Côte-Nord

Le régime forestier menacé, s’inquiètent des experts

Les propositions de Québec visant à atténuer la baisse des possibilités forestières sur la Côte-Nord touchent les fondements de la stratégie d’aménagement durable des forêts, s’inquiètent des experts consultés par La Presse.

« Le ministère [des Forêts, de la Faune et des Parcs (MFFP)] se permet de remettre en question ce qui est au cœur du régime forestier », et ce, « sans réorientation politique formelle », s’insurge le biologiste et ingénieur forestier Louis Bélanger, professeur retraité de l’Université Laval.

« On avait mis ça en place pour éviter une surexploitation des forêts qui ne respecterait pas la conservation de la biodiversité », dit-il, estimant que les modifications étudiées sont contraires à l’esprit du nouveau régime forestier, qui a remplacé en 2013 celui qui datait des années 1980.

Il est « évident que les industriels seront favorables à la diminution des modalités d’aménagement écosystémique », car cela se traduirait par des volumes supplémentaires de bois pour eux, observe un ancien employé du MFFP, dont nous taisons le nom pour lui éviter des représailles.

Cet ingénieur forestier juge ainsi « problématique » que le Ministère et l’industrie échangent sur la récolte dans les vieilles forêts et dans les « compartiments d’organisation spatiale (COS) », avis partagé par Louis Bélanger.

« Ce sont les dernières forêts dans les endroits où il y a eu d’immenses coupes, [donc, en les récoltant], on va recréer des zones de jeunes forêts encore plus grandes, ce qu’on devrait minimiser. »

— Louis Bélanger, biologiste et ingénieur forestier

Les modifications étudiées auront « nécessairement pour effet d’augmenter le taux de perturbation » de la forêt, note Louis Bélanger, pour qui il est « clair qu’on augmente l’impact sur le caribou ».

Il est « particulièrement incohérent » que le MFFP étudie ces modifications au moment où Ottawa fait pression sur Québec pour que la province protège mieux le caribou et pendant que se tient la Commission indépendante sur les caribous forestiers et montagnards, ajoute-t-il.

Manque de transparence dénoncé

Le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs aurait dû faire preuve de transparence, estiment les experts consultés par La Presse.

« Ce genre de discussion aurait dû avoir lieu avec tous les représentants de la Table de gestion intégrée des ressources et du territoire [Table GIRT] », dit l’ancien employé du Ministère.

Or, c’est par un appel de La Presse que les membres de la Table GIRT de l’unité d’aménagement 097-51, qui couvre le secteur fréquenté par les caribous du Pipmuacan, ont appris les propositions du MFFP.

« J’espère que ces propositions seront apportées à la Table GIRT » et que leurs impacts sur l’ensemble des utilisateurs de la forêt seront présentés, « et non seulement ceux touchant la possibilité forestière », a déclaré Nicolas Ferron, directeur général de l’Organisme des bassins versants de la Haute-Côte-Nord.

Le MFFP est « en train d’égrener petit à petit l’aménagement écosystémique au profit de l’industrie forestière », a réagi Marie-Hélène Rousseau, ingénieure forestière au Conseil des Innus de Pessamit, ne s’étonnant pas de ne pas avoir été consultée.

Plusieurs propositions « sont contraires à la loi ou à son esprit », estime le directeur général du Conseil régional de l’environnement de la Côte-Nord, Sébastien Caron, qui s’attend donc à les voir rejeter.

L’entreprise forestière Boisaco n’a pas rappelé La Presse.

La CSN réclame une meilleure gestion des forêts

La Confédération des syndicats nationaux (CSN) réclame des améliorations à la gestion des forêts québécoises, inquiète pour les travailleurs de l’industrie forestière qu’elle représente. La centrale syndicale s’associe à Nature Québec pour faire pression en ce sens sur le gouvernement Legault, annonceront les deux organisations, ce jeudi. « Les décisions du gouvernement appauvrissent les forêts, ce qui risque d’avoir des impacts sur les volumes récoltés, la qualité de la fibre et sur les emplois qui y sont rattachés », affirme Louis Bégin, président de la Fédération de l’industrie manufacturière de la CSN, dans un communiqué. « Pendant que le gouvernement Legault s’entête à voir les forêts uniquement comme le bois qui peut y être coupé, c’est tout le monde qui perd au change », ajoute la directrice générale de Nature Québec, Alice-Anne Simard.

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