Cinéma québécois

Que faire pour mieux rejoindre le public ?

Comment attirer les cinéphiles en salle ? Avec plus de films pour les jeunes ? Avec de meilleurs scénarios ? Avec un gala ? Parole à certains artisans et observateurs du cinéma québécois.

Cinéma québécois

Des films « engageants »

« On a un bon cinéma au Québec, mais la priorité, c’est vraiment le développement des publics partout au Québec », estime Sylvie Quenneville, directrice générale de Québec Cinéma.

Mme Quenneville se dit par ailleurs optimiste que le Gala Québec Cinéma renaisse en 2023 dans une formule bonifiée. « C’est une fenêtre essentielle pour montrer la diversité de notre cinéma. »

Le cinéma québécois ne peut se priver des 500 000 personnes qui regardaient le gala – cotes d’écoute jugées trop faibles par Radio-Canada –, renchérit Louise Lantagne, présidente et chef de la direction de la Société de développement des entreprises culturelles (SODEC).

Dans sa planification stratégique actuelle, dévoilée il y a quatre ans, la SODEC a introduit un terme pour décrire le genre de longs métrages qu’elle désire financer, soit « des films engageants ».

« Sans la changer radicalement, nous avons recadré notre approche avec des films – et c’est le terme que nous avons trouvé –, des films engageants pour le public à qui ils s’adressent », précise-t-elle.

En 2019, la SODEC faisait le constat que les deux tiers des longs métrages de fiction soumis à son institution étaient des « drames intimistes, assez sombres ». « On veut une variété de tons et de genres pour que tous y trouvent leur compte », expose Louise Lantagne.

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Conquérir les jeunes

L’automne dernier, Christian Larouche a fait partie des représentants du milieu du cinéma qui ont rencontré le nouveau ministre de la Culture, Mathieu Lacombe. « J’étais content de l’entendre dire que c’est important pour lui de faire des films québécois pour la famille. »

« Des films pour les jeunes, on n’en fait pas assez », soutient celui qui porte le chapeau de producteur (Christal Films) et celui de distributeur (Les Films Opale).

L’année 2023 marquera le retour de la franchise Contes pour tous avec Coco ferme, un film de Sébastien Gagné qui raconte l’histoire d’un entrepreneur de 12 ans qui fonde une ferme de poules pondeuses avec une youtubeuse.

Christian Larouche produira pour sa part l’adaptation au cinéma du livre de Sarah-Maude Beauchesne Cœur de slush, réalisée par Mariloup Wolfe et attendue en juin. « C’est un film pour ados. Nous sommes en montage et je suis très content. »

Son équipe et lui se creusent la tête pour trouver des moyens d’attirer leur public cible. « On les rejoint comment, les jeunes ? Sur leur portable ? Sur TikTok ? Ce n’est pas évident », nous disait-il en décembre dernier.

« C’est prouvé que plus les enfants sont exposés jeunes à la culture québécoise, plus ils vont en consommer plus tard. »

— Julie Ravary-Pilon, chargée du cours de cinéma québécois à l’Université de Montréal

« Ce n’est pas à 18 ans que les jeunes doivent entendre parler de cinéma québécois », ajoute-t-elle.

Claude Chabot fait partie du comité de sélection du Prix collégial du cinéma québécois, souvent cité en exemple pour mieux faire connaître notre cinématographie auprès des jeunes.

Le professeur de cinéma à la retraite du collège Brébeuf voit à peu près tous les longs métrages québécois qui sortent (soit une cinquantaine l’an dernier) afin de déterminer quelles seront les cinq œuvres qui feront l’objet d’un débat parmi les élèves d’une cinquantaine de cégeps. En 2022, les collégiens ont proclamé grand gagnant le drame Souterrain de Sophie Dupuis.

« C’est un bel âge pour être sensibilisé à un autre genre de cinéma et les éduquer à comment regarder certains films », fait valoir Claude Chabot.

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Être présent sur les  plateformes

Bien entendu, la pandémie et les plateformes ont changé les habitudes des cinéphiles.

Rafaël Ouellet a sorti le film Arsenault et fils l’été dernier. A-t-il senti que le film a eu un deuxième souffle quand il a été offert sur Crave ? « C’était plus marqué que pour la vidéo sur demande », répond-il.

Le réalisateur a aussi eu de bons échos des visionnements sur les vols d’Air Canada. Mais les films n’ont pas la deuxième vie qu’ils avaient quand ils arrivaient dans les clubs vidéo ou qu’ils sortaient en DVD, note-t-il.

« Aujourd’hui, le film atterrit sur un paquet de plateformes et c’est un peu diffus. »

— Rafaël Ouellet, réalisateur

Rafaël Ouellet voudrait qu’on parvienne à « remettre deux ou trois bûches dans le feu » dans la promotion des films après leur sortie en salle. « La seule fenêtre médiatique qu’on a pour dire qu’un film existe, c’est la sortie du film ou encore un festival de film majeur. Il y avait aussi un gala... », laisse-t-il tomber.

Il faudrait peut-être mieux faire connaître Où voir ça, un outil conçu en collaboration avec Mediafilm qui permet de trouver les longs métrages offerts dans l’ensemble des fenêtres de diffusion au Québec.

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Un entonnoir de talents

Un point sur lequel se réjouir ? La plus grande présence de femmes à la réalisation.

Dans l’ouvrage Pour des histoires audiovisuelles des femmes au Québec, dirigé par Julie Ravary-Pilon, on souligne que deux films de Louise Archambault ont récolté plus de 1 million de dollars au box-office en 2019, soit Merci pour tout et Il pleuvait des oiseaux.

Parler de parité est « un terrain glissant », souligne toutefois la réalisatrice Miryam Bouchard (23 décembre, Lignes de fuite). « Je ne travaille pas parce que je suis une femme », lance-t-elle.

Elle se réjouit néanmoins que « la parité soit là » pour de bon, ainsi qu’une cinématographie issue de plusieurs générations, de Sophie Dupuis à Lyne Charlebois.

L’éminent Roger Frappier, qui produit le prochain film de Lyne Charlebois après avoir coproduit The Power of the Dog de Jane Campion à l’international, s’inquiète toutefois de voir que « l’entonnoir se rétrécit ».

« Il y a trop de talents de toutes les générations pour les budgets de production. »

— Roger Frappier, producteur

C’est pourquoi un Denis Villeneuve et un Philippe Falardeau vont à Hollywood pour « s’exprimer », illustre le producteur de La grande séduction et du Déclin de l’empire américain.

Selon Roger Frappier, il faut que le gouvernement investisse encore davantage dans la production, car cela fait rayonner le Québec. « Je suis fier de faire partie d’une industrie aussi talentueuse. L’an dernier, à la cérémonie des Oscars, 2 Québécois se partageaient 22 nominations, soit Denis Villeneuve et moi. C’est exceptionnel pour le Québec. »

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Bonifier les scénarios ?

En 2013, un groupe de travail sur le cinéma québécois formé par le gouvernement avait recommandé d’accorder davantage de ressources au développement des scénarios avec le soutien de professionnels1.

Au Québec, il y a cette tradition – comme en France – des films d’auteur dont les réalisateurs mettent à l’écran leur propre scénario, expose Éric K. Boulianne (Prank, Avant qu’on explose), qui a notamment coscénarisé la comédie Menteur avec Émile Gaudreault. « Des scénaristes qui ne font que du cinéma, on les compte sur les doigts d’une main », lance-t-il.

L’an dernier, Stéphane Lafleur a eu recours à ses services pour apporter du tonus narratif au scénario de Viking. « On voit plus de coscénarisation dans le cinéma populaire, indique Éric K. Boulianne. Il faudrait que ce soit encouragé et je sens une ouverture, mais on dirait qu’il y a une crainte de certains cinéastes de perdre leur vision. [...] Mais des fois, c’est juste pour un petit kick ou une structure à repenser. »

Ceux qui ont vu Viking y ont reconnu la touche de Stéphane Lafleur malgré un scénario écrit à quatre mains. « S’il y a un cinéaste qui a un style distinctif, c’est bien lui, et il voulait travailler avec quelqu’un d’autre. »

Éric K. Boulianne souligne que la SODEC mise beaucoup sur les scénarios, mais il s’interroge à savoir si tous s’entendent sur la définition de ce qui en fait un bon.

Très sollicité depuis le début de la pandémie pour relire des scénarios (et il cosigne avec Francis Leclerc celui de l’adaptation attendue au cinéma du livre Le plongeur), Éric K. Boulianne remarque que ses suggestions sont souvent vues, à tort, comme étant convenues. « Dans un type de cinéma plus narratif, il se peut que ton scénario devienne plus classique, mais, dans le storytelling, il y a des codes et des structures avec un début, un milieu et une fin. »

« On vient du cinéma direct et c’est comme si on avait peur des courbes dramatiques », ajoute le scénariste.

Pour sa part, le producteur Roger Frappier souhaite qu’on cesse d’opposer cinéma d’auteur et cinéma populaire. « La grande séduction était un film d’auteur et même Ding et Dong le film, met-il en évidence. Quand on y pense, Denys Arcand et Xavier Dolan sont des cinéastes d’auteur qui ont du succès. »

« Pour moi, ce qui rejoint toujours le public est la qualité du film. Ce sont les films qui se veulent strictement commerciaux qui frappent un mur. Il faut toujours faire un film pour les bonnes raisons. »

Groupe de travail sur le cinéma québécois

En 2013, le gouvernement du Québec avait mandaté un groupe de travail sur le cinéma québécois, qui, sans conclure à une crise, avait proposé 20 solutions.

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