surclassait Coke dans les supermarchés. Coca-Cola ne restait en tête qu’en raison de sa prééminence dans les machines distributrices, les stades, les casse-croûtes.

Quand il avait pris les commandes de Coca-Cola, en 1981, le chef de la direction Roberto Goizueta s’était montré tout le contraire de sa boisson – c’est-à-dire très clair : il fallait agir, et aucune vache ne demeurerait sacrée.

Le goût des consommateurs évoluait, celui du produit devait faire de même.

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Le lancement

En janvier 1985, la firme McCann est chargée du rajeunissement de l’image. Les réunions se tiennent dans des locaux sous haute surveillance, dont aucune note manuscrite ne peut sortir. L’emballage est subtilement remanié : une touche argentée est ajoutée au rouge et blanc emblématique.

Roberto Goizueta insiste pour que la mention « Nouveau » apparaisse sur les bouteilles et canettes, donnant ainsi à la boisson le surnom qui lui demeurera.

Le 23 avril 1985, le Coke nouveau est lancé. Quelques jours plus tard, la production de l’ancien Coke cesse pour l’Amérique du Nord.

Le nouveau Coke est d’abord bien accueilli et se vend bien dans une bonne partie du pays. Puis monte la réaction du Sud, plus traditionaliste : la patrie de Coca-Cola se sent trahie.

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Une recette plus douce

Les chimistes se mettent à l’ouvrage et raffinent une des recettes étudiées lors de la mise au point du Diet Coke.

Les groupes de discussion sont favorables à la nouvelle formule. On observe bien que de petits noyaux d’irréductibles demeurent fermement et bruyamment attachés au Coke original, mais on néglige – à tort – leur influence.

Une gigantesque étude de marché menée auprès de 200 000 répondants montre une nette préférence pour le nouveau Coke, tant face au Coke original qu’au Pepsi-Cola. Le feu est au vert.

Mais en modifiant son goût pour le rapprocher sans l’admettre de celui de Pepsi, Coke prend le contrepied de ses campagnes précédentes, qui misaient sur l’authenticité et la tradition : The real thing, Coke is it, le vrai de vrai.

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